Dans le rapport de la commission d’enquête sur "l’évaluation des politiques publiques de santé environnementale", adopté mercredi, les députés soulignent plusieurs manquements de l'actuel modèle de gouvernance. Ils appellent à faire de la santé environnementale "une priorité du 21ème siècle". "C'est un nouveau paradigme qu'il faut construire", explique à LCP la rapporteure Sandrine Josso (MoDem).
"La santé environnementale est l’impact de l’Homme sur l’environnement, faune et flore, et ses conséquences sur sa propre santé et sur tous les êtres vivants." C'est la définition qu'ont adopté les membres de la commission d’enquête sur "l’évaluation des politiques publiques de santé environnementale". Les députés ont approuvé à l'unanimité mercredi la publication du rapport préparé par la députée du groupe Mouvement démocrate, Sandrine Josso, à l'issue des travaux menés dans le cadre de cette commission d'enquête. Inspirés par les 64 auditions réalisées entre septembre et décembre 2020, les parlementaires ont dressé 23 propositions afin d'améliorer la gouvernance de l'action publique en matière de santé environnementale et de mieux lutter contre l'obésité et les cancers pédiatriques.
Il est urgent d'agir, plaident les élus. Et selon eux, l'épidémie de la Covid-19 l'a démontré. "Cancers, obésité et diabète ont constitué des terreaux favorables à la létalité du virus. Et nous savons d’ores et déjà que ces maladies sont dues, au moins en partie, à des facteurs environnementaux d’origine humaine, comme l’usage des pesticides ou l’ingestion de perturbateurs endocriniens", explique Sandrine Josso, rapporteure de la commission d'enquête.
Jusqu'ici, la France a-t-elle mis en place une politique à la hauteur de l'enjeu ? Pas vraiment, à en croire l'épais avant-propos de la présidente de la commission d'enquête, Elisabeth Toutut-Picard (La République en marche), qui critique le modèle de gouvernance et liste une soixantaine de propositions supplémentaires à celle du rapport lui-même. Si l'Hexagone est le seul pays d’Europe à avoir structuré une politique publique de santé environnementale, écrit la députée, elle ne "fonctionne pas". La députée LaREM appelle donc les Plans nationaux santé environnement (PNSE) à "sortir de l’incantatoire et du virtuel dans lesquels ils se sont enlisés faute de moyens et d’ancrage dans le réel." Auditionné par la commission d'enquête en novembre, le député Dominique Potier (PS) allait dans le même sens, déplorant que le PNSE 3 fasse selon lui l'objet depuis 2015 "d’une forme d’incurie publique par absence de volonté politique ou d’incapacité publique à mettre en œuvre une politique."
"L'idée du rapport était de pointer les dysfonctionnements", glisse un conseiller. "Et d'y remédier." Car si de plus en plus de ministères abordent la thématique de la santé environnementale ou s'en rapprochent, il n'existe aucun organe national qui recense et partage des données. "Les ministères fonctionnent en silos et ne font pas de liens entre eux pour mettre des actions concrètes en place", déplore Sandrine Josso. Ainsi, la rapporteure préconise de créer une "conférence nationale de santé environnementale", qui regrouperait les acteurs du domaine.
Il y a de gros problèmes de coordination et les dysfonctionnements sont très identifiés dans les territoires
"Les CESER vont parler un peu de santé environnementale, les intercommunalités aussi et les Agences régionales de santé : chacun fait son petit truc dans son coin ! Il y a de gros problèmes de coordination et les dysfonctionnements sont très identifiés dans les territoires", justifie la députée, qui souhaite "rassembler toutes ces instances". Le dispositif serait territorialisé mais coordonné au niveau national, pour recueillir, diffuser et faire connaître les données de santé environnementale.
Surtout, les députés veulent renverser l'ordre des priorités. "Il faut cesser de considérer la santé environnementale comme une politique publique ciblée pour l’imposer comme une dimension obligatoire de toutes les autres", indique le rapport. Sorte de règle verte qui, dans la même veine, déboucherait sur l'élaboration d'un document budgétaire de politique transversale consacré à la santé environnementale.
