Auditionnée ce jeudi 20 février par la commission des finances, qui enquête sur le dérapage du déficit public, Elisabeth Borne a jugé nécessaire de "fiabiliser les évaluations de recettes" faites par Bercy, appelant à fluidifier les remontées d'informations. Au cours d'échanges parfois tendus, l'ex-Première ministre a défendu son action à Matignon, assumant d'avoir porté des réformes qui n'étaient "pas populaires".
Pour la troisième fois, un ex-Premier ministre s'est présenté devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, qui s'est dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête afin de faire la lumière sur le dérapage du déficit public en 2023 et 2024. Après Gabriel Attal et Michel Barnier, c'est Elisabeth Borne qui était sur le gril de l'instance parlementaire, ce jeudi 20 février.
Comme l'avaient fait ses successeurs à Matignon, l'actuelle ministre de l'Education nationale a défendu son bilan, qui a coïncidé avec la fin de la crise sanitaire due au Covid-19 mais aussi avec les conséquences économiques de la guerre en Ukraine. "J'ai veillé à ce que toutes les mesures nécessaires soient anticipées et mises en place, en conciliant responsabilité budgétaire et nécessité d'adaptation aux incertitudes économiques", a-t-elle soutenu, affirmant notamment avoir contenu les dépenses, y compris, parfois, face à la volonté de "surenchère portée par certains groupes parlementaires".
Elisabeth Borne n'a d'ailleurs pas hésité à placer les parlementaires face à leurs responsabilités : "Les oppositions sont largement d'accord pour rajouter des dépenses. Mais chaque fois que vous présentez des économies structurelles, vous avez une réticence forte. Ce n'est pas pour rien que j'ai dû passer par 49.3 la réforme des retraites", a-t-elle narré, assumant d'avoir mené des réformes "qui n'étaient pour le moins pas populaires" pour rééquilibrer les comptes publics.
Des propos qui ont généré une certaine tension, donnant lieu à des échanges houleux avec Sebastien Delogu (La France insoumise), Estelle Mercier (Socialistes) et plus encore avec le président de la commission, Eric Coquerel (LFI). Ce dernier s'est notamment agacé au sujet de l'existence d'une note transmise par Bercy, en date du 13 décembre 2023, qui alerte sur l'état des finances publiques et qui engage à annuler 10 milliards d'euros de crédits mis en réserve par le projet de loi de finances pour 2024. Elisabeth Borne en prend connaissance le 15 décembre ; le lendemain, elle engage un nouveau 49.3 sur l'ensemble du budget pour 2024. L'information ne sera partagée qu'en mars 2024.
"Je trouve anormal que le Parlement ne soit pas saisi d'une information aussi importante alors qu'il est en train de parler du budget", a déclaré Eric Coquerel. Et le député LFI de lancer : "Plus rien ne tient debout dans le 49.3 que vous avez proposé". "Ce ne sont pas des informations, ce sont des alertes. (...) On est incapable à cette date d'évaluer l'ampleur de la perte de recettes pour l'année 2024", lui a répondu Elisabeth Borne, qui a quitté Matignon le 9 janvier 2024.
Selon l'ex-Première ministre, le fait que les recettes de 2023, bien moindres qu'escompté, aient été mal évaluées jusqu'en novembre, voire en décembre 2023, constitue le "noeud du problème". "Il y a un dysfonctionnement quand on prend conscience d'un écart de recettes aussi tardivement. Il est nécessaire de mettre en place un suivi des recettes", a-t-elle estimé, jugeant problématique qu'un écart de 20 milliards d'euros avec les prévisions soit détecté aussi tardivement, alors même que les recettes tombent progressivement au cours de l'année.
"Il n'est pas normal qu'on puisse avoir des recettes fiscales qui ne rentrent pas conformément aux prévisions. Si on avait eu les alertes, on aurait pu rectifier les trajectoires", a-t-elle poursuivi, plaidant pour un suivi mensuel, ou a minima trimestriel. "On n'imagine pas une entreprise qui prendrait conséquence de son chiffre d'affaires le 15 décembre, et qui n'aurait des informations consolidées qu'au mois de février de l'année suivante."
"Il est nécessaire de mieux suivre les rentrées fiscales et prendre des décisions en conséquence", a estimé Elisabeth Borne, ajoutant que "les remontées d'informations ne sont pas suffisamment fluides" à l'heure actuelle. En butte aux critiques émanant des oppositions sur le manque de clairvoyance des ministres, l'ancienne cheffe du gouvernement a rétorqué que "l'essentiel de l'énergie qu'un gouvernement consacre, ce n'est pas challenger les prévisions de recettes des services du ministère de l'Economie, mais de faire rentrer l'édredon dans la valise". "Chaque département ministériel a 25 bonnes raisons de contester le plafond de dépenses qu'on essaie de lui imposer. Vous passez l'essentiel de votre temps à essayer de contenir les dépenses."
En parallèle, l'actuelle ministre de l'Education nationale s'est dite favorable à "renforcer la capacité d'évaluation et de contrôle du Parlement", "saisi très tard des textes financiers". Questionnée sur le sujet par David Amiel (Ensemble pour la République), elle a également penché pour donner au Haut Conseil des finances publiques un "rôle de suivi plus continu".
Alors que les dépenses "dynamiques" des collectivités territoriales sont dans le viseur de Bercy, Elisabeth Borne a, en outre, appelé à "aller vers des mécanismes de responsabilisation des collectivités locales". Elle a ainsi jugé sévèrement l'efficacité des "contrats de Cahors", ces contrats de confiance établis entre l'Etat et les collectivités. "Les retours d'expérience ont montré qu'ils ne permettaient pas un réel pilotage des collectivités", a-t-elle asséné. "Il faut réfléchir à ce qui peut conduire à responsabiliser les collectivités territoriales."
"On doit se doter d'outils pour avoir des remontées plus rapides sur les dépenses des collectivités territoriales", a également affirmé l'ex-Première ministre. "A l'heure de l'intelligence artificielle, on doit être capable de mieux exploiter, de mieux croiser les données, notamment s'agissant de la masse salariale, pour mieux anticiper les hypothèses de rendement des différentes cotisations sociales", a-t-elle détaillé. "Pour ne pas se retrouver dans une situation où se retrouve avec des écarts deux à trois mois après la clôture d'un exercice."