Alors que l'Ukraine a été au centre d'une intense activité diplomatique ces derniers jours, un débat a eu lieu, ce lundi 3 mars, à l'Assemblée nationale sur la situation de ce pays, attaqué depuis trois ans par la Russie, ainsi que sur la sécurité en Europe. Déclaration du gouvernement, réponses des groupes politiques... Retour sur le débat dans l'hémicycle du Palais-Bourbon.
C'est une déclaration du gouvernement en application de l'article 50-1 de la Constitution, suivie d'un débat, sans vote, qui a lieu ce lundi 3 mars à l'Assemblée nationale. Le sujet : la situation en Ukraine et la sécurité en Europe. Annoncé mi-février, ces échanges prennent une nouvelle dimension après l'altercation entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky vendredi dernier, 28 février, à la Maison Blanche. Dans l'hémicycle, François Bayrou, qui a ouvert la discussion, a dénoncé "une scène sidérante marquée de brutalité, de volonté d'humiliation, dont le but était de faire plier par la menace le Président ukrainien pour qu'il se rende aux exigences de ses agresseurs". Et de fustiger "la fin de la loi du plus juste, le règne de la loi du plus fort".
Mais Volodymyr Zelensky "n'a pas plié" et "nous pouvons lui en manifester de la reconnaissance", a poursuivi le Premier ministre, qui parle d'une "situation historique", "la plus (...) dangereuse que toutes celles que notre pays, et continent, a connu depuis la fin de la Seconde guerre mondiale".
Lors de son allocution, qui a duré une trentaine de minutes, François Bayrou a évoqué la date du 24 février 2022, celle de "l'invasion, en vue d'annexion de l'Ukraine par les forces armées russes sur ordre de Poutine". "Qu'un pays le plus vaste, militairement parmi les mieux armés (...) qu'un tel pays, membre du Conseil de sécurité des Nations Unies (...) décide de se jeter sur un pays voisin, une nation souveraine (...), pour en prendre le contrôle par la force, beaucoup d'entre nous n'auraient même pas osé l'imaginer", a-t-il souligné.
Listant les capacités militaires de l'Union européenne, le Premier ministre a insisté sur la puissance des Vingt-Sept. "Nous, les Européens, sommes plus forts que nous ne le croyons. Nous nous comportons comme si nous étions faibles", a avancé François Bayrou, en notant, en quelque sorte, un point d'accord avec le Président américain, Donald Trump : "Si nous sommes forts [l'Union européenne], nous ne pouvons pas demander à d'autres de nous défendre durablement notre place."
Et de mettre en garde contre toute "impuissance". Car, à ses yeux, "si la digue ukrainienne venait à céder du fait de notre impuissance, alors n'en doutez pas, ce sont les pays de notre Union qui se trouveraient ciblés."
"C'est à nous, Européens, de garantir la sécurité et la défense de l'Europe", a martelé François Bayrou face à la situation actuelle, estimant que si la France retrouve "confiance" et "unité", elle "peut jouer un rôle central" dans "l'édification de ce nouveau monde, de ce nouvel équilibre".
Après la déclaration de François Bayrou, les onze groupes politiques de l'Assemblée nationale ont exposé leur position sur la situation en Ukraine. Premier à prendre la parole, le président du groupe Union des droites pour la République, Eric Ciotti, a dénoncé les "errements" d'Emmanuel Macron qu'il a qualifiés de "danger pour la paix". Lui succédant à la tribune, la cheffe de file des députés du Rassemblement national, Marine Le Pen, a pris a commencé son propos en évoquant "l'héroïsme" du peuple ukrainien face à "l'indéfendable agression russe".
A la tribune, elle a appelé à "soutenir l'Ukraine" avec "réalisme (...) en gardant à l'esprit nos propres intérêts nationaux" et assumé que le RN ne pourra "jamais soutenir une chimérique défense européenne". La triple candidate à l'élection présidentielle s'est, en outre, dite inquiète de "l'abandon progressif par la France de son rôle singulier de puissance d'équilibre".
Lors de son intervention, Marine Le Pen s'est de nouveau opposée à "l'envoi de troupes françaises combattantes sur le sol ukrainien", ce qui serait "une folie". Pour elle, "seule une éventuelle participation à une opération sous mandat Casques bleus pourrait être envisageable" – une hypothèse à ce stade fort improbable, puisqu'une telle opération devrait passer par un vote au Conseil de sécurité de l'ONU, dont la Russie est membre ce qui lui donne un droit de veto.
A propos de la dissuasion nucléaire, la "partager, c'est l'abolir", a estimé la présidente du groupe Rassemblement national, en considérant que "le feu nucléaire, degré suprême de la souveraineté, est un absolu" qui "ne se relativise pas, sauf à ne plus exister". "Déclencher le feu nucléaire est indissociable d'une légitimité nationale et populaire", a-t-elle martelé.
