Budget 2022 : l'Assemblée vote la dernière loi de finances de la législature

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Bruno Le Maire et Olivier Dussopt lors de la présentation du Budget 2022, le 23 septembre 2021 (AFP)
par Jason Wiels, le Lundi 15 novembre 2021 à 10:39, mis à jour le Mardi 16 novembre 2021 à 18:31

Les députés ont voté mardi le projet de loi de finances pour 2022 en première lecture. Au fil des débats et des amendements du gouvernement, la hausse des dépenses a doublé par rapport au texte initial, passant de 12 à 24 milliards d'euros.

Budget de crise, de relance ou de campagne électorale ? L'examen du dernier projet de loi de finances du quinquennat a occupé l'hémicycle pendant plusieurs semaines, oscillant entre la fin prétendue du "quoi qu'il coûte" et le lancement tous azimuts de mesures se chiffrant souvent en milliards d'euros. Le texte, adopté mardi en première lecture par 348 voix contre 205, a changé d'ampleur au fil des amendements dévoilés au coup par coup par le gouvernement. Retour sur trois mois de zigzag budgétaire.

Septembre : la fin en trompe-l'œil du "quoi qu'il en coûte"

Nous sommes le 22 septembre. Pour la cinquième année de suite, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire présente le budget pour l'année à venir. L'exécutif n'avait jamais déposé son texte aussi tôt au Parlement, laissant un peu plus de temps qu'à l'accoutumée pour que majorité et opposition affûtent leurs arguments et leurs amendements.

Les nuages de la crise sanitaire semblent se dissiper, le ministre souligne alors que "95% de l'économie française tourne normalement". Mieux, il veut croire au "miracle français"  à travers une croissance qui retrouve des couleurs en 2021 (6%) et qui devrait se maintenir à haut niveau en 2022 (4%), laissant augurer un retour au niveau de richesse national de 2019 plus tôt que prévu. Le chômage continue sa décrue, aidé selon Bruno Le Maire par une dépense "à bon escient de l'argent des Français". En dix-huit mois, le pays s'est endetté de 165 milliards d'euros pour contrer la crise liée au Covid-19.

Dès juin, l'exécutif avait planifié une normalisation de la situation économique, avec la fin des aides emblématiques telles que le fonds de solidarité, les prêts garantis par l'État ou l'accès au chômage partiel pour toutes les entreprises. Cependant, loin de se stabiliser, les dépenses de l'État sont encore orientées à la hausse. Quasiment tous les ministères voient leurs crédits augmenter : Armées, Éducation, Justice, Intérieur, Transition écologique...

Au total, plus de 12 milliards d'euros de dépenses supplémentaires sont ainsi proposés au vote des parlementaires, hors crise et hors plan de relance voté en 2020. Une petite musique, venue de la droite notamment, se met en place sur la "politique du carnet de chèque" du gouvernement. "Que ceux qui dénoncent les dépenses excessives disent lesquelles, parmi celles que nous avons annoncées, ils retrancheraient", leur répond Bruno Le Maire.

Cependant, ce sont surtout les cases vides laissées par l'exécutif qui interrogent le plus. Pierre Moscovici ouvre le bal : "Nous avons été saisi d'un texte incomplet (..) qui ne nous permet pas de rendre un avis pleinement éclairé sur les prévisions de finances publiques pour 2022", souligne publiquement le premier président de la Cour des comptes, aussi à la tête du Haut conseil des finances publiques. Les oppositions s'engouffrent dans la brèche d'un texte qu'elles jugent au choix, "à trous" ou "insincère". L'exécutif nourrit en effet ces accusations en empilant les annonces non chiffrées : nouveau plan de relance (combien de milliards ?), revenu pour les jeunes (pour qui ?), rénovation des services publics à Marseille (jusqu'où ?), etc.

Octobre : l'exécutif comble les "trous" à coups de milliards

Ce n'est que lors de l'arrivée du premier volet de projet de loi en séance, consacré aux recettes, que l'exécutif complète, touche par touche, un tableau encore impressionniste. Laurent Saint-Martin, le rapporteur général du budget, estime au nom de la majorité que "5 à 6 milliards d'euros supplémentaires" seront nécessaires pour financer les mesures encore absentes du texte. Ce sera finalement le double. 

La hausse des prix de l'énergie (gaz, électricité et carburants) contribue à déjouer les prévisions. Le 14 octobre, le gouvernement défend en urgence plusieurs amendements pour proposer "un bouclier tarifaire" au vote des députés. Objectif : contenir la flambée des prix par des blocages ou des hausses de tarif limités, mais aussi indemniser les producteurs d'énergie pour éviter les contentieux. Dans l'hémicycle, le ministre des Comptes publics, Olivier Dussopt, bute sur une question pourtant incontournable en pleine loi de finances : quel est le coût d'une telle mesure ?

