Outre les recours déposés contre la réforme des retraites, le Conseil constitutionnel examine la recevabilité de la procédure de référendum d'initiative partagée, ayant pour sujet l'âge légal de départ à la retraite, enclenchée par 252 parlementaires de gauche. Les Sages se prononceront sur sa validité le 14 avril, en même temps qu'ils rendront leurs décisions sur les recours concernant la réforme.
C'est le joker des parlementaires de gauche. Outre les recours qu'ils ont déposé auprès du Conseil constitutionnel contre la réforme des retraites, sénateurs et députés réunis ont également enclenché une procédure de référendum d'initiative partagée (RIP). Une autre façon d'essayer de faire échec à la réforme, au cas où celle-ci ne serait pas censurée par les Sages de la rue Montpensier.
Vendredi 14 avril, le Conseil constitutionnel se prononcera à la fois sur les recours concernant la réforme des retraites et sur la validité de la procédure visant à demander aux Français de se prononcer sur l'âge légal de départ à la retraite. Si les Sages valident cette procédure, une campagne de 9 mois s'ouvrira afin de tenter de recueillir les 4,87 millions de signatures (un dixième du corps électoral) nécessaires pour aboutir à un référendum. Si le nombre de signatures est atteint, l'Assemblée nationale et le Sénat auront cependant encore leur mot à dire avant que les Français soient, ou pas, directement consultés.
Lors d'une conférence de presse réunissant les sept groupes de la gauche parlementaire le 21 mars dernier, le président du groupe "Socialiste, Écologiste et Républicain" du Sénat, Patrick Kanner, s'était fendu d'une adresse au chef de l’État : "Vous qui n'entendez rien, vous qui ne voyez rien, vous qui ne ressentez rien par rapport à la souffrance des Français, eh bien Monsieur le président de la République, nous voulons que les Français puissent s'exprimer, au travers de 4 800 000 signatures que nous irons chercher, si bien sûr le Conseil constitutionnel valide notre démarche, et nous voulons que les Français puissent dire ce qu'ils pensent de cette réforme".
Le président du groupe "Gauche démocrate et républicaine" de l'Assemblée nationale, André Chassaigne, avait pour sa part dit la nécessité de continuer à se mobiliser "dans les pas du mouvement social", avant de considérer que la "mobilisation populaire [pourrait] se concrétiser, prendre tout son sens, dans un bouillonnement démocratique qui sera celui qui consistera, dans l'ensemble du pays, à réunir les signatures".
La demande de la gauche passe par une proposition de loi signée par 252 parlementaires transmise au Conseil constitutionnel par la présidence de l'Assemblée nationale. Cette proposition vise "à affirmer que l'âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans". Tel serait le sujet du référendum sur lequel les électeurs auraient à trancher si le processus allait à son terme.
Pour être jugée conforme par le Conseil constitutionnel, la procédure lancée par les députés et sénateurs de gauche doit notamment respecter les termes de l'article 11 de la Constitution, à savoir porter "sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions".
Dans les "observations" transmises au Conseil constitutionnel dans le respect de la procédure contradictoire, le gouvernement avance que la proposition de loi portée par la gauche parlementaire ne respecterait pas les critères définis par l'article 11, et ce en raison de la normativité intrinsèque à la loi. Selon le gouvernement, "les dispositions de l’article unique de la proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans ne satisfont pas à l’exigence de normativité de la loi", car elles "ne modifient en rien l’état du droit" et que le texte "se borne à affirmer une limite d’âge qui figure déjà dans les textes en vigueur, sans modifier les règles applicables ni y ajouter ou y retrancher."
Ce n'est pas l'avis du professeur de droit public à la Sorbonne, Paul Cassia, auteur d'une contribution citoyenne transmise aux Sages quant à la recevabilité de la procédure de référendum d'initiative partagée enclenchée par la gauche. Selon lui, la proposition de loi afférente à ce RIP est bien d'ordre normatif, en ce qu'il ne s'agit pas d'une disposition simplement incitative ou proclamatoire. Si selon les mots du constitutionnaliste, "ce terrain ne devrait pas prospérer", il relève "un tout petit risque, micro-localisé" quant au caractère de "réforme" inscrit à l'article 11. Dans ses observations, le gouvernement insiste d'ailleurs sur cet aspect, considérant que "l’article unique de la proposition de loi ne saurait être regardé comme portant sur une réforme relative à la politique sociale de la Nation au sens de l’article 11 de la Constitution".
Si Paul Cassia ne néglige pas que les Sages pourraient faire droit à cet argument, il l'estime hautement contestable, en ce que la définition du mot "réforme", en termes juridiques, ne relève pas forcément d'une modification du droit actuel, mais de l'énonciation d'une "orientation stratégique".
En octobre dernier, c'est parce qu'elle n'avait pas été jugée conforme à l'article 11 de la Constitution que la précédente tentative de référendum d'initiative partagée lancée par la gauche avait échoué. Le Conseil constitutionnel avait alors estimé que la volonté de taxer temporairement les grandes entreprises ayant réalisé des bénéfices exceptionnels était d'une portée insuffisante pour entrer dans la cadre des réformes pouvant, selon l'article 11, donner lieu à référendum.
Depuis son inscription dans la Constitution en 2008, la procédure de RIP a été mise en œuvre une seule fois, sans aller jusqu'au référendum. À l'époque, en 2019, le projet de RIP avait pour objectif d'empêcher la privatisation du groupe ADP prévue dans le cadre de la loi Pacte. La proposition de loi "visant à affirmer le caractère de service public national de l'exploitation des aérodromes de Paris (ADP)", avait alors été jugée conforme par le Conseil constitutionnel.
Le Conseil n’a pas cherché à savoir à ce moment-là si ADP était déjà un service public national. Mutadis mutandis, la proposition de loi relative au maintien de l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans devrait subir le même sort. Paul Cassia, professeur de droit public
Pour prendre sa décision dans ce cas précis, "le Conseil constitutionnel n’a pas cherché à savoir si ADP était déjà un service public national. Mutadis mutandis, la proposition de loi relative au maintien de l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans devrait subir le même sort", estime Paul Cassia.
Considérant, en outre, que le critère fondamental est celui de la "matière" sur laquelle porte la proposition de loi, et qu'elle relève ici bien du champ de la politique sociale du pays, le constitutionnaliste estime qu'il n'y a pas, selon lui, de raison juridique de l'invalider. Paul Cassia indique, par ailleurs, que si cette "loi RIP" était adoptée par le vote citoyen, elle aurait "la même valeur qu’une loi ordinaire. Ce n’est pas un super-loi, elle est simplement adoptée selon des conditions particulières".
Si le 14 avril, la proposition de loi est jugée conforme à la procédure de RIP prévue par la Constitution, le chemin sera encore long avant d'aboutir à l'organisation d'un éventuel référendum. Concernant ADP, la privatisation a finalement été abandonnée par le gouvernement, en mars 2020, alors que la gestion de crise liée au Covid était la priorité, tandis que le texte réclamant un référendum avait récolté 1 093 030 soutiens, soit 2,1% du corps électoral sur les 10% exigés. Aujourd'hui, les partisans d'un référendum d'initiative partagée sur l'âge légal de départ à la retraite estiment que le sujet est suffisamment mobilisateur pour pouvoir atteindre le seuil de 10%. À condition que le Conseil constitutionnel donne son feu vert le 14 avril.