Article 40 de la Constitution et article 89 du règlement de l'Assemblée nationale sur la "recevabilité financière"... La proposition de loi "d'abrogation de la réforme des retraites" du groupe Liot fait l'objet d'une bataille juridique et politique entre la majorité et les oppositions.
Faire en sorte que la proposition de loi "d’abrogation de la réforme des retraites portant l'âge légal de départ à 64 ans" soit frappée d'irrecevabilité financière, c'est la stratégie choisie par les trois groupes de la majorité (Renaissance, Démocrate, Horizons) de l'Assemblée nationale, qui ont parlé d'une seule voix, mardi 16 mai. Objectif : éviter une éventuelle adoption du texte car, même si un vote en première lecture ne suffirait pas à abroger la réforme, il n'en revêtirait pas moins une valeur symbolique et politique.
"Nous sommes du côté du respect de la Constitution", a déclaré la présidente du groupe Renaissance lors d'une conférence de presse, jugeant la proposition que le groupe "Libertés, Indépendants, Outre mer et Territoires" (Liot) veut défendre dans le cadre de sa journée d'initiative parlementaire du 8 juin "contraire à la Constitution et à son article 40", en ce qu'elle créerait "une charge supplémentaire, et non des moindres, pour les finances publiques". Aurore Bergé a fait valoir que la seule abrogation du report de l'âge légal représentait un coût de 15 milliards d'euros pour les finances publiques, concluant qu'"il n'y [avait] pas d’ambiguïté sur l'irrecevabilité".
L'article 40 de la Constitution dispose que "les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique".
Le groupe Liot, ainsi que les groupes de la Nupes, arguent que si ce dispositif est très souvent utilisé concernant des amendements, notamment dans le cadre des textes budgétaires, il n'en va pas de même concernant les propositions de loi. "Si une proposition de loi pouvait être écartée d'une niche parlementaire sous [ce prétexte], il y en a beaucoup qui n'auraient jamais été examinées" a, par exemple, déclaré Pierre Dharréville (Gauche démocrate et républicaine), tandis qu'Eric Coquerel (La France insoumise) a considéré que la majorité cherchait "une façon, une fois de plus, d'éviter le vote". Ce qui ne veut pas dire que l'article 40 n'a jamais été activé sur une proposition de loi.
Quoi qu'il en soit, le président de la commission des finances a rappelé que le Bureau de l'Assemblée nationale avait d'ores-et-déjà décidé que la proposition de loi était recevable, et relaté que lors de la Conférence des présidents du matin même, "certains membres de la majorité voulaient manifestement que Yaël Braun-Pivet revienne sur cette décision, et que le bureau de l'Assemblée nationale réexamine cette recevabilité, ce qui aurait été une première absolue". "Je sais gré à Yaël Braun-Pivet d'avoir défendu l'institution et refusé que le bureau ne re-statue", a ajouté Eric Coquerel, avant d'indiquer qu'en cas de recours, c'est à lui que reviendrait la charge de trancher. "Je vais regarder d'une part la jurisprudence", a-t-il affirmé si un tel cas de figure devait se présenter, "et puis je vais regarder si cette loi prévoit oui ou non une compensation par rapport aux dépenses. Mais j'observe déjà qu'il y a un gage. J'observe qu'il y a une conférence de financement du régime de retraites qui est prévue dans cette loi".
Une interprétation et une analyse que ne partagent pas Aurore Bergé et ses homologues des deux autres groupe de la majorité, Laurent Marcangeli (Horizons) et Jean-Paul Matteï (Démocrate). Lors de leur conférence de presse commune, ce dernier a appelé Eric Coquerel à "prendre ses responsabilités". "En tant que président [de la commission des finances], il doit respecter la Constitution", a-t-il déclaré.
Sur le calendrier du contrôle de la recevabilité, la présidente du groupe Renaissance a expliqué que "s'il n'a pas été exercé a priori et que le dépôt [du texte] a pu être réalisé, rien n'empêche que ce contrôle soit exercé maintenant", avant de s'appuyer sur l'article 89-4 du règlement de l'Assemblée pour évoquer la possibilité qu'outre le président de la commission des finances, le rapporteur général de la commission, Jean-René Cazeneuve (Renaissance) puisse se prononcer sur le sujet. "Des députés de nos trois groupes feront droit à ce qui est l'application de notre règlement intérieur", a insisté Aurore Bergé.
C'est très clairement écrit dans notre règlement intérieur, qui permet à tout député de saisir soit le président de la commission des finances, ou, et c'est bien écrit, le rapporteur général, s'il y a un doute sur la recevabilité financière. Aurore Bergé (Renaissance)
De son côté, le président du groupe Liot, Bertrand Pancher, a mis en garde le gouvernement sur "le risque politique d'empêcher le vote" d'avoir lieu sur sa proposition de loi. À ses côtés, Charles de Courson a estimé que le texte aurait le mérite de permettre de "sortir de cette crise tout à la fois politique et sociale", et que le bloquer relèverait "d'une conception très étrange de la démocratie".