Une députée LR réévalue à la hausse le coût des soins aux étrangers en situation irrégulière

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Consultation dans une permanence d'accès aux soins, à Paris (février 2014, AFP)
par Jason Wiels, le Jeudi 27 mai 2021 à 14:09, mis à jour le Jeudi 27 mai 2021 à 18:10

Véronique Louwagie chiffre dans un rapport à "au moins 1,5 milliard d'euros" le coût réel des soins prodigués aux sans-papiers. Au-delà du milliard d'euros de l'aide médicale d'État, la commissaire aux finances évalue à plus de 400 millions d'euros les dépenses de cinq autres dispositifs. "Si quelqu'un est malade, on doit le soigner", lui a répondu le ministre Olivier Véran.

Faut-il revoir la politique des soins aux personnes étrangères en situation irrégulière ? Chaque année, le débat refait surface lors des discussions budgétaires à l'Assemblée nationale. Rapporteure spéciale des crédits "Santé" du Budget de l'État, Véronique Louwagie (Les Républicains) a présenté mercredi soir, en présence d'Olivier Véran, sa propre évaluation d'une politique jugée "trop généreuse".

L'aide médicale d'État (AME) en est le principal pilier. En 2020, elle a permis à 368 890 personnes étrangères en situation irrégulière de bénéficier d'un panier de soins sans participation forfaitaire, ni franchise médicale. Les dépenses du programme se sont élevées à 928,3 millions d'euros en 2020, en recul de 1% par rapport à 2019. Mais pour la députée, l'AME à elle seule ne résume pas l'étendue des dépenses médicales consacrées à cette population :

Contrairement à une croyance répandue, les soins aux étrangers en situation irrégulière ne se limitent pas aux soins prodigués dans le cadre de l'aide médicale d'État. Ces soins sont beaucoup plus larges et couvrent au moins onze dispositifs différents. Véronique Louwagie, le 26 mai 2021

Véronique Louwagie estime qu'en 2019, le coût agrégé de l'AME et de cinq autres dispositifs s'élève en réalité "à au moins 1,5 milliard d'euros". "Cela représente une dépense supérieure au budget annuel du troisième ensemble hospitalier de France, l’assistance publique des hôpitaux de Marseille composée de quatre hôpitaux et de 14 000 salariés", compare-t-elle.

S'appuyant sur une "méthodologie qui comporte certaines limites", la rapporteure affirme que ses estimations sont "globalement prudentes" et précise ne pas inclure six dispositifs qu'elle n'a pas pu évaluer de "manière fiable" sur les onze recensés.

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Tableau extrait du rapport de Véronique Louwagie
Tableau extrait du rapport de Véronique Louwagie (p. 49)

Des affiliations irrégulières à la Sécurité sociale

Parmi les dispositifs additionnels à l'AME - dont elle revalorise au passage de 16 % le total en se basant sur un rapport de l'Inspection général des finances* -, elle cite par ordre budgétaire croissant : les soins dispensés en rétention administrative, les permanences d'accès aux soins de santé (PASS), les soins dispensés à Mayotte (qui concerneraient des étrangers pour une large part), la mission d'intérêt général précarité et le maintien des droits à l'Assurance maladie.

Ce dernier poste, qu'elle chiffre à 165,8 millions d'euros par an, concerne les étrangers dont le titre de séjour a expiré. Théoriquement, ils peuvent prétendre à six mois supplémentaires d'affiliation à la protection universelle maladie (PUMa) et à la complémentaire santé solidaire (C2S), soit le régime prévu pour les étrangers en situation régulière ou les réfugiés politiques.

Cependant, une vaste opération de contrôle lancée par la Caisse primaire d'Assurance maladie à l'automne 2020 sur plus de 400 000 dossiers d'assurés dont le titre de séjour était expiré depuis au moins 3 mois a entraîné, sur 228 841 dossiers instruits à date, 25 000 décisions de fermeture de droits. La rapporteure ajoute à ces dossiers irréguliers 5 000 autres cas de personnes ayant perdu leur titre de séjour mais qui ont travaillé les mois précédents. Cette situation ne leur permet de prétendre ni à la PUMa ni à l'AME, dont l'accès est conditionné à un très faible niveau de vie. La CPAM attend cependant une instruction du ministère des Solidarités et de la Santé avant de procéder à la fermeture effective de leurs droits.

En extrapolant le chiffre des "13% de dossiers" qui ont bénéficié à tort du maintien des droits à la Sécurité sociale en lieu et place de l'AME aux 400.000 dossiers en train d'être contrôlés, la députée LR chiffre à un peu plus de 52.000 "le nombre d'étrangers bénéficiant indûment de la procédure de maintien de droit". "Cela n'est pas acceptable", tranche-t-elle, ajoutant que la Sécurité sociale supporte un coût qui relève normalement d'une politique de l'État.

À travers ce calcul, la rapporteure spéciale propose également une réévaluation à la hausse du nombre d’étrangers en situation irrégulière, habituellement déduit du nombre de bénéficiaires à l'AME. En ajoutent ces 52 000 dossiers retoqués, "le nombre d’étrangers en situation irrégulière serait, en métropole, plus proche de 400 à 450 000 que de 350 à 400 000", peut-on lire dans son rapport (p. 56). 

La réponse du ministre de la Santé

Interpellé sur une réforme de l'AME et du système de maintien des droits par la députée, le ministre de la Santé, Olivier Véran, lui a répondu que "la très large majorité de ces dépenses sont nécessaires et incompressibles en l'état actuel de notre pays".

Olivier Véran a aussi fait valoir le "principe de réalité" : "Si quelqu'un est malade, on va le soigner, on ne va pas lui demander s'il a le bon papier", a-t-il insisté. Le ministre a enfin souligné qu'"à chaque fois qu'on rogne sur l'AME (...) ça alourdit considérablement la dette des hôpitaux, qui soignent à l'oeil".

Ouvert à davantage de transparence, il a promis à Véronique Louwagie plus de données sur la nationalité des bénéficiaires de l'AME et la nature des pathologies.

En 2019, sous l'impulsion du gouvernement, la majorité avait accepté de revoir très légèrement à la baisse l'aide médicale d'État, fracturant au passage le groupe La République en marche sur le sujet. 


* Selon ce rapport paru en 2019, "la complexité des règles de facturation" empêche les hôpitaux d’imputer à l’AME ou aux soins urgents l’intégralité des soins aux étrangers en situation irrégulière. Les auteurs estiment la sous-évaluation de la dépense hospitalière supérieure à 8 %, à quoi s’ajoutent des frais de gestion de l’ordre de 8 %.