À cette gouvernance renouvelée, les parlementaires veulent ajouter une large sensibilisation de la population. Ainsi, pour développer une "culture de l'anticipation", le rapport indique que "la santé environnementale devra devenir une discipline enseignée dans les écoles et les universités, qui apprenne à considérer la santé humaine comme partie intégrante de son environnement animal et écologique." Sandrine Josso résume :
La santé environnementale doit être une priorité du 21ème siècle
Et pour atteindre ces objectifs, les députés voient en les collectivités territoriales des acteurs majeurs. Certains outils existent déjà, comme les Contrats locaux de santé (CLS). Les élus veulent que leur signature soit rendue obligatoire par les établissements publics de coopération intercommunale. Mais en pratique, "il n’est pas rare que les maires ne disposent pas de compétences particulières dans les domaines hautement techniques que sont la santé, la chimie, la toxicologie ou les sciences de l’environnement", écrivent les parlementaires, qui soulignent aussi dans le rapport "les carences dans les compétences en matière de santé environnementale des personnels administratifs des établissements de santé."
"La formation des professionnels de santé est un levier puissant mais sous-exploité", est-il également inscrit. Ainsi, les députés préconisent de renforcer la formation des médecins et des autres professionnels sur la compréhension et la prise en charge des maladies chroniques et notamment de l’obésité.
Le rapport se penche aussi sur la lutte contre l'obésité et la lutte contre les cancers pédiatriques. Déterminer les causes de ces cancers pédiatriques, dont on suppose l'apparition de clusters dans plusieurs territoires, demande du temps et la raison de l'apparition d'un cancer est souvent multifactorielle. Ainsi, les députés veulent "placer les cancers pédiatriques au cœur de la prochaine stratégie décennale de lutte contre le cancer." Sur ce sujet comme les autres, c'est un "nouveau paradigme" qu'il faut construire, explique Sandrine Josso. "Il y a une volonté de lutter contre les cancers pédiatriques, mais aujourd'hui, on travaille seulement sur les symptômes. Rien sur les causes !"
Sur la prévention toujours, les élus préconisent également de renforcer l’effort de recherche prévu dans la loi de programmation de la recherche afin d’établir les causes environnementales à travers l’étude de l’exposome (concept correspondant à la totalité des expositions à des facteurs environnementaux que subit un organisme humain de sa conception à sa fin de vie, ndlr). En outre, le rapport invite à développer de nouveaux programmes de recherche, "intégrant des approches méthodologiques relevant des sciences humaines et sociales, centrés sur les effets combinés (effets cocktail) et les effets dus aux expositions multiples à faible dose."
Enfin, il est proposé de mettre en place un "toxiscore" permettant d’évaluer les produits de consommation en fonction de leur contenance en produits reprotoxiques, cancérogènes ou perturbateurs endocriniens. "Les citoyens sont intéressés pour connaitre la composition des produits qu'ils utilisent. Il est important qu'ils aient cette lisibilité", explique Sandrine Josso.
De ces 23 préconisations ne devrait pas naître une proposition de loi spécifique, confie Sandrine Josso. Quelques mesures d’ordre réglementaire, comme celles relatives à la formation, pourraient d’ores et déjà être mises en place. Mais pas de révolution législative en vue. "On a des dispositifs qui ne sont pas utilisés. Il faut travailler sur ce qui existe déjà et s’interroger sur comment les rendre opérationnels", explique la députée. "En revanche, il aura un comité de suivi afin d'assurer que les propositions soient suivies d'actions", annonce Sandrine Josso.
Par ailleurs, plusieurs textes déjà déposés à l’Assemblée nationale rejoignent la thématique de la santé environnementale, comme celui du député MoDem Richard Ramos, relatif à l’interdiction progressive des additifs nitrés dans les produits de charcuterie. Mais surtout, le Gouvernement doit prochainement présenter un projet de loi reprenant les propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Dans ce cadre viendra le temps des amendements qui pourraient notamment être issus des conclusions de ce rapport, indique Sandrine Josso. La présidente de la commission, Elisabeth Toutut-Picard, espère aussi que le projet de loi reprendra plusieurs des préconisations formulées dans le rapport qui vient d'être adopté.
Car Elisabeth Toutut-Picard prévient : "Il est temps que notre pays ait une grande loi sur la santé environnementale". En attendant le projet de loi du gouvernement et sur la base de son avant-propos au rapport, la députée est "en train de rédiger une proposition de loi". Quel que soit le débouché législatif, elle espère - comme Sandrine Josso – que l’esprit transpartisan de la commission d’enquête perdurera dans les prochains mois.