Ce n'est que quatre jours plus tard que le ministre évoque dans la presse le chiffre de 5,1 milliards d'euros. Une estimation qui s'ajoute au coût programmé de la hausse de 100 euros du chèque énergie pour 5,8 millions de ménages modestes (600 millions d'euros).

Autre surprise, alors même que le chiffrage du plan France 2030 se fait attendre : l'annonce le 21 octobre d'une "indemnité inflation" de 100 euros pour 38 millions de Français gagnant moins de 2000 euros par mois. Cette fois le calcul est simple : 3,8 milliards d'euros supplémentaires seront dépensés, mais l'exécutif les fait d'abord peser sur l'exercice 2021 à travers une dernière loi de finances rectificatives. Ce dernier budget rectificatif est aussi alourdi par une rallonge de 2 milliards d'euros à France compétences, car les demandes de formation et de reconversion professionnelles explosent.

Pour éponger ces dépenses surprises, le gouvernement dispose cependant de deux atouts. La révision à la hausse de la croissance de 6 à 6,25% pour 2021 – elle pourrait même tutoyer les 7% selon les dernières estimations – et l'annulation de 7,3 milliards d'euros de crédits destinés à lutter contre la crise sanitaire et finalement inutilisés. 

Novembre : le déficit sur la corde raide

Les rentrées fiscales plus élevées qu'attendu ne seront toutefois pas suffisantes pour financer les amendements de dernière minute dévoilés début novembre par les locataires de Bercy. Sur la forme, le président de la commission des finances Éric Woerth (LR) proteste contre la méthode :

On doit être à une cinquantaine d'amendements du gouvernement, de toute nature ! (...) Je veux bien qu'en temps de crise on ait besoin d'un peu de temps mais, enfin, le Parlement a bien du mal à y voir clair. Éric Woerth, le 8 novembre 2021

En tout, le pouvoir dépose 125 amendements pour rectifier son texte. Chose rare, neuf d'entre eux sont jugés irrecevables, à cause notamment d'une rédaction jugée imprécise. 

Sur le fond, les députés sont par exemple invités le 8 novembre à entériner l'amendement "le plus cher de la Ve République", comme l'a surnommé la présidente du groupe socialiste Valérie Rabault. Celui-ci ouvre une enveloppe de 34 milliards d'euros pour les années à venir, dont 3,5 milliards d'euros de crédits dès 2022 pour financer les annonces présidentielles de France 2030, censées favoriser l'innovation et décarboner l'économie française. 

D'ordinaire favorable à la dépense publique, la gauche cherche le bon angle d'attaque. Sur les bancs de La France insoumise, les députés dénoncent "un affichage électoraliste" et soupçonnent un "recyclage" d'autres dépenses déjà gagées. Les communistes doutent de la "réalité" des annonces. Il n'en est rien promet la ministre chargée de l'Industrie, Agnès Pannier-Runacher : ces crédits ne sont pas redéployés, il s'agira bien d'argent frais injecté dans les rouages de l'économie tricolore.

Quelques jours plus tôt, c'est le contrat d'engagement jeune qui est adopté. Destiné aux moins de 26 ans pour les jeunes inscrits "dans la recherche active d'un emploi", ce contrat prévoit de verser jusqu'à 500 euros par mois aux futurs bénéficiaires (jusque 400.000 personnes concernées). La ministre du travail fait inscrire 550 millions d'euros supplémentaires pour financer en partie le dispositif, censé démarré le 1er mars 2022.

Enfin, signe ultime que les robinets sont finalement toujours ouverts, Bruno Le Maire prolonge finalement les prêts garantis par l'État jusqu'à fin juin 2022, quelques semaines seulement après avoir promis la fin du dispositif. 

L'heure des comptes a lieu dans la nuit du vendredi 12 novembre. Après une longue journée de débat, Olivier Dussopt présente une réécriture de l'article d'équilibre du budget. En plus des 12 milliards d'euros du projet de loi initial, 12 autres milliards sont venus s'ajouter au fil de la discussion (dont 1,1 milliard au titre de l'alourdissement de la charge de la dette), soit un doublement des dépenses dites ordinaires. Pour mettre en perspective ces quelque 24 milliards d'euros, la réponse budgétaire à la crise des Gilets jaunes avait mobilisé 17 milliards d'euros en 2019. 

Le gouvernement prévoit désormais un déficit public à 5% du PIB en 2022 (4,8% initialement), barre qu'il a promis de ne pas dépasser. "On atteindra 5,2 ou 5,3%", prédit plutôt Charles de Courson (Libertés et Territoires). "Pour faire la synthèse, le déficit de l’État, qui se montait à 143 milliards d’euros lors du dépôt du texte, est passé à 155 milliards", résume Éric Woerth.