Violences sexuelles et sexistes : les députés valident l'inscription du "contrôle coercitif" dans le droit pénal

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Aurore Bergé, le 28 janvier 2025. LCP
Les violences faites aux femmes ne se résument pas aux coups, déclare Aurore Bergé. LCP
par Maxence Kagni, le Mercredi 29 janvier 2025 à 07:47, mis à jour le Mercredi 29 janvier 2025 à 09:26

La proposition de loi "visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes", adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale ce mardi 28 janvier, inscrit la notion de "contrôle coercitif" dans le code pénal afin de sanctionner ce phénomène. Mais la définition retenue, jugée imparfaite, devrait évoluer au fil de la navette parlementaire.

"Les violences faites aux femmes ne se résument pas aux coups, elles ne commencent jamais d'ailleurs par les coups". L'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, la proposition de loi "visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes". Approuvé par 137 voix contre 20, le texte inscrit dans le code pénal la notion de "contrôle coercitif" et étend le dispositif de prescription glissante aux majeurs victimes de viol, alors qu'il est actuellement limité aux viols sur mineurs.

La proposition de loi, issue d'un travail transpartisan, a été signée par plus d'une centaine de députés issus de la coalition présidentielle, de la droite et du groupe LIOT, ainsi que par une députée Gauche démocrate et républicaine. Il avait été déposé en décembre 2024 par Aurore Bergé (Ensemble pour la République), devenue depuis ministre déléguée chargé de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations.

"Les violences prennent des formes insidieuses, elles s'infiltrent dans notre quotidien par des comportements apparemment anodins", a rappelé mardi soir Aurore Bergé à la tribune de l'Assemblée. Colette Capdevielle (Socialistes) ajoutant que ce "terrorisme patriarcal" précède "9 fois sur 10 les féminicides".

"Un état de peur ou de contrainte"

Dans l'hémicycle, les députés ont donc validé l'inscription dans le code pénal de la notion de contrôle coercitif, une forme de violence psychologique consistant en "des mécanismes destructeurs par lesquels un agresseur prive une victime de ses ressources et de ses droits fondamentaux". Théorisée en 2007 par le sociologue des violences conjugales Evan Stark, cette notion a été utilisée par la cour d'appel de Poitiers, le 31 janvier 2024, dans cinq arrêts concernant des infractions pénales, telles que les violences habituelles, le harcèlement et les menaces de mort.

"Ces arrêts expliquent que les agissements sont divers et cumulés et que, pris isolément, ils peuvent relativisés", a expliqué la rapporteure Maud Bregeon (Ensemble pour la République). "Dans leur ensemble, ils forment en réalité un tout cohérent", a ajouté la députée, qui évoque des victimes "piégées dans une relation où elles doivent obéissance et soumission".

L'Assemblée nationale a adopté un amendement de Sandrine Josso (Les Démocrates) qui donne une définition précise du contrôle coercitif. Il s'agit de "propos ou comportements répétés ou multiples, portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux de la victime, ou instaurant chez elle un état de peur ou de contrainte dû à la crainte d’actes exercés directement ou indirectement sur elle-même ou sur autrui, que ces actes soient physiques, psychologiques, économiques, judiciaires, sociaux, administratifs, numériques, ou de toute autre nature".

L'amendement interdit d'imposer un "contrôle coercitif" sur "la personne de son conjoint, de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou de son concubin" mais aussi sur un ex-conjoint, un ex-concubin ou un ex-partenaires de Pacs.

Jusqu'à dix ans d'emprisonnement

Le fait d'imposer un contrôle coercitif serait puni de trois ans de prison et de 45.000 euros d'amende si les faits ont causé une incapacité totale de travail (ITT) inférieure ou égale à huit jours ou n'ont entraîné aucune incapacité de travail. La peine encourue passerait à cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende lors que les faits ont causé une ITT supérieure à huit jours.

La peine pourrait ensuite être de sept ans d'emprisonnement et de 100.000 euros d'amende, notamment lorsque les faits ont entraîné chez la victime une situation de handicap, et être portée jusqu'à dix ans d'emprisonnement et de 1.000.000 d'euros d'amende dans certains cas précis, comme lorsque les faits ont été commis en présence d'un mineur.

