Tenue des débats à l'Assemblée : des députés sanctionnés, de nouvelles règles à l'étude

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Assemblée nationale, le 16 mars 2023.
par Maxence KagniSoizic BONVARLET, Elsa Mondin-Gava, le Jeudi 6 avril 2023 à 16:52, mis à jour le Mardi 11 avril 2023 à 14:31

Suite à des débats souvent animés, parfois houleux lors de l'examen de la réforme des retraites, le bureau de l'Assemblée nationale réuni le 5 avril a prononcé de nombreuses sanctions. Les députés du groupe LFI sont particulièrement concernés, pour avoir notamment brandi des pancartes lors de l'annonce du 49.3 par la Première ministre.

Plus qu'un simple rappel à l'ordre, le bureau de l'Assemblée nationale serait-il en train de renforcer les règles relatives à la bonne tenue des débats parlementaires ? Le bureau de l'Assemblée nationale a sanctionné mercredi 5 avril 2023 plusieurs députés à la suite de "divers incidents intervenus" depuis le début du mois de mars. Environ 80 députés vont ainsi recevoir un "rappel à l'ordre" écrit pour plusieurs faits qui se sont essentiellement déroulés durant l'examen de la réforme des retraites.

Le rappel à l'ordre est la sanction disciplinaire la plus faible prévue par le règlement de l'Assemblée. Prévu à son article 71, comme les autres peines disciplinaires applicables aux députés, il est prononcé par la présidence de l'Assemblée nationale.

Des tweets pendant la CMP sur la réforme des retraites

Plusieurs députés ont ainsi été sanctionnés pour avoir "transgressé les règles de publicité des travaux de la commission mixte paritaire" (CMP) qui se réunissait le 15 mars 2023, sur le projet de réforme des retraites. Il est reproché à plusieurs élus, comme Mathilde Panot (LFI), Hadrien Clouet (LFI), Sandrine Rousseau (Écologiste) ou Arthur Delaporte (PS) d'avoir publié en quasi direct sur Twitter la teneur des échanges de la CMP.

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Une attitude qui avait été critiquée le jour même par la présidente de la commission des affaires sociales Fadila Khattabi : "Les commissions mixtes paritaires se sont toujours déroulées à huis clos depuis 1958", avait expliqué l'élue, qui présidait la CMP. Selon elle, "les tweets en live ne respectent pas le règlement de l'Assemblée nationale".

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"Nous ne sommes pas des gamins à punir mais des députés qui nous opposons à votre réforme des retraites", a réagi la députée écologiste Sandrine Rousseau, qui a reçu le courrier signée de la main de la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, au matin du vendredi 7 avril. Une missive qui revient sur les travaux de la CMP du 15 mars dernier, et rappelle que selon les termes de l'article 112 du règlement de l'Assemblée, "un compte rendu des travaux des commissions mixtes paritaires est publié (...) à l'exclusion de tout autre mode de publicité". Accusée d'avoir "divulgué sur le réseau social Twitter des informations sur le contenu des débats et des votes en commission", Sandrine Rousseau écope, comme plusieurs autres de ses collègues, d'un rappel à l'ordre.

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Les pancartes des Insoumis pendant le 49.3

Les députés de La France insoumise sont également sanctionnés en raison du "tumulte survenu lors de la deuxième séance du jeudi 16 mars 2023". C'est à cette occasion que les députés Insoumis avaient brandi des pancartes sur lesquelles étaient inscrit la mention "64 ans c'est non", et chanté la Marseillaise alors qu’Élisabeth Borne annonçait recourir à l'article 49.3 de la Constitution pour faire adopter la réforme des retraites.

Dans un communiqué de presse, le groupe LFI a dénoncé "un nouvel acte d'autoritarisme d'un pouvoir politique bunkerisé" et une décision qui "cherche à stigmatiser les Insoumis alors que d'autres députés d'autres groupes ont également entonné notre hymne national". La France insoumise n'hésite par ailleurs pas à faire le lien avec le mouvement social en cours, soulignant dans son communiqué que "cette sanction est décidée le jour où l’intersyndicale a dû claquer la porte de Matignon après que la Première ministre a de nouveau refusé de retirer la réforme des retraites".

La décision est à tout le moins perçue comme un tentative de reprise en main politique de leur groupe par certains insoumis, après des débats sur la réforme des retraites durant lesquels ils avaient été accusés, par Yaël Braun-Pivet elle-même, de mener une véritable  "guérilla parlementaire".

