Après un discours de politique générale rassembleur et apaisant, au ton convenu, le Premier ministre a usé d'un autre style, faussement ingénu, mais plus direct et enlevé, entre piques et traits d'humour, dans sa réponse aux présidents des groupes politiques de l'Assemblée nationale.
C'est un avertissement sans frais à ceux qui auraient pu l'oublier, trop longtemps parti outre-Quiévrain régler la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, ou marqué par une candidature malheureuse à la primaire de la droite pour la présidentielle de 2022. Dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, Michel Barnier a opéré ce mardi 1er octobre sa résurrection d'animal politique, après une retraite publique de 3 ans passée sous les radars jusqu'à sa nomination à Matignon.
L'ex-négociateur en chef de l'UE chargé du Brexit était attendu. Et, au terme d'un exercice de déclaration de politique générale plutôt convenu, il a fait preuve d'une plus grande vivacité lors de ses réponses adressées du tac au tac aux différents présidents de groupe, alors que le cadran de l'horloge affichait déjà les 19 heures passées.
Le Premier ministre a tenté de se présenter dans ses "sabots" de Savoyard - "je veux avancer pas à pas, c'est mon tempérament de montagnard" -, voire de vieux barbon de la politique - "quelque fois on dit que je suis pas marrant, trop sérieux". Mais pour mieux dissimuler quelques piques bien senties, glissées calmement aux présidents des groupes parlementaires, notamment ceux qui l'avaient particulièrement visé au cours de leur réponse.
En filant la métaphore montagnarde, il a ainsi mis en garde Marine Le Pen : "Je fais toujours attention à là où je mets les pieds", a-t-il indiqué, alors même que la présidente du Rassemblement national, qui détient en partie son avenir politique entre ses mains, a rappelé plusieurs fois l'avoir "mis sous surveillance démocratique". Et d'indiquer son contentement à être jugé "sur ses actes".
Plusieurs fois, le même schéma s'est répété : une plaisanterie, voire une fausse ingénuité, puis une réponse, un recadrage, sans jamais élever le ton, en provoquant souvent le rire de son interlocuteur, une séquence devenue rare au cours des années précédentes. Il fallait voir les visages hilares de la présidente du groupe Ecologiste et social, Cyrielle Chatelain, et du président du groupe Gauche démocrate et républicaine, André Chassaigne, au moment d'être brocardés par le Premier ministre.
"J'ai quand même le sentiment que vous aviez écrit votre intervention avant de m'écouter. Peut-être que c'est une impression, mais si c'est le cas, je vous prie de m'excuser", a-t-il ainsi glissé ironiquement à l'Auvergnat. "J'étais engagé sur la question écologique avant vous", a rappelé l'ancien ministre de l'Environnement (1993-1995) à l'élue iséroise, réfutant tout "effet de manche" en la matière.
Aux quatre représentants du Nouveau Front populaire, il a fait le même reproche : celui d'une censure à priori, annoncée avant même d'avoir entendu les grandes lignes de sa politique. "Il faut que vous respectiez le gouvernement", a-t-il glissé dans un sermon adressé à Boris Vallaud (Socialistes et apparentés). "Où est ce que vous avez trouvé que je cherchais à vous faire peur ?", a-t-il demandé à Mathilde Panot (La France insoumise), faussement étonné de "l'agressivité" de la députée. Comme s'il sortait d'un long hibernage, et qu'il découvrait l'évolution de la teneur des débats à l'Assemblée, lui qui l'a dûment fréquentée entre 1978 et 1993. "Plus vous serez agressive, plus je serai respectueux", a poursuivi "l'ancien benjamin" du Palais-Bourbon, moquant de lui-même le fossé qui le sépare de cette époque.
C'est peut-être à Gabriel Attal qu'il a réservé la pique la plus remarquée. Alors qu'il critiquait - en creux - le sectarisme de La France insoumise, le Premier ministre a annoncé qu'il serait "très attentif" aux propositions du président du groupe Ensemble pour la République "pour faire face à un déficit trouvé en arrivant", et, sous-entendu, étant également du fait de son prédécesseur à Matignon. "Il faut que vous vous habituiez à ce que je dise ce que je pense", a-t-il ajouté, en calmant les réactions qui descendaient des travées de l'hémicycle. Et de conclure, reprenant l'esprit de sa déclaration de politique générale : "La confiance ne se décrète pas, nous voulons la mériter".