Les députés ont entamé lundi 10 mai dans l'hémicycle la discussion du projet de loi qui organise la sortie de l'état d'urgence sanitaire par des mesures transitoires. Les élus ont notamment écarté une motion de rejet préalable des socialistes, mettant en lumière les différents points de divergence, notamment le pass sanitaire.
"Un optimisme et une confiance raisonnables." C'est avec prudence et volontarisme que le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, est venu lundi 10 mai présenter dans l'hémicycle le projet de loi "relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire". S'il a reconnu que les indicateurs n'étaient "pas au vert", le ministre s'est satisfait de "l'amélioration sensible de la situation épidémique", permettant une nouvelle étape dans la lutte contre l'épidémie de Covid-19.
De facto, l'état d'urgence sanitaire prendra donc fin à compter du 2 juin. Pour éviter une sortie "sèche", le projet de loi instaure un régime transitoire, qui permet aux autorités de prendre des mesures restrictives de liberté à des fins sanitaires, et ce jusqu'au 31 octobre prochain. Pour autant, le gouvernement ne pourra plus décider d'un confinement national, ou appliquer un couvre-feu au-delà d'un mois. Il s'agit là, selon le ministre, de trouver un "juste équilibre entre nos libertés et la protection des Français".
C'est justement ce souci de l'équilibre qui a poussé le groupe "Socialistes et apparentés" à déposer une motion de rejet préalable, écartée par l'Assemblée nationale. Manque de visibilité, limitation des libertés individuelles, contrôle parlementaire limité, questionnement autour de l'utilisation des données de santé : Marietta Karamanli a énuméré les différents griefs de son groupe contre le texte.
L'élue a été rejointe par plusieurs députés de l'opposition. Philippe Gosselin (LR) a dénoncé un "Canada dry" de liberté, ne voyant là pas de "grands changements par rapport à l'état d'urgence sanitaire". Stéphane Peu (PCF) et Éric Coquerel (LFI) ont défendu des analyses similaires.
Dans le détail, trois dispositifs prévus par le texte ont particulièrement fait débat ce lundi. En premier lieu, la date retenue pour l'application de ce régime transitoire, fixée au 31 octobre 2021. Ce choix a été questionné par plusieurs élus, et ce jusque dans les rangs des alliés de la majorité. "Cette date est trop lointaine, et peu cohérente avec les annonces faites par le président de la République", a ainsi estimé Philippe Latombe (MoDem), pour qui les engagements en termes de campagne vaccinale plaident pour une date plus proche. Lors de l'examen de l'article premier, il a demandé au gouvernement de faire "un geste fort" en direction des parlementaires. Sans succès.
Plusieurs députés, issus des rangs des Républicains, de La France insoumise, des groupes Gauche démocrate et républicaine, UDI et indépendants, ou encore Libertés et Territoires ont défendu des amendements de suppression de cet article. Une fois ces amendements repoussés, plusieurs élus ont tenté de raccourcir la durée du régime transitoire, proposant que celui-ci s'achève le 14 juillet, le 30 juillet, le 31 juillet, le 31 août, le 15 septembre ou encore le 30 septembre. "Nous ne souhaitons pas un long tunnel, un long été, sans clause de revoyure", a expliqué Philippe Gosselin (Les Républicains).
"C'est un filet de sécurité", leur a répondu Olivier Véran, soulignant la nécessité de donner de la "visibilité aux acteurs économiques pour leur garantir que si la situation l'exige ils auront les mesures d'accompagnement économique".
Parmi les autres points évoqués dans la discussion et que les élus doivent encore examiner, figure la possibilité d'instaurer, sous conditions, un confinement local par voie réglementaire durant l'été, afin de freiner d'éventuelles flambées épidémiques. Cette mesure a été retoquée lors de l'examen du projet de loi en commission, mais fait l'objet d'un amendement gouvernemental visant à le rétablir.
S'il l'a jugé "nécessaire", Guillaume Gouffier-Cha (LaREM) a plaidé pour que le dispositif soit parfaitement contrôlé et encadré par le Parlement. Auteur d'un sous-amendement, l'élu de la majorité a fait part de son souhait de trouver un "compromis" avec l'exécutif. Il propose de décaler son entrée en vigueur au 10 juillet 2021, c'est-à-dire après la levée prévue du couvre-feu.