Danièle Obono (La France insoumise) rappelle notamment que ce n'est pas la première fois que des députés brandissent des pancartes, sans pour autant qu'il n'y ait eu de sanction, et dénonce "un choix de cibler les insoumis". "C'est un message politique", considère aussi la députée, pour qui les membres de son groupe ont été rappelés à l'ordre pour la manifestation d'un désaccord tout aussi politique à l'égard des choix du gouvernement.

Les participants au reportage de Laurent Delahousse visés

Plusieurs députés ont également été rappelés à l'ordre pour avoir "enfreint les règles de communication avec l'extérieur depuis l'hémicycle", en participant à un numéro de l'émission "13h15 le dimanche", diffusé sur France 2 le 26 mars dernier. À l'occasion de cette série documentaire intitulée "Successions", Arthur Delaporte (Socialistes), Aurélien Pradié (Les Républicains), Laurent Panifous (LIOT), Sandrine Rousseau (Écologistes) ou encore Marie-Charlotte Garin (Écologistes) ont accepté de porter des micros-cravates dans l'hémicycle, permettant la perception de propos non retranscrits au compte-rendu officiel des services de l'Assemblée nationale, et de conversations en aparté entre les députés.

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"Cet usage politique du règlement pour mettre en sourdine les oppositions est déplorable", a réagi le député socialiste Arthur Delaporte. L'élu du Calvados est même sanctionné à double titre puisqu'en plus d'avoir porté un micro-cravate dans l'hémicycle, il fait partie des députés qui ont tweeté en direct le contenu des échanges de la CMP du 15 mars. Selon lui, "rien n'interdit de faire le compte-rendu d'une CMP non soumise au secret ou de porter un micro dans l'hémicycle dont les débats sont publics".

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Vers une adaptation des règles ?

Afin de s'adapter à ces différents usages des nouveaux moyens de communication, un groupe de travail emmené par la vice-présidente de l'Assemblée Naïma Moutchou (Horizons) devra mener une réflexion afin d'éclaircir certaines règles.

Car la députée admet que "le règlement de l'Assemblée n'est pas forcément adapté, et il faut apporter des réponses (...) au moins définir un nouveau cadre". L’article 9 du Règlement tel que rédigé en l'état proscrit le fait "de téléphoner à l’intérieur de l’hémicycle", mais reste muet sur celui de filmer les débats. Les captations étant réalisées par les députés par l’entremise de leurs téléphones portables, faudrait-il en conclure qu’au-delà même d'une conversation, l’usage même du téléphone pourrait être proscrit ? Bien que Naïma Moutchou apparente l'hémicycle à "un sanctuaire", il est peu probable que l'Assemblée se prononce sur l'interdiction de cet objet du quotidien, outil de travail pour beaucoup, lors des séances publiques. Il se pourrait cependant que son usage soit proscrit durant les réunions des commissions mixtes paritaires, afin d'en respecter le huis clos.

Pour l'heure, et suite aux décisions prises le 5 avril, le bureau de l'Assemblée nationale a souhaité marquer par voie de communiqué "sa désapprobation face à [des] agissements qui dégradent l’image de l’institution et atteignent à travers elle celle de la démocratie". Il a également indiqué qu’un courrier "rappelant l’ensemble des règles destinées à encadrer et guider notre comportement en tant que députés de la Nation" serait adressé à l'ensemble des députés.

Le "dépuTwitch" Ugo Bernalicis sanctionné

Après plusieurs avertissements, le député de La France insoumise Ugo Bernalicis a finalement bien écopé d'une sanction pour avoir "streamé" en direct les débats dans l'hémicycle via la plateforme de diffusion Twitch.

C'était le 20 mars dernier, le vice-président Sébastien Chenu (Rassemblement national) avait procédé à un rappel à l'ordre avec inscription au procès‑verbal, emportant la privation, pendant un mois, du quart de l’indemnité parlementaire du député.

Ugo Bernalicis a été entendu, comme le prononcé de cette sanction spécifique le permet, lors du bureau du 5 avril. "Je plaide pour que tout le monde puisse avoir cette liberté, pas forcément de filmer les autres, mais au moins de se filmer soi-même, à partir du moment où l'on ne trouble pas la séance", a-t-il aussi indiqué à LCP, considérant que le règlement ne prohibe pas en tant que telles ce type de pratiques.