Terrorisme : une proposition de loi LaREM pour empêcher les "sorties sèches" de prison

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Pascal GUYOT / AFP
par Vincent Kranen, le Vendredi 19 juin 2020 à 15:30, mis à jour le Vendredi 19 juin 2020 à 16:01

De 2020 à 2022, près de 150 détenus condamnés pour "faits de terrorisme" vont être remis en liberté en France. Des libérations potentiellement à risque, alors que la plupart de ces détenus seront libérés sans possibilité de surveillance au long cours en l'absence de dispositif légal prévu à cet effet. La présidente de la commission des lois de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet, propose la mise en place de "mesures de sûreté" pour pallier cette carence.

Compléter l'arsenal juridique pour combler un trou dans la raquette en matière de lutte contre le terrorisme. C'est l'objectif de la députée La République en Marche Yaël Braun-Pivet, auteure, avec son collègue Raphaël Gauvain, d'une proposition de loi instaurant un régime de "mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine". 

Un amendement de 2016 ouvre une brèche

"Cette proposition de loi se situe dans le prolongement de la législation de 2016. Elle vient corriger un amendement de Monsieur Ciotti qui avait proposé que dorénavant tous les condamnés pour terrorisme n'auraient droit à aucune réduction de peine. La majorité socialiste avait voté allègrement cette disposition, explique en commission le député de la majorité Raphaël Gauvain. Le problème (...) c'est qu'on se retrouve 4 ans après (...) face à ces personnes qui sont en sortie sèche !"

Présent dans la salle, Eric Ciotti est revenu sur cette disposition contenue dans la loi du 21 juillet 2016 prorogeant l’état d’urgence. Selon lui, il s'agissait surtout d'éviter "les crédits automatiques de réduction de peine" des condamnés pour faits de terrorisme.

Problème : traditionnellement, les dispositifs de surveillance des détenus après leur libération s’adossent justement aux aménagements ou réductions de peine. En supprimant le tout, la loi de 2016 a évité des sorties anticipées, sans prévoir la mise en place d'un dispositif de surveillance lors de la libération de ces 150 détenus.

Un régime de "sûreté" applicable jusqu'à 10 années après la libération

Dans la rédaction de sa proposition de loi, la rapporteure du texte, Yaël Braun-Pivet, a tenté d'éviter l'écueil de la non-rétroactivité de la loi. Pour rendre opérationnel le dispositif sur les 150 condamnés bientôt libérés, le texte crée un régime de "mesures de sûreté" d'une durée d'un an et renouvelable :

  • Tout déplacement à l'étranger nécessite une autorisation du juge d'application des peines,
  • Obligation de se présenter au commissariat de police ou à la gendarmerie trois fois par semaine maximum,
  • Interdiction de paraître dans certains lieux et d'entrer en contact avec des personnes prédéfinies,
  • Prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique, destinée à permettre la réinsertion et l’acquisition des valeurs de la citoyenneté.

Le non-respect de ces obligations sera puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

L'examen en commission a néanmoins supprimé l'une des dispositions les plus importantes du texte, le "placement sous surveillance électronique mobile" ou bracelet électronique. Yaël Braun-Pivet a soutenu des amendements de suppression de la disposition, ce qui a suscité de vives critiques venant des rangs de la droite qui se disait prête à voter la proposition de loi.

Ce vendredi, lors d'un point presse, Yaël Braun-Pivet et Raphaël Gauvain sont revenus sur cette suppression et on assuré vouloir réintégrer la disposition supprimée en commission. "On va continuer à réfléchir et voir comment on le réintroduit", a expliqué la rapporteur du texte. Son collègue Raphaël Gauvain rappelle la nécessité de respecter une "ligne de crête" face à la vigilance du Conseil constitutionnel. 

C'est notamment pour cette raison que les députés ont, par ailleurs, réduit la durée potentielle des mesures de sûreté. Celles-ci étaient prévues au départ pour être renouvelables jusqu'à dix ans pour les délits terroristes et jusqu'à vingt ans pour les crimes terroristes, elles ont été ramenées à cinq et dix ans par crainte d'inconstitutionnalité au regard de l'échelle actuelle des peines.

La présidente de la commission des lois a rappelé que son texte, n'étant pas un projet de loi, mais une proposition de loi à son initiative, il n'existait pas d'étude d'impact préalable sur les conséquences juridiques des dispositifs proposés, d'où une extrême prudence de sa part sur le périmètre et l'applicabilité des dispositions. Pour compenser ce manque, Yaël Braun-Pivet a soumis son texte au conseil d'Etat qui a rendu son analyse.

Une future CMP conclusive avec le Sénat ?

Le président de la commission des Lois au Sénat, le sénateur Philippe Bas, a également déposé une proposition de loi sur le même sujet, le 4 mars 2020. Mais celle-ci n'a pas encore été examinée.

Ce qui fait dire au député communiste Stéphane Peu qu'il existe "une course à l'échalote entre la majorité de l'Assemblée nationale et celle du Sénat". Celui-ci s'est aussi étonné de l'absence de bilan et d'informations sur les politiques de "déradicalisation" existantes. Les élus socialistes se sont également opposés au texte, de même que les députés de La France insoumise. "L'objectif réel c'est de satisfaire aux exigences d'une actualité, d'une communication, de la droite ou de l'extrême droite", a fustigé Ugo Bernalicis (LFI).

Yaël Braun-Pivet a répondu aux critiques en rappelant l'origine de cette initiative législative. "Cette proposition de loi est l'issue de trois ans de travail au sein de la délégation parlementaire au renseignement. Les sénateurs, qui avaient mené ces mêmes travaux que nous, aboutissaient à la même conclusion que nous. Bien loin d'une course à l'échalote nous faisons au contraire un travail de législateur", défend-elle. La députée a également rappelé que toute mise en place de mesures de sûreté ferait l'objet d'une procédure contradictoire après réquisitions du procureur de la République antiterroriste qui centralise les dossiers et avec possibilités d'appel.

"Notre dispositif va prendre le relais des MICAS (Mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance) qui sont limitées à un an", précise Raphaël Gauvain. Le député LaREM a bon espoir de voir adopter définitivement la proposition de loi d'ici juillet prochain, lors de la session extraordinaire. La mesure fonctionnera au cas par cas, selon les dossiers, sans caractère d'automaticité. Yaël Braun-Pivet a aussi précisé être déjà en discussion avec Philippe Bas, pour parvenir à un compromis en commission mixte paritaire.

La proposition de loi, adoptée en commission, sera examinée en séance publique dans l'hémicycle à partir du lundi 22 juin, en présence cette fois du gouvernement.