Certains députés ont par ailleurs fait part de leurs craintes à propos de l'instauration d'un pass sanitaire, mesure prévue par l'article premier du projet de loi. Et ce malgré les tentatives initiales d'Olivier Véran de rassurer sur ce point. Rappelant que le dispositif ne consiste pas en un "pass vaccinal", puisqu'il pourra également s'appuyer sur un test PCR ou antigénique, le ministre des Solidarités et de la Santé a insisté sur l'importance de cet outil qui doit notamment être utilisé pour assister à de "grands événements". Olivier Véran a été secondé par le rapporteur, Jean-Pierre Pont (LaREM), qui a assuré qu'il n'y aurait pas de "dérive" en la matière et que ce pass ne régenterait pas la "vie quotidienne" des Français.
Pour Paul Molac (Libertés et territoires), un tel pass créerait "un dangereux précédent". "Le Parlement ne peut ouvrir une boîte de Pandore qui amènera à généraliser ce type de pratiques discriminatoires à l'ensemble des aspects de la vie des citoyens", a-t-il estimé. Une analyse partagée par Éric Coquerel (La France insoumise) : "Non, nous ne sommes pas d'accord pour que les Français soient contrôlés, surveillés, discriminés en fonction d'un état de santé présumé", a affirmé le député. Selon lui, il sera en outre difficile de vérifier qu'un restaurateur ne l'exige pas pour laisser entrer des clients.
Alors que le gouvernement a évoqué plusieurs fois la jauge de 1000 personnes pour déclencher l'utilisation du pass dans les grands événements, le MoDem a essayé de faire inscrire ce seuil dans la loi pour plus de clarté, tout en l'assortissant de conditions de densité de population : "Les Français ne comprennent plus, donnons leur des perspectives claires", a argué Philippe Latombe au nom de son groupe. Le rapporteur a opposé à cette demande la nécessité d'une "forme de souplesse", refusant de graver dans le marbre tout chiffre définitif. "Le gouvernement souhaite avoir la main totalement libre pour tout décider, c'est tout l'inverse de ce qu'il faut faire pour donner confiance à nos concitoyens", a déploré Pascal Brindeau (UDI) après le rejet de l'amendement.
Enfin, plusieurs élus ont posé la question de l'articulation de ce pass à l'échelle européenne. Alors que ce dispositif fait l'objet de discussions entre dirigeants de l'UE, afin de faciliter les déplacements des citoyens tout en assurant au mieux la sécurité sanitaire, son cadre d'utilisation précis n'est pas encore connu à ce stade.
Dans la soirée, les députés ont abordé la fermeture des discothèques. Des élus de tous bords, emmenés par Christophe Blanchet ("MoDem et Démocrates apparentés"), ont réclamé que ces établissements puissent utiliser le pass sanitaire au 1er juillet, afin de préparer leur éventuelle réouverture. Après quatorze mois de fermeture administrative, ce geste envers le monde de la nuit serait "une question de vie ou de mort". Face à une question "éminemment compliquée", Olivier Véran s'est dit incapable de donner une date de réouverture. "Demain, dans un mois, deux mois, le virus ne circule quasiment plus, la question peut se poser", a-t-il à timidement esquissé.
Pour souligner "l'incohérence" des décisions gouvernementales, Philippe Gosselin a rappelé que, contrairement aux boîtes de nuit, les clubs libertins allaient eux bien rouvrir :
Alors que le gouvernement dit non à la réouverture des discothèques, @phgosselin pointe la réouverture... des clubs libertins : "On arrive à des choses absurdes (...) Il est bien connu que dans ces clubs, on pratique tous les gestes barrières." #DirectAN #CriseSanitaire #Covid19 pic.twitter.com/xGUXoOHFIz
— LCP (@LCP) May 10, 2021
Mis au vote, ces amendements pro-discothèques ont été rejetés de justesse, par 63 voix contre 62.