Dans un courrier adressé lundi 2 septembre aux rapporteurs généraux et aux présidents des commissions des Finances des deux Chambres, le ministre démissionnaire des Finances, Bruno Le Maire, et celui délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave, s’inquiètent de l'"augmentation extrêmement rapide des dépenses des collectivités territoriales". Une hausse qui pourrait générer un "dérapage" du déficit public de l'ordre de "16 milliards d'euros".
"L'augmentation extrêmement rapide des dépenses des collectivités territoriales (...) pourrait à elle seule dégrader les comptes 2024 de 16 milliards d'euros". Ces mots sont ceux de Bruno Le Maire, dans un courrier adressé aux parlementaires daté du 2 septembre. Dans cette missive adressée aux rapporteurs généraux et aux présidents des commissions des Finances des deux assemblées, le ministre démissionnaire de l'Économie et des Finances, ainsi que le ministre démissionnaire délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave, font référence à la trajectoire de déficit envoyée à Bruxelles au printemps. Et d'alerter sur l'impossibilité pour la France, à budget inchangé, de tenir ses objectifs.
Selon une note du Trésor jointe à ce courrier, sans mesure de rattrapage, le déficit public risquerait de grimper à 5,6% du PIB en 2024, loin des 5,1% initialement prévus dans la trajectoire budgétaire. Il pourrait même atteindre 6,2% en 2025 à budget constant, alors que le programme de stabilité d'avril 2024 fixait l'objectif de 4,1% pour cette même année 2025.
Déjà abaissées de "près de 30 milliards d'euros", les prévisions de recettes pourraient par ailleurs ne pas être atteintes selon Bercy, et ce "compte tenu de l'évolution de la composition de la croissance, moins favorable aux recettes fiscales".
Dans un communiqué publié dans la foulée de la réception de la lettre gouvernementale, le président de la commission des Finances, Eric Coquerel (La France insoumise) estime que "ces chiffres démontrent que la politique de l’offre et de la compétitivité, que manifestement le président Macron entend poursuivre, emmène toujours plus vite le pays dans le mur".
"Cette politique de baisse des dépenses publiques non seulement ne règle pas la raison première des déficits, causés avant tout par la baisse des recettes, mais en plus, en période de reflux de l'activité économique, aura une conséquence récessive sur l'économie", alerte aussi le député de Seine-Saint-Denis.
"Ce sont des recettes qu’il convient d’aller chercher", poursuit Eric Coquerel. "Cela passe par une fiscalité plus juste, plus rentable, moins dispendieuse vis-à-vis des revenus du capital ; par des mesures soutenant les revenus du travail et un État favorisant, par la planification écologique, une activité économique vertueuse en matière environnementale et répondant aux besoins des Français notamment en matière de santé, d’éducation, de logement", estime le président de la commission des Finances.
Lors d'une conférence de presse de son groupe organisée à l'Assemblée nationale mardi 3 septembre, Eric Coquerel s'est en outre inquiété de la possible annulation de 16,7 milliards de crédits, à cette heure gelés, "ce qui porterait à 26,7 milliards les annulations de crédits de l'Etat sur 2024 (...) que [Bruno Le Maire] recommande pour son successeur sous la forme d'une loi de finances rectificative".
Se fondant sur un tableau de synthèse des budgets prévus à ce stade pour chaque ministère, le député dessine le projet de loi de finances pour 2025 tel qu'envisagé par le gouvernement démissionnaire, qui constituerait "une baisse de 15 milliards d’euros par rapport à la loi de finances adoptée en 2024". "Seuls les budgets dédiés à la défense et à la sécurité augmenteront plus vite que l'inflation", indique-t-il aussi, citant parmi les politiques les plus touchées "l'aide publique au développement (-18% sans tenir compte de l'inflation), le sport (-11%), l'agriculture (-6%), l'outre-mer (-4%), l'écologie (-1%) et la santé (-0,8%)". Il ajoute que "le travail (+1%) et l'éducation nationale (+0,5%) seront également concernés par une baisse de moyens". Lors de sa conférence de presse de rentrée, le 27 août, la ministre démissionnaire de l’Éducation nationale, Nicole Belloubet, avait prévenu que le projet budgétaire pour 2025 adressé par Matignon à son ministère "ne répondait pas à l’ensemble des besoins".
Dans un contexte de latence politique en attendant la nomination d'un nouveau chef de gouvernement, Eric Coquerel formule donc la crainte que "les recommandations faites par Bruno Le Maire à son successeur soient de durcir encore les baisses de dépenses publiques prévues à ce stade, en d'autres termes une politique de super austérité".
Vice-présidente de la commission des Finances, Véronique Louwagie (Droite Républicaine) estime au contraire que "les efforts en termes d'économies affichés par le gouvernement n'ont jamais été documentés, nos finances publiques continuent d'augmenter, c'est de la pure communication". La députée déplore un manque d'action de l’État alors que "fin 2023, on avait constaté une situation budgétaire qui s'était dégradée par rapport à 2022 de 0,7 points de PIB, à la fois sur les dépenses, et sur les recettes qui avaient été moindres par rapport à ce qui avait été escompté".
Quand les recettes manquent et les recettes flambent, la situation ne peut qu'être préoccupante. On est en train d'engager les générations futures. Véronique Louwagie (Droite Républicaine)
"On a l'impression de vivre un remake", ajoute la référente de la Droite Républicaine sur les questions budgétaires. "Nous avions alerté le gouvernement fin 2023, ce qui avait abouti en février dernier à l'annulation de 10 milliards de crédits pour 2024, seulement quelques semaines après la date d’exécution du budget 2024", se souvient Véronique Louwagie, qui regrette que le gouvernement, malgré des coupes budgétaires, ne se soit penché sur "aucune piste d'économies structurelles".
En prévision du budget à venir, Véronique Louwagie n'hésite aussi pas à évoquer la nécessité d'une "rigueur budgétaire", articulée avec l'exigence d'"une meilleure répartition des richesses, une diminution des inégalités en rémunérant mieux le travail par rapport aux revenus de solidarité, en revoyant le financement de certaines prestations et le dispositif lié à la prime d'activité". Des objectifs en phase avec le "pacte législatif" proposé par la droite parlementaire. Et qui érige en principe indépassable le refus d'augmenter les impôts.