Crèches : le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale adopté, LFI présente un "contre-rapport"

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par Adèle Daumas, le Mardi 28 mai 2024 à 09:15, mis à jour le Mardi 28 mai 2024 à 11:11

La commission d'enquête "sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements" a adopté le rapport de Sarah Tanzilli (Renaissance), qui fait le constat d'un système globalement "à bout de souffle". La France insoumise, qui avait été à l'initiative de cette commission d'enquête, a publié un "contre-rapport" qui cible le secteur privé lucratif. 

En juin 2022, un bébé meurt empoisonné dans une crèche privée à Lyon. Le drame, largement médiatisé, contribue à libérer la parole des parents et des professionnels à propos des mauvais traitements subis par des enfants dans certaines crèches. Et en novembre dernier, William Martinet (La France insoumise) propose la création d'une commission d'enquête pour faire la lumière sur une "maltraitance institutionnelle" et ses causes. 

En dépit des réticences des groupes Renaissance, Les Républicains et Démocrate, qui considèrent disposer "de suffisamment de travaux objectifs et étayés" et y voient un acharnement contre le "modèle privé" qui était initialement le seul ciblé, la commission d'enquête est lancée, mais élargie à l'ensemble du secteur. La présidence de l'instance est confiée à Thibault Bazin (Les Républicains), tandis que Sarah Tanzilli (Renaissance), est nommée rapporteure et William Martinet (LFI) vice-président.

Six mois plus tard, à l'issue de leurs travaux, les membres de la commission d'enquête ont adopté, lundi 27 mai, le rapport préparé par Sarah Tanzilli. Tous les députés présents lors de la réunion de la commission l'ont approuvé, les élus des groupes La France insoumise et Ecologiste ayant cependant décidé de s'abstenir. Les conclusions de la députée Renaissance remettent largement en cause le "modèle économique et les règles de fonctionnement des crèches", tandis que dans un "contre-rapport", son collègue LFI, William Martinet, se concentre sur le secteur "privé lucratif". 

Les défaillances sans lien avec la financiarisation et l'ouverture au privé ?

Dans la version initiale proposée par William Martinet, la commission ne devait s'intéresser qu'aux établissements privés et avait notamment pour objectif d'éclairer les "conséquences de la recherche de rentabilité sur les conditions d’accueil et de travail". Retoquée par les députés lors de son vote dans l'hémicycle, la proposition a été élargie à toutes les crèches, publiques comme privées.

Alors que le sujet avait fait débat entre les groupes politiques - certains craignant une commission d’enquête "à charge" contre le privé et estimant que ce n'était pas la meilleure façon d'avancer sur le sujet -, Sarah Tanzilli souligne dans ses conclusions que "les travaux ont démontré que les défaillances identifiées n’étaient pas la conséquence de l’ouverture du secteur des crèches au secteur privé et de la financiarisation du secteur", mais seraient de "nature systémique". "C'est le modèle économique et les règles de fonctionnement des crèches qui ont contribué à établir un cercle vicieux de la défaillance", précise-t-elle. 

Dans son contre-rapport, William Martinet soutient au contraire que les auditions ont permis d'établir un lien entre recherche de rentabilité et défaillances de la qualité d'accueil. Il indique notamment s'appuyer sur des chiffres donnés par la ministre déléguée chargée de l'Enfance, Sarah El Haïry, pour souligner que "les fermetures administratives concernent à 93% les gestionnaires privés, alors que ces derniers représentent 25% des berceaux". Il préconise donc le "gel des ouvertures de places du secteur privé lucratif et la réorientation des financements vers l’ouverture de places dans le public".

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Augmenter le nombre de personnels et leur qualification 

Pour améliorer la qualité de l’accueil, Sarah Tanzilli considère qu''il faut augmenter le nombre de personnels présents dans les structures par enfant. Elle préconise "un adulte pour 5 enfants d’ici 2027 et un adulte pour 4 enfants d’ici 2030" (contre 1 pour 6 enfants actuellement).

Par ailleurs, elle propose la mise en place d'une "carte professionnelle" dans le secteur de la petite enfance, dont la possession serait obligatoire pour exercer en crèche. L'objectif est d'écarter, grâce à un dispositif national - et non plus départemental comme c'est le cas actuellement -, les personnels "qui ont eu un comportement inquiétant ou malveillant avec les enfants".

William Martinet plaide, lui aussi, pour une augmentation de l'encadrement des jeunes enfants avec 1 personnel pour 5 enfants "au plus tôt", ainsi qu'une amélioration du "niveau d’exigence concernant les normes d’encadrement et la qualification des professionnelles".

Remettre la commune au coeur des solutions d'accueil

Faire de la commune "l'interlocutrice unique de l'accès à une solution d'accueil" pour les familles est l'une des préconisations phares de Sarah Tanzilli, partagée par William Martinet. Ce, afin de simplifier la recherche de place en crèche pour les familles (souvent contraintes de déposer de multiples dossiers) et donc limiter les inégalités d'accès à ces structures. Un "portail national unique", proposé par la rapporteure de la commission d'enquête permettrait de déposer une demande, qui sera traitée à l'échelle municipale.

Dans cette optique, la députée Renaissance propose aussi la suppression du "mécanisme de réservation de berceaux par les employeurs", qui crée "un véritable coupe-file" pour certaines familles et participe à l'inégalité d'accès aux crèches. De plus, ce système, basé sur le crédit d'impôt famille (CIFAM), finance sur deniers publics des intermédiaires qui se chargent à la place des employeurs de réserver des places en crèche.

De son côté, le député LFI souhaite faire l'accueil des jeunes enfants "une compétence obligatoire des communes, financée par une dotation de l’État" pour mettre fin au système de "tiers financeur". Les députés du groupe présidé par Mathilde Panot proposent même la création d'un "droit opposable" à l'accueil des jeunes enfants.

Aligner les normes des micro-crèches sur le régime des crèches

Enfin, Sarah Tanzilli considère qu'il faut revenir sur le régime spécifique aux micro-crèches et aligner ces structures sur les normes qui s'appliquent aux crèches, d'ici 2027. Créées en 2006, les micro-crèches sont les structures d'accueil qui connaissent la plus forte dynamique en termes de création de places. L'objectif était de développer des solutions dans les territoires ruraux, grâce à des établissements plus petits (12 places maximum) et dont "les standards de fonctionnement et le niveau de formation requis pour les professionnels sont inférieurs au droit commun des crèches".

Or, la commission d'enquête a mis au jour que ces règles dérogatoires "ne permettent pas une véritable qualité d'accueil". Par ailleurs, elles ne répondent pas à la promesse de réduire les inégalités territoriales puisque dans les faits, elles sont plus nombreuses dans les territoires urbains aisés, en raison de leur modèle de financement qui laisse un reste à charge aux familles plus élevé que pour les crèches traditionnelles. Cette proposition de réforme fait écho aux conclusions d'un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF), rendu en janvier dernier.

Au cours de l'année 2023, un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) puis une mission flash lancée par l'Assemblée nationale, avaient déjà mis en lumière la nécessité de réformer "un secteur en crise".