La proposition de loi visant à "proroger le dispositif d'expérimentation favorisant l'égalité des chances pour l'accès à certaines écoles de service public" sera examinée dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale ce mardi 18 février. La période d'expérimentation de ce dispositif, également appelé "concours Talents", est arrivé à échéance le 31 décembre 2024.
Les députés de la commission des lois ont adopté, mercredi 5 février, la proposition de loi, déposée en décembre par Florence Hérouin-Léautey (Socialistes), visant à "proroger le dispositif d'expérimentation favorisant l'égalité des chances pour l'accès à certaines écoles de service public". Lancé en 2021 pour trois années, ce dispositif – qui est arrivé à échéance le 31 décembre 2024 – réserve 10 à 15% des places "externes" aux concours de cinq grandes écoles préparant à des carrières dans la fonction publique à des étudiants justifiant de critères sociaux.
C'est le cas à l'Institut national du service public (INSP, ex-ENA), à l’Institut national des études territoriales (INET), à l’Ecole des hautes études de santé publique (EHESP), à l’Ecole nationale supérieure de la police (ENSP) et à l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire (ENAP).
"Le dispositif sera maintenu. Et s'il doit être pérennisé à terme, il le sera", avait annoncé le ministre de la Fonction publique, Laurent Marcangeli, le 16 janvier lors d'une visite à l'INSP de Strasbourg. Signe de cette volonté affichée, le texte issu de la commission sera examiné en première lecture, ce mardi 18 février, dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, lors d'une semaine dont l'ordre du jour est déterminé par le gouvernement et en procédure accélérée. "Il me semble nécessaire de se limiter à un texte consensuel, a minima pour assurer son examen rapide et, idéalement, son adoption conforme au Sénat dans la semaine du 10 mars", avait déclaré la rapporteure, Florence Hérouin-Léautey, en préambule des débats en commission.
La proposition de loi contient deux articles : le premier vise à prolonger le dispositif "Concours Talents" jusqu'au 31 août 2028, qui a été étendu, par un amendement adopté de Jean Moulliere (Horizons), à des écoles d'ingénieur, "comme AgroParisTech, l'Institut Polytechnique de Paris, l'Institut supérieur de mécanique de Paris et l'Ecole nationale des ponts et chaussées". Le second article prévoit la remise d'un rapport d'évaluation de la mesure à la date du 31 mars 2028. Un troisième article, figurant dans la version initiale et qui créait un gage financier, a été supprimé, n'ayant aucun coût pour les finances publiques.
En commission, trois groupes parlementaires ont voté contre la proposition de loi, à savoir le Rassemblement national, ainsi que ses alliés de l'Union des droites pour la République, et La France insoumise. "Comment prolonger un dispositif sur lequel nous n'avons aucun retour, quelle est la preuve de son efficacité ?", s'est interrogé le député Bryan Masson (RN), pour qui "la discrimination positive ne doit pas être un modèle de référence". "Plutôt que des passe droits, il faut investir dans une éducation exigeante et de qualité", a complété sa collègue Sophie Ricourt-Vaginay (UDR).
Du côté de LFI, les élus ont dénoncé un dispositif qui n'est qu'une "goutte d'eau dans un océan d'inégalités", dixit le député Thomas Portes (LFI). "Nous ne sommes pas ici pour nous donner bonne conscience, (...) nous ne voulons ni réforme cosmétique, ni demi-réforme", a-t-il ajouté, rejoint par Ugo Bernalicis (LFI) qui a jugé les discussions "complètement à côté de la plaque", considérant que "les inégalités s'aggravent depuis les discours sur l'égalité des chances". Et Antoine Léaument (LFI) d'insister : "Ces dispositifs ne mettent pas en cause les inégalités structurelles, c'est ça notre problème".
De quoi faire réagir Céline Hervieu (Socialistes) qui "partage la vision de fond" des insoumis, mais "ne comprend pas en quoi s'opposer au texte va faire avancer la situation". "In fine, vous pénalisez des jeunes qui ont préparé des concours", a-t-elle regretté.
Faute d'évaluation du dispositif depuis sa création en 2021, puisque le rapport qui devait l'être en juin 2024 n'a jamais vu le jour, la majorité des groupes parlementaires ont souhaité laisser davantage de temps à l'expérimentation en cours. "On ne peut se résoudre à laisser un programme aussi prometteur s'éteindre avant qu'il ne puisse être évalué", a ainsi résumé Anne Bergantz (Les Démocrates). "Nous sommes favorable à la prorogation, mais sans préjuger si, in fine, il faudra le pérenniser", a d'ores et déjà avancé Patrick Hetzel (Droite républicaine).
Une position partagée par Florence Hérouin-Léautey (Socialistes) : "Avant de décider d'une pérennisation, il me paraît essentiel de disposer d'une évaluation du dispositif sur un temps suffisamment long", a indiqué la rapporteure.
Malgré son opposition, La France insoumise a quand même obtenu l'adoption de l'un de ses amendements, porté par Ugo Bernalicis, visant à expertiser, via un rapport, "la structure des concours et leurs biais". "Ces épreuves des concours ressemblent donc davantage à une manière de trier les élèves qu’une manière de les sélectionner sur la base de compétences professionnelles", peut-on lire dans l'exposé des motifs. L'amendement a notamment reçu le soutien d'Emeline K/Bidi (Gauche démocrate et républicaine) et de Colette Capdevielle (Socialistes), pour qui la création d'une mission parlementaire sur le sujet "pourrait être intéressante". Après ces échanges, la rapporteure a "modifié [son] regard" sur cet amendement, passant d'un avis défavorable à un avis favorable.
Ainsi, un article 2 ter a été ajouté au texte. Ce rapport mettra "notamment en évidence les inégalités engendrées, entre les candidats, par les exigences académiques des épreuves écrites et orales" et "proposera des pistes de réformes pour lutter contre les difficultés soulevées". Si son adoption est confirmée, il devra être rendu dans les six mois suivants la promulgation de la loi.
En décembre, dans une lettre ouverte au président de la République et au Premier ministre, des étudiants des classes "Prépa Talents" avaient appelé l'exécutif à "sauver les places promises aux étudiants boursiers dans les concours de la haute fonction publique". "A moins de six semaines des épreuves des premiers concours, nous découvrons avec stupeur par voie de presse que ces places qui nous étaient destinées pourraient disparaître", s'inquiétaient-ils alors, exhortant le gouvernement à "régulariser [la] situation au plus vite".