Dérives sectaires : l'Assemblée adopte le projet de loi en rétablissant la création d'un délit de provocation à l'abstention de soins

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Brigitte Liso (Renaissance) le 14 février 2024
Brigitte Liso (Renaissance), défend un amendement de rétablissement de l'article 4 du projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires, le 14 février 2024 - LCP
par Soizic BONVARLET, le Mercredi 14 février 2024 à 20:30, mis à jour le Mercredi 14 février 2024 à 21:20

Alors que l'Assemblée nationale avait rejeté, dans la nuit du mardi 13 au mercredi 14 février, l'article 4 du projet de loi visant à "renforcer la lutte contre les dérives sectaires", une seconde délibération a eu lieu, mercredi après-midi, sur la mesure relative à la création d'un délit d'incitation à l'abandon de soins. Le gouvernement et sa majorité relative ont, cette fois, eu gain de cause contre les principaux groupes d'opposition. 

"Le travail transpartisan a payé". Non sans un certain optimisme, c'est ainsi que la secrétaire d'Etat chargée de la Citoyenneté, Sabrina Agresti-Roubache, a choisi de résumer l'âpre bataille menée dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale entre défenseurs et pourfendeurs de l'article 4 du projet de loi "visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires", au terme de l'examen du texte en première lecture.  

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Qualifié par sa rapporteure, Brigitte Liso (Renaissance), de "coeur du texte", cet article avait été supprimé par les sénateurs, puis rétabli en commission des lois par les députés, avant d'être à nouveau supprimé lors des débats dans l'hémicycle, mardi 13 février au soir, le gouvernement et sa majorité relative ayant été mis en minorité.  

Un article jugé attentatoire aux libertés...

Spécifiquement dédié aux dérives de type thérapeutique, cet article 4 crée un nouveau délit visant à punir "la provocation à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical thérapeutique ou prophylactique", ainsi que "la provocation à adopter des pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique", lorsque ces incitations peuvent s'avérer "particulièrement graves" pour la santé physique ou psychique. Appréhendé par la plupart des groupes d'oppositon - à l'exception du groupe Socialistes -, comme une condamnation a priori des médecines dites "parallèles", comme faisant peser une menace sur les lanceurs d'alerte, le gouvernement et la majorité ont dans un premier temps échoué à faire adopter la mesure.

"La sincérité de cette lutte contre les dérives sectaires ne doit pas consister à sanctionner par la loi les pratiques de soins complémentaires ou la consommation de produits phytothérapeutiques", avait ainsi estimé Jean-François Coulomme (La France insoumise), quand Thomas Ménagé (Rassemblement national) avait fustigé "une dérive liberticide" et Paul Molac (LIOT) un "danger pour [la] liberté d'expression". Les amendements de suppression de l'article 4 - présentés par des députés Les Républicains, Rassemblement national, Gauche Démocrate et Républicaine, et LIOT-, avaient été adoptés à 8 voix près (116 Pour, 108 Contre).

...Et une seconde délibération qualifiée de "passage en force"

C'était sans compter la détermination du gouvernement et de la majorité. Mercredi 14 février, à la fin de l'examen du projet de loi, le président de la commission des Lois, Sacha Houlié (Renaissance), a en effet pris la parole dans l'hémicycle pour demander une seconde délibération, comme le permet l'article 101 du Règlement de l'Assemblée nationale. Celui-ci dispose que "la seconde délibération est de droit à la demande du Gouvernement ou de la commission saisie au fond".

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Brigitte Liso a donc présenté un amendement de rétablissement - et de réécriture - de l'article 4. Si la rapporteure a souligné que le délit ne serait pas constitué "lorsqu'il est apporté la preuve du consentement libre et éclairé de la personne", elle a aussi précisé que la nouvelle rédaction apportait une dimension supplémentaire liée à la protection des lanceurs d'alerte, qui était de la raison d'être de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Un objectif réaffirmé dans le texte de l'amendement, selon lequel "l'information signalée ou divulguée par le lanceur d'alerte dans les conditions prévues à l'article 6" de la loi précedemment citée "ne constitue pas une provocation" au sens de l'article 4 du présent projet de loi.

Une précaution que le groupe Socialistes avait lui-même proposé par amendement, permettant à l'un de ses membres, Arthur Delaporte, de louer sans réserve le rétablissement dans le texte du délit visant à punir l'incitation à l'abandon de soins. "Avec cet article, nous défendons la science", s'est-il aussi félicité.

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Une tonalité radicalement différente de celle exprimée par les principaux groupes d'opposition - Rassemblement national, La France insoumise, Les Républicains - qui ont voté contre l'amendement visant à rétablir l'article 4. Lors des débats, Nicolas Dupont-Aignan (non inscrit) a dénoncé une méthode "de mépris, de passage en force", Jean-François Coulomme (LFI) a déploré l'absence de "sérieux de la délibération". Et suite au rétablissement de l'article 4 (par 182 votes "pour" et 137 "contre", détail du scrutin ici), Aurélien Pradié (LR) a dénoncé "une victoire à la Pyrrhus". L'ensemble du projet de loi a finalement été adopté, en première lecture, par 151 voix contre 73Il va maintenant poursuivre son parcours législatif en faisant son retour au Sénat. 

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