La situation politique rendant impossible l'adoption d'un projet de loi de finances en bonne et due forme d'ici à la fin de l'année, le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé jeudi 5 décembre à la télévision le dépôt d'un "projet de loi spéciale", afin de permettre au pays de fonctionner en attendant le vote d'un véritable budget en début d'année prochaine. Explications.
"Les services publics fonctionneront. les entreprises pourront travailler, nos obligations seront tenues." Jeudi 5 décembre au soir, lors de son allocution télévisée, Emmanuel Macron a pris l'engagement de la continuité de l’Etat, malgré la censure du gouvernement de Michel Barnier. Pour ce faire, alors que la situation politique rend impossible l'adoption d'un projet de loi de finances en bonne et due forme, le président de la République a annonce le dépôt d'un "projet de loi spéciale" avant la mi-décembre, afin permettre au pays de fonctionner à partir du 1er janvier.
Cette procédure destinée à parer à l'urgence est prévue par l'article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui découle de l'article 47 alinéa 4 de la Constitution. Objectif : autoriser le gouvernement "à continuer à percevoir les impôts existants jusqu'au vote de la loi de finances de l'année". Pour cela, la loi spéciale devra être adoptée par le Parlement et promulguée d'ici à la fin du mois de décembre. S'agissant d'un budget partiel et provisoire destiné à éviter un "shutdown" à l'américaine, la plupart des forces politiques ont d'ores et déjà indiqué qu'elles voteraient ou, à défaut, ne s'opposeraient pas à ce texte essentiellement technique.
Une fois cette étape franchie, le gouvernement pourra ensuite par décrets les crédits applicables aux seuls "services votés", c'est-à-dire le strict nécessaire pour assurer le fonctionnement des services publics. Jusqu'à ce qu'une loi de finances en tant que telle soit débattue et adopté en début d'année prochaine, c'est donc le budget de 2024 qui sera donc reconduit dans ses grandes lignes par la loi spéciale.
Si Emmanuel Macron mettait plus de temps que prévu à nommer le prochain Premier ministre, ou si celui-ci avat besoin de temps pour composer son gouvernement, le projet de loi spéciale pourrait d'ailleurs être porté par l'équipe sortante, chargée d'assurer le traitement des affaires courantes. "L'idée, c'est d'assurer la continuité de l'Etat. Cela ferait donc partie des prérogatives d'un gouvernement démissionnaire", explique Anne-Charlène Bezzina, maîtresse de conférences en droit public à l'Université de Rouen.
Une incertitude demeure, en revanche, concernant ce qu'il est possible de faire, ou pas, au-delà de la stricte reconduction des impôts dans le cadre d'une loi spéciale. Ces derniers jours, le gouvernement sortant et ses soutiens ont largement mis en garde contre le gel du barème de l'impôt sur le revenu si la censure était votée et empêchait de fait l'adoption d'une loi de finances en bonne et due forme.
Chaque année, ce barème est réévalué en fonction de l'inflation. Un gel impliquerait donc une hausse des impôts pour une majorité de foyers, voire l'entrée dans l'impôt d'environ 300 000 personnes. Plusieurs parlementaires ont fait part de leur volonté d'introduire par voie d'amendement un dispositif remédiant à cette situation. "Mais l'objet de cette loi spéciale est tellement limité, que l'idée qu'on puisse introduire un barème de l'impôt sur le revenu semble compliquée", juge Anne-Charlène Bezzina.
Les amendements qui tenteraient d'élargir son objet pourraient être déclarés irrecevables, notamment au titre de l'article 40 de la Constitution, qui neutralise les amendements ayant pour conséquence une diminution des ressources publiques. "Et l'article 45 de la Lolf évoque seulement les crédits de la loi de finances dernièrement votée, c'est-à-dire celle de 2024", explique l'enseignante-chercheuse.
Enfin, même dans l'hypothèse où de tels amendements seraient considérés recevables et votés, ils pourraient en théorie être censurés par le Conseil constitutionnel en cas de saisine. Jeudi 5 décembre au soir, lors de son intervention télévisée, Emmanuel Macron a d'ailleurs semblé considéré que la question du barème devra être réglée par le projet de loi de finances qui devra être présenté en début d'année prochaine, afin de doter la France d'un véritable budget pour 2025. Evoquant ce texte, le chef de l'Etat a indiqué qu'il aura notamment pour objectif de "protéger les Français des hausses d'impôts mécaniques liées à l'inflation".