Si la Russie arrête de se battre, il n'y a plus de guerre. Si l'Ukraine arrête, il n'y a plus d'Ukraine. Gabriel attal
De retour d'un récent déplacement en Ukraine, le président du groupe Ensemble pour la République, Gabriel Attal, a déclaré que Volodymyr Zelensky et son pays n'avaient "d'excuses à présenter à personne", après les vifs échanges entre le Président américain et le Président ukrainien. L'ex-Premier ministre a poursuivi par un constat : "Si la Russie arrête de se battre, il n'y a plus de guerre. Si l'Ukraine arrête, il n'y a plus d'Ukraine." Il a aussi appelé à ne pas se voiler la face, estimant que si la Russie n'est pas arrêtée, d'autres pays suivront, alors que "l'appétit du Kremlin est insatiable".
"La France ne peut rester impassible, la France a une responsabilité", a encore affirmé Gabriel Attal, qui préside le groupe d'amitié France-Ukraine au Palais-Bourbon. Le chef de file du parti présidentiel Renaissance a, par ailleurs, vivement critiqué la ligne du RN, reprochant un "instinct capitulard" au parti de Marine Le Pen. Et d'appeler à "reconsidérer notre position sur la situation des avoirs russes gelés" : "Utilisons ces près de 300 milliards d'avoirs russes pour aider l'Ukraine et, dans le même temps, accélérons le processus d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne."
Parmi les interventions suivantes, prenant la parole pour La France insoumise, Aurélien Saintoul, a jugé "critique" la situation de "dépendance" de la France vis-à-vis des Etats-Unis et dénoncé la "longue liste des gesticulations sans effet de Macron depuis trois ans". "Nous n'en sortirons pas sans une volonté ferme et un plan clair", a-t-il estimé, interrogeant le gouvernement de François Bayrou : "Que comptez-vous faire ? Vous n'avez pas été capables de créer un lieu de discussions où les belligérants auraient pu se retrouver. (...) Comment allez-vous faire revenir la France à la table des négociations ? En avez-vous la volonté, en avez-vous les moyens?"
Affirmant que le soutien de la formation de Jean-Luc Mélenchon à l'Ukraine "est plein et entier", Aurélien Saintoul a précisé que le "combat" du peuple ukrainien "se fait au nom du droit international". "C'est la justice et l'intérêt de la France que ce droit international prévale", a-t-il souligné, faisant le parallèle avec la situation des Palestiniens.
"Le pacifisme le plus exigeant, celui de Jaurès, ne tolère ni la servitude, ni la soumission", a pour sa part déclaré le président du groupe Socialistes, Boris Vallaud, rappelant le soutien des députés du PS au peuple ukrainien et fustigeant le revirepent et l'attitude de Donald Trump. "La rencontre du Président Zelensky dans le Bureau ovale était une embuscade", a-t-il déploré.
Avant de prévenir que les élus socialistes n'accepteront jamais pour l'Ukraine une paix "qui ne soit une paix durable et juste" et "sans garanties de sécurité sérieuses". Bien que de sensibilité différente, puisque s'exprimant pour la Droité républicaine, Michel Herbillon a, lui aussi, défendu cette ligne, appelant à veiller à ce que la "trêve en construction se fasse dans le respect de la volonté des Ukrainiens". "Rien ne peut se décider sans eux", a-t-il martelé. "L'heure est décisive", a appuyé son collègue, Jean-Louis Thiériot (Droite républicaine). L'éphémère ministre délégué auprès du ministre des Armées a fait part de sa volonté d'"aller plus loin que la loi de programmation militaire", se montrant favorable à l'idée de faire appel à l'épargne des Français pour financer l'effort de guerre.
A l'issue des prises de parole des orateurs des onze groupes de l'Assemblée, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a répondu sur quelques points soulevés par les députés, et en particulier sur l'éventiel envoi de troupes sur le sol ukrainien. "Il ne faut pas laisser à penser nos concitoyens que nous envisageons de mettre des troupes de combat en Ukraine", a-t-il redit avec force. Avant d'évoquer des réflexions concernant des "troupes de maintien de la paix, de réassurance, de déconfliction". Tout en déplorant un certain "décalage médiatique" : "Il est trop tôt, nous n'en sommes pas là."
Sébastien Lecornu est par ailleurs revenu sur le sujet de la dissuasion nucléaire, à l'échelle de l'Union européenne. "Personne n'a jamais dit qu'on la partagerait. Le mot 'partager' n'a jamais été prononcé", a-t-il insisté. "La production des armes, des vecteurs, leur contrôle gouvernemental, la mise en oeuvre des forces nucléaires, sont françaises et resteront française", a-t-il affirmé. "La vraie nouveauté, c'est que nos pays voisins, face à la nouvelle donne stratégique américaine, posent des questions à la France. (...) Si le doigt sur le bouton reste celui du chef de l'Etat, il n'en demeure pas moins que la manière dont on concoure à l'architecture de sécurité globale du continent s'impose à nous."