Par ailleurs, l'amendement précise que les professionnels soumis au secret professionnel pourront malgré tout "signaler des actes de contrôle coercitif lorsqu’ils mettent en danger la vie ou la sécurité des victimes". Des peines complémentaires pourraient également être prononcées, comme le retrait ou la suspension de l’autorité parentale, l’interdiction de contact ou encore de résidence proche de la victime.

Vers une loi-cadre ?

Bien que réécrite par rapport à la version initiale du texte, cette définition n'est pas encore "parfaite", a estimé Colette Capdevielle (Socialistes), qui a soutenu le dispositif tout en appelant à continuer à le "travailler", notamment dans le cadre de la navette parlementaire. "A ce stade, on a un consensus, c'est qu'on n'est pas sûres que les formulations que l'on propose ne vont pas limiter des droits qui existent déjà", a quant à elle considéré Sandra Regol (Ecologiste et Social).

En début de séance, Sophie Blanc (Rassemblement national) a dénoncé un texte qui "souffre d'un manque de travail législatif sérieux", pointant "l'absence d'avis du Conseil d'Etat". "Nous ne pouvons pas nous permettre de légiférer à la hâte sur des sujets aussi sensibles", a-t-elle souligné.

De son côté, Elise Leboucher (La France insoumise) a mis en cause un texte qui ne "s'en tient, hélas, qu'à une approche procédurale et parcellaire, sans tenir compte du caractère structurel et systémique des violences sexuelles et sexistes et des violences intrafamiliales". En outre, comme Colette Capdevielle (Socialistes) et Sandra Regol (Ecologiste et Social), elle a déploré le "manque de moyens" du "service public de la justice". Au moment du vote final, seuls les membres du groupe LFI ont majoritairement voté contre le texte.

Plusieurs députées ont par ailleurs, à l'instar d'Agnès Firmin Le Bodo (Horizons) et Elsa Faucillon (Gauche démocrate et républicaine), demandé l'examen "d'une loi-cadre permettant de traiter l'ensemble des enjeux relatifs aux violences faites aux femmes et aux enfants". En réponse, la ministre déléguée chargé de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Aurore Bergé, a annoncé la création d'un groupe de travail dans lequel seraient représentés les groupes politiques de l'Assemblée nationale. Son but : étudier "l'opportunité de cette loi-cadre", en lien avec le ministère de la Justice.

Pas d'imprescriptibilité civile des viols

Le texte adopté mardi étend également la prescription glissante aux majeurs victimes de violences sexuelles. Cette notion, introduite dans le droit en 2021, s'applique actuellement aux cas de crimes sexuels, de délits sexuels et d'inceste, commis sur mineurs. 

Avec ce dispositif, le délai de prescription d'un viol pourrait être prolongé :

  • si la même personne viole ou agresse sexuellement une autre victime,
  • si le délai de prescription du premier acte n'est pas atteint.

Cette prolongation serait alors effective jusqu'à la date de prescription de la nouvelle infraction. "Nous faisons en sorte que chaque victime sache qu'elle peut parler, même des années plus tard et que sa parole ne sera jamais vaincue par le temps", a expliqué Aurore Bergé.

Prolongation des gardes à vue

Les députés ont aussi adopté un amendement du gouvernement qui porte à 30 ans de prison la peine encourue pour "la commission en concours de plusieurs viols". Ce même amendement prévoit deux nouvelles circonstances aggravantes en cas de viol : la préméditation et le fait que le viol ait été commis dans un lieu d'habitation.

Un autre amendement du gouvernement, adopté lui aussi, permet un allongement de la durée maximale de la garde à vue à 72 heures lorsque la mesure porte sur certaines infractions comme le meurtre, l'assassinat, l'empoisonnement, les viols. L'amendement, "déposé dans la nuit", a cependant été critiqué par Colette Capdevielle (Socialistes) : "On ne peut pas modifier comme cela le code de procédure pénale", a déploré l'élue.

Enfin, la proposition de loi proposait initialement de consacrer "l’imprescriptibilité civile des viols commis sur des mineurs", afin de leur permettre d'"obtenir une réparation" mais la disposition avait été supprimée lors de l'examen du texte en commission des lois. Les députés n'ont pas rétabli cet article en séance publique, Danièle Obono (La France insoumise) estimant, par exemple, que le dispositif nécessitait "un avis du Conseil d’État".