Déficit public : "Je ne crois pas avoir été timoré dans les économies", déclare Michel Barnier

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Michel Barnier LCP 05/02/2025
Michel Barnier à l'Assemblée nationale, le 5 février 2025 (© LCP)
par Raphaël MarchalMaxence Kagni, le Mercredi 5 février 2025 à 16:00, mis à jour le Mercredi 5 février 2025 à 16:23

L'ancien Premier ministre, Michel Barnier, a été auditionné ce mercredi 5 février par la commission des finances de l'Assemblée nationale dans le cadre des travaux d'enquête menés sur le dérapage du déficit public. Le prédécesseur de François Bayrou a expliqué avoir eu la volonté d'agir, dans un calendrier très contraint, pour assainir les finances publiques.

Au lendemain de Gabriel Attal, c'est un autre ex-locataire de Matignon, Michel Barnier, qui s'est retrouvé sur le gril de la commission des finances de l'Assemblée nationale, dotée des prérogatives d'une commission d'enquête "afin d’étudier et de rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024". Autrement dit, le dérapage du déficit public. Pendant 3 heures, ce mercredi 5 février, le prédécesseur de François Bayrou a défendu son bilan en tant que Premier ministre - fonction qu'il a occupée entre le 5 septembre et le 13 décembre 2024.

Dans ce laps de temps très court - il est, à ce stade, le Premier ministre le plus éphémère de la Vème République -, Michel Barnier a affirmé avoir tout fait pour redresser la situation dont il a héritée. Y compris en s'attelant à la construction de son projet de budget pour 2025, établi en moins d'un mois en reprenant les travaux de préparation du gouvernement précédent. Mais pas ses prévisions macroéconomiques ; comme il l'a rappelé en début d'audition, l'ancien commissaire européen affirme avoir découvert une situation "bien plus préoccupante" qu'escomptée quand il est arrivé à Matignon.

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Le 11 septembre, six jours après son arrivée, il est destinataire d'une note du Trésor qui alerte sur une "dégradation de la prévision du solde public par rapport aux prévisions, d'une ampleur inhabituelle". Résultat, alors que le déficit pour 2024 avait initialement été estimé à 4,1 % du PIB, puis relevé au printemps à 5,1 %, il se chiffre finalement à environ 6 %.

En parallèle, la prévision de croissance est moindre. Le nouveau locataire de Matignon décide alors d'en "informer les Français". Ce sera chose faite lors d'un discours prononcé fin septembre, en amont de la présentation du budget. Histoire de préparer les esprits à la cure de rigueur qu'il souhaite mettre en œuvre. "J'ai tout à fait conscience qu'il n'y a dans ce budget que des points difficiles (...) mais je considère que c'est ma responsabilité" de faire baisser d'un point de PIB le déficit public face à une "trajectoire extrêmement dangereuse de nos finances publiques", a-t-il déclaré. Et d'ajouter "Je prends le risque d'être impopulaire pour ne pas être irresponsable", considérant donc ne "pas avoir été timoré dans les économies".

Des échanges parfois houleux

Dans son style caractéristique, Michel Barnier a défendu son action, se montrant tour à tour offensif ou sur la défensive. "Je n'ai pas dit que tout ce que j'avais fait était parfait", a-t-il assuré, tout en écartant certaines critiques. Il en va ainsi de sa décision de ne pas recourir à un projet de loi de finances rectificative, dans un calendrier restreint et en tenant compte de la situation politique inédite ; de ne pas appliquer la réforme de l'assurance-chômage mise sur les rails par son prédécesseur, Gabriel Attal, qui n'aurait "pas eu d'effets" budgétaires en 2024.

C'était une erreur de mettre en cause ainsi les collectivités locales. Michel Barnier

Au cours de son audition, Michel Barnier a semblé écarter l'idée selon laquelle les collectivités locales seraient responsables d'une grande partie du dérapage des finances publiques. Cette hypothèse avait été avancée par l'ancien ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire. "J'ai pensé que ce n'était pas juste de montrer du doigt, de faire porter sur les départements, les communes ou les régions la responsabilité de ce dérapage à une telle hauteur", a-t-il réagi.

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L'ancien négociateur du Brexit s'est également montré tranchant face aux questions incisives de certains élus. Il leur a notamment opposé la censure, qui a créé "une période d'instabilité et qui a eu un coût". Alors que Mathieu Lefèvre (Ensemble pour la République) le questionnait sur sa décision de ne pas mettre en place certaines mesures imaginées par la coalition présidentielle, Michel Barnier s'est quelque peu agacé : "Si je vous écoute bien, j'arrive le 5 septembre et on me demanderait de faire passer le déficit de 6,3 % à 5,5 % en trois mois, là où le gouvernement précédent a vu le déficit passer de 4,9 % à 6,3 % en ayant tous les leviers pendant six mois. Je ne vous demande pas de complaisance, M. Lefèvre. Je veux simplement qu'on soit juste".

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Même colère rentrée lors d'un échange avec Jean-Philippe Tanguy (Rassemblement national), qui s'étonnait que Michel Barnier ait décidé de conserver des "macronistes pure souche" et des "technocrates" à ses côtés, alors même qu'ils les juge au moins partiellement responsables de la situation des finances publiques. "Je n'aime pas beaucoup le mépris qu'on ressent quand on vous écoute parlant des fonctionnaires. Ils ne méritent pas ça", a rétorqué le Savoyard, qui a assumé s'entourer de fonctionnaires "compétents" et "loyaux".

"La marche que je proposais était plus forte"

Interrogé sur le budget présenté par son successeur, Michel Barnier s'est avant tout félicité que son projet, qu'il a toujours souhaité "juste et responsable", ait été "largement repris" par François Bayrou. "La marche que je proposais était plus forte, cela veut dire que si on veut préserver l'objectif de 3% en 2029, il faudra faire d'autres marches plus fortes après", a-t-il toutefois détaillé.

Se retournant sur sa censure, Michel Barnier a affirmé ne pas penser que la question de la désindexation des pensions de retraite par rapport à l'inflation soit la cause de sa chute. "Je ne crois pas que je sois tombé à cause de ça", a-t-il déclaré. Le gouvernement Barnier avait proposé dans un premier temps de décaler à juillet 2025 l'indexation des pensions de retraite sur l'inflation.

Face à l'émoi suscité par la mesure, y compris dans sa famille politique, un compromis avait été trouvé. Les pensions auraient été revalorisées à hauteur de la moitié de l'inflation dès le 1er janvier, avant un rattrapage intégral pour les pensions inférieures au Smic, au 1er juillet. "Nous étions parvenus dans la discussion parlementaire à alléger cet effort", a résumé mercredi l'ancien Premier ministre.

Selon lui, l'abandon pur et simple de cette désindexation n'aurait pas empêché le vote de la censure par les oppositions : "J'ai eu le sentiment qu'en faisant un effort supplémentaire de plusieurs milliards (...) il y aurait eu une surenchère sur d'autres sujets." Finalement, la désindexation n'ayant pas été votée avant la fin de l'année dernière, les retraites ont été indexées sur l'inflation au 1er janvier 2025.