Lutte contre la fraude fiscale : l’Assemblée vote la surveillance des contribuables sur Internet

Actualité
par Jason Wiels, le Jeudi 14 novembre 2019 à 15:42, mis à jour le Jeudi 27 février 2020 à 17:15

Les députés ont approuvé l'expérimentation pour trois ans de la collecte massive de données sur les réseaux afin de renforcer la lutte contre la fraude fiscale. Malgré l'adoption de plusieurs amendements pour l'encadrer, le dispositif a suscité de vives inquiétudes sur les libertés publiques.

Pour Gérald Darmanin, il était urgent de doter les services fiscaux de nouveaux moyens pour lutter contre la fraude : "Il faut que les voitures des gendarmes roulent aussi vite que celles des voleurs", a plaidé le ministre de l'Action et des Comptes publics pour que le fisc soit autorisé à utiliser des robots pour scanner Internet de manière automatisée.

Les députés ont accédé à la demande du gouvernement en approuvant l'article 57 du projet de loi de finances en première lecture mercredi soir. Il prévoit une expérimentation de trois ans qui fera l'objet d'une évaluation à mi-étape.

Méthode nouvelle

Concrètement, les données rendues publiques par les internautes sur les sites marchands type Le Bon coin, mais aussi sur les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter ou encore les forums de discussion pourront être aspirées et recoupées par les futurs algorithmes de Bercy.

Les inspecteurs des impôts surveillent déjà de manière ciblée l'activité en ligne des Français soupçonnés de fraude. Demain, non seulement le volume de données traitées sera démultiplié mais c'est aussi toute une nouvelle philosophie qu'appliqueront les agents du fisc et des douanes. Car les données de Monsieur-tout-le-monde seront potentiellement scrutées et pas seulement celles de ceux suspectés de tricher.

Un "renversement des méthodes de travail" remarqué par la Commission nationale de l'informatique et des libertés qui, dans un avis au vitriol contre l'article du gouvernement, s'est inquiétée d'un dispositif "susceptible de porter atteinte à la liberté d'opinion et d'expression" des personnes concernées.

Pour défendre ce nouvel outil, Gérald Darmanin a filé la métaphore entre la vidéo-surveillance dans la rue et les robots qu'utiliseront ses services : "Comme pour le policier municipal avec les images des caméras, on donnera la possibilité à un regard humain - celui du contrôleur fiscal - de voir si les données sélectionnées par l'algorithme sont de nature ou non à être regardées dans un sens conflictuel."

Crainte sur les libertés

Mais de nombreux députés ont déploré les dérives potentielles ouvertes par un tel système (voir vidéo en une), pointant telle Véronique Louwagie (LR) le risque d'une "surveillance généralisée de la population".

Le député corse Michel Castellani s'est aussi vigoureusement opposé à cette expérimentation :

Pouvez-vous garantir que demain il n'y aura pas un gouvernement qui profitera de ces moyens effrayants pour nous priver totalement de notre liberté individuelle ?Michel Castellani, député "Libertés et territoires"

Emmanuelle Ménard (non inscrite rattachée au RN) y voit elle une atteinte à la liberté d'expression : "Cette collecte générale de données personnelles ne pourra qu’entraîner une autocensure spontanée des Français afin que leur expression ne soit pas utilisée contre eux par l'administration fiscale !"

Des réticences importantes jusque dans les rangs de la majorité : "Le vrai souci, c'est que le fisc va collecter des données de personnes qui ne sont absolument pas des fraudeurs fiscaux", déplorait dans nos colonnes Philippe Latombe (MoDem) qui a voté contre l'article.

Par rapport à sa version initiale, le texte a toutefois été amendé sur plusieurs points par la majorité. Le traitement et la conservation des données collectées ne pourront être sous-traités par l'Etat. L'administration devra détruire au plus tard cinq jours après leur collecte les données collectées sensibles ou sans lien avec les infractions recherchées, au lieu de trente initialement. Les autres données pourront être conservées "jusqu'au terme de la procédure" en cas de constatation d'une infraction.

Avant d'entrer en vigueur l'année prochaine, le dispositif doit encore être examiné par le Sénat puis par le Conseil constitutionnel.

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