Agriculture : les députés adoptent une proposition de loi visant à lutter contre la "disparition des terres agricoles"

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par Raphaël Marchal, le Mercredi 12 mars 2025 à 09:30

Les députés ont adopté en première lecture, dans la nuit de mardi à mercredi 12 mars, une proposition de loi visant à lutter contre le phénomène de "consommation masquée" des terres agricoles, lorsque des non-agriculteurs achètent des terres agricoles pour en modifier l'usage. Très largement adopté, ce texte transpartisan porté par Peio Dufau (apparenté Socialistes), va maintenant devoir être examiné au Sénat. 

C'est un phénomène passé un temps sous les radars : l'achat de terres agricoles en vue de leur usage comme terrains d'agréments par des acquéreurs non-agriculteurs. Cette "consommation masquée" s'est intensifiée avec la crise sanitaire, le développement du télétravail et des maisons de campagne. Mises bout à bout, ces acquisitions-conversions pèsent lourd : sur la seule année 2023, c'est une superficie équivalant à 2,5 fois celle Paris qui a été détournée de son usage agricole.

Des outils de régulation du foncier agricole existent, notamment exercés par les Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer), mais ne sont pas infaillibles. Les Safer disposent ainsi d'un droit de préemption. Cependant des possibilités de contournements existent, notamment dans le cas où une habitation se trouve sur les terres mises en vente. Dans les zones prisées, le coût du bâti peut ainsi largement dépasser celui des terres agricoles. La Safer peut proposer une préemption partielle, mais le propriétaire peut refuser de scinder ses biens, ce qui arrive dans plus de 8 cas sur 10. Le droit de préemption de la Safer se révèle alors inopérant pour prévenir la spéculation sur le prix du foncier, notamment aux alentours de zones touristiques, où le prix du bâti flambe. Des cas ont été particulièrement médiatisés ces dernières années.

"A Arbonne, on a occupé une maison pour essayer de casser une vente irresponsable", a témoigné, mardi 11 mars, Peio Dufau (apparenté Socialistes) dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Le député des Pyrénées-Atlantiques faisait référence à l'occupation, pendant 100 jours, d'un lot situé non loin de la côté basque, mis en vente à 3,2 millions d'euros. Le propriétaire refusait justement de séparer les terres du bâti.

Il faut protéger aujourd'hui la surface agricole utile, c'est un trésor. Annie Genevard, ministre de l'Agriculture

C'est en ayant ce cas d'espèce en tête que Peio Dufau porte la proposition de loi "visant à lutter contre la disparition des terres agricoles et à renforcer la régulation des prix du foncier agricole", qui a été adoptée en première lecture par 203 voix contre 3. De l'aveu même de l'élu, il ne se s'agit pas du grand soir du foncier agricole ; bon nombre d'orateurs ont d'ailleurs regretté l'absence de mesures liées au foncier agricole dans le projet de loi d'orientation agricole, qui a été définitivement adopté par le Parlement fin février.

Une évolution d'autant plus nécessaire que les deux tiers des agriculteurs partiront à la retraite dans les 10 années qui viennent, et que les cas risquent de se multiplier. "Ce sont autant de terres qui risquent de changer de mains, et si on ne vient pas protéger la vocation agricole de ces terres, elles seront perdues", a mis en garde Peio Dufau

Ce texte technique adopté par l'Assemblée entend renforcer le droit de préemption des Safer, en leur permettant d'obtenir un acte de cession qui sépare les terrains à usage agricole des bâtiments d’habitation. Les Safer pourront ainsi préempter uniquement les seuls terrains agricoles. Le texte prévoit également d'étendre le droit de préemption des Safer à de nouvelles communes, et instaure un droit de visite.

Annie Genevard met en garde contre un risque d'inconstitutionnalité

Le texte, qui avait été voté à l'unanimité en commission, a fait l'objet d'un assez large consensus dans l'hémicycle. "Nous avons trop tardé à mettre en place une politique foncière agricole ambitieuse", a déploré Julien Dive (Droite républicaine), co-signataire de la proposition de loi.

"Si je m'associe pleinement à l'objectif que vous visez, celui de la fin de la déprise agricole, j'émets toutefois une alerte d'ordre juridique. Pour que les dispositifs soient pleinement efficaces, il est nécessaire qu'il s'inscrivent pleinement dans le respect des droits et libertés constitutionnellement garanties, notamment le droit de propriété", a toutefois mis en garde la ministre de l'Agriculture, Annie Genevard. La ministre, qui a défendu sans succès plusieurs amendements, a appuyé pour que des modifications soient apportées à la proposition de loi au cours de la navette parlementaire. Le texte va désormais être transmis au Sénat.