Dominique de Villepin auditionné à l'Assemblée : "une diplomatie qui ne marque pas des points est une diplomatie qui s'épuise"

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Canva/Marie-Lan Nguyen/𝒲.
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par Guillaume Cros, le Jeudi 10 avril 2025 à 18:09

L'ancien Premier ministre (2005-2007) et ministre des Affaires étrangères (2002-2004) Dominique de Villepin a été auditionné sur la situation internationale, mercredi 9 avril, par la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale. Un moment apprécié par les députés, curieux de connaître sa position sur l'administration Trump, les relations entre la France et l'Algérie, la guerre en Ukraine, ou encore sur la situation au Proche-Orient.

"Monsieur le Premier ministre, c'est à vous. Je vous laisse la parole." A en croire le président de la commission des affaires étrangères Bruno Fuchs (Les Démocrates), la salle était exceptionnellement pleine. La raison ? L'homme à l'origine du discours aux Nations unies s'opposant à la guerre en Irak en 2003. De retour sur la scène médiatique depuis plusieurs mois, Dominique de Villepin a livré, durant toute la matinée du mercredi 9 avril, son expertise sur les conflits et les tensions qui secouent la planète. 

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Rester unis face à Donald Trump

Deux jours auparavant, lundi 7 avril, l'ancien Premier ministre de Jacques Chirac a publié un court essai Le pouvoir de dire Non. Il y torpille la nouvelle administration américaine : "Le trumpisme n'est pas la maladie du monde, il en est le symptôme. Et l'excès d'attention qu'il réclame et reçoit nous détourne de nos maux essentiels". Devant les députés de la commission, Dominique de Villepin persiste et signe. Dans le bras de fer commercial imposé par Donald Trump, il préconise que les Etats européens adoptent une stratégie de la réponse graduée. De Fait, à ce stade, l'UE a choisi une stratégie entre négociation et riposte "graduelle". Et l'ex-locataire du Quai d'Orsay d'ajouter que face à un impérialisme américain jonglant entre "l'instinct, le chaos et la volonté de soumission de l'ordre international", l'Europe doit s'assumer dans sa vision "multilatérale et universaliste".

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Estimant que le "vieux continent" est menacé jusque dans ses fondements idéologiques, Dominique de Villepin évoque "une bataille identitaire" menée par les Etats-Unis visant à soumettre les démocraties libérales comme la France et l'Allemagne. Une bataille dans laquelle il appelle "les droites et les extrêmes droites" à ne pas se fourvoyer en servant de relais à une tentative de "neutralisation de la démocratie libérale". Car pour lui, Donald Trump "est l'arbre qui cache la forêt", alors qu'un changement structurel et durable est en cours au niveau mondial.

En réponse, il suggère de "constituer une nouvelle enceinte internationale" avec les pays du Sud global. Longtemps marginalisés, les pays de l'hémisphère sud représenteraient désormais de potentiels alliés pour l'Europe. Notamment la Chine, en conflit ouvert avec les Etats-Unis depuis l'explosion des droits de douane. L'ancien Premier ministre y voit "des convergences" d'intérêts comme la primauté du multilatéralisme

Réponse à Bruno Retailleau sur l'Algérie

Cela n'avait échappé à personne. Dominique de Villepin n'apprécie guère la stratégie choisie par le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, concernant les relations avec l'Algérie. Pour l'ex-diplomate, lui-même ancien locataire de la place Beauvau (2004-2005), il s'agit d'un "show" qui n'apporte pas de réponses concrètes. "On ne peut pas imaginer que dans un gouvernement français, on joue la stratégie du "good cop, bad cop"", fustige-t-il. Avant d'enfoncer le clou en jugeant que le discours de Bruno Retailleau sur l'Algérie "n'est pas nécessaire à la France, certainement pas au ministre de l'Intérieur, peut-être au candidat à la présidence des Républicains." Une formule qui provoque quelques rires dans la salle de la commission.

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Que propose Dominique de Villepin ? Une stratégie globale. "Il faut prendre en compte l'ensemble des facteurs (...) on ne peut pas séparer les questions de sécurité des questions diplomatiques, de mémoire, économiques." Pour lui, une approche trop offensive, voire agressive, desservirait les intérêts français. La "sérénité" est la clé : "Une diplomatie qui ne marque pas des points est une diplomatie qui s’épuise”, souligne-t-il. Dans cet esprit, Dominique de Villepin salue la reprise progressive du dialogue entre Emmanuel Macron et son homologie algérien, Abdelmadjid Tebboune, qui s'est traduit par la récente visite diplomatique à Alger du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot. Et d'ajouter qu'il approuve la stratégie du Président français de ne pas revenir sur les accords de 1968 réglementant la circulation, l'emploi et le séjour des ressortissants algériens en France. 

Ukraine et Proche-Orient

A mesure que l'audition avance, la guerre en Ukraine et le conflit au Proche-Orient font l'objet de plusieurs questions de la part des députés. Sur l'Ukraine, l'ancien Premier ministre préconise à nouveau de jouer la carte du multilatéralisme : "Nous devons trouver un accord de paix avec la participation active de l'Union européenne et l'Ukraine". Une position en ligne avec la diplomatie française qui considère que l'unilatéralisme de Donald Trump ne permettra pas d'établir une paix durable. 

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Pour sortir, à terme, du conflit israélo-palestinien, Dominique de Villepin défend "la solution à deux Etats" qui passe par "la reconnaissance de l'Etat palestinien". Une vision qui, déplore-t-il, est "activement contrecarrée par le gouvernement israélien et l'administration américaine". Hasard du calendrier, quelques heures après cette audition, dans un entretien accordé à l'émission "C à vous"Emmanuel Macron a annoncé que la France pourrait reconnaître un Etat palestinien "en juin" à l'occasion d'une conférence qu'elle co-présidera avec l'Arabie saoudite aux Nations-unies à New York. "Je le ferai (...) parce que je pense qu'à un moment donné ce sera juste et parce que je veux aussi participer à une dynamique collective, qui doit permettre aussi à tous ceux qui défendent la Palestine de reconnaître à leur tour Israël, ce que plusieurs d'entre eux ne font pas", a explique le chef de l'Etat.

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