Expulsion d'étrangers condamnés : le texte rejeté, le ministre Nicolas Daragon accusé de complaisance envers le RN

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Hémicycle lors de l'examen de la proposition de loi du RN sur les expulsions d'étrangers
Examen dans l'hémicycle de la proposition de loi du RN sur les expulsions d'étrangers jugés dangereux, le 31 octobre 2024 - LCP
par Soizic BONVARLET, le Jeudi 31 octobre 2024 à 22:18, mis à jour le Jeudi 31 octobre 2024 à 23:23

Le Rassemblement national a présenté, dans le cadre de la journée d'initiative parlementaire qui lui était réservée, une proposition de loi visant "à assouplir les conditions d’expulsion des étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public". Le gouvernement, par la voix de Nicolas Daragon, a jugé le dispositif inefficient et inconstitutionnel, avant d'évoquer de futures mesures destinées à "réduire drastiquement l'immigration".

"Avec le Rassemblement national, les étrangers délinquants et criminels passeront de la prison à l'expulsion, sans passer par la case libération". C'est ainsi qu'Edwige Diaz (Rassemblement national) a résumé, ce jeudi 31 octobre, l'enjeu de la proposition de loi visant "à assouplir les conditions d’expulsion des étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public"

Un texte motivé, selon sa rapporteure, par le constat de "vies brisées par des crimes évitables", la députée ayant entamé son propos en évoquant les victimes de crimes commis par des "étrangers sous OQTF" (obligation de quitter le territoire français, ndlr). Le texte vise à établir une obligation d'expulsion pour les étrangers relevant d'une "menace grave à l'ordre public", "laquelle sera notamment constituée par une condamnation pour une infraction punie d'au moins 3 ans d'emprisonnement". Il contient également la possibilité d'expulser des mineurs dès 16 ans en cas de liens avérés avec des activités terroristes ou d'atteinte aux intérêts de l'Etat.

L'étranger qui assassine, dehors, l'étranger qui viole, dehors, l'étranger qui a un lien quelconque avec une entreprise terroriste, dehors (...) Nous devons reprendre le contrôle. Nicolas Daragon (ministre chargé de la Sécurité du quotidien)

Le ministre délégué chargé de la Sécurité du quotidien, Nicolas Daragon, n'a pas caché sa volonté de répondre aux objectifs de la proposition de loi portée par Edwige Diaz. "Un étranger criminel ou délinquant n'a rien à faire en France", a-t-il martelé sous les applaudissements des bancs du RN. "Oui, vous avez raison, les étrangers constituant une menace grave pour l'ordre public doivent être expulsés du territoire national", a-t-il abondé, avant toutefois de donner un avis défavorable au texte pour "des raisons très pragmatiques", estimant que les moyens d'agir doivent rester "conformes au droit".

"En supprimant toutes les protections pour les étrangers, vous rendez votre proposition de loi contraire à notre Constitution et aux engagements internationaux de la France", a jugé Nicolas Daragon, avant de critiquer la mesure du Rassemblement national concernant les mineurs de 16 ans. "Vous remettez en cause le principe, lui aussi constitutionnel, de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant", a-t-il fait valoir. Prochainement, "le gouvernement proposera à la représentation nationale d'adopter des mesures fermes et concrètes, pragmatiques et réalisables, qui permettront de réduire drastiquement l'immigration en France", a promis Nicolas Daragon. Et d'ajouter un peu plus tard : "En janvier, nous irons beaucoup plus loin que cette proposition de loi totalement inapplicable".

La gauche dénonce les "théories racistes" du RN

"Votre seule boussole, c'est la haine des étrangers", a lancé Thomas Portes (La France insoumise) à l'adresse du groupe présidé par Marine Le Pen. "Vous cherchez simplement à assouvir vos fantasmes, et à justifier l'expulsion massive de millions de personnes, comme vos amis allemands de l'AFD fondée par des nazis", a poursuivi le député, avant fustiger "une proposition strictement raciste". De même, Elsa Faucillon (Gauche démocrate et républicaine) a dénoncé des "théories racistes faisant de l'étranger le coupable de tous les maux de notre société".

À l'unisson du ministre, la Droite républicaine a indiqué partager l'objectif du texte, mais critiqué son manque de "pertinence juridique", selon les termes d'Eric Pauget (DR). Le député a cependant annoncé que son groupe voterait en faveur de la proposition de loi. "Je regrette qu'une fois de plus, vos bancs soient clairsemés et que malheureusement, vos suffrages ne soient pas suffisants, je le crains, pour faire la démonstration de votre attachement à notre proposition de loi", lui a cependant répondu Edwige Diaz.

Les trois composantes du bloc central, soit l'ex-majorité présidentielle ont, en revanche, exprimé leur opposition au texte. Vincent Caure (Ensemble pour la République) a souligné que les expulsions étaient déjà facilitées "par la loi portée par Gérald Darmanin en janvier 2024", en particulier pour "les étrangers condamnés définitivement pour un crime ou un délit puni de plus de 3 ans d'emprisonnement". Le député a aussi critiqué un "coup d'épée dans l'eau", échouant à traiter la question de l’exécution des OQTF.

De même, Eric Martineau (Les Démocrates) a estimé que la dernière loi sur l'immigration couvrait déjà l'objectif du texte du RN, qu'il a qualifié de "leurre". "Nous nous opposerons à ce texte, non pas à l'aune de ses auteurs, mais à l'aune de son dispositif", a-t-il indiqué.

"Un titre racoleur, mais dans votre texte rien, le vide sidéral, au mieux des mesures inapplicables, voire inconstitutionnelles", a pour sa part estimé Agnès Firmin Le Bodo (Horizons et indépendants). "La France n'arrive pas à éloigner un certain nombre d'étrangers de son territoire, car elle n'arrive pas à obtenir les laissez-passer consulaires permettant un retour effectif", a dit la députée, récusant l'idée d'éventuels manquements de l'autorité administrative.

Le ministre critiqué par la gauche et... par une partie du socle gouvernemental 

Les propos du ministre chargé de la Sécurité du quotidien ont, par ailleurs, été critiqués y compris dans les rangs du socle gouvernemental. "Monsieur le ministre, je ne partage pas votre point de vue", a ainsi indiqué le président de la commission des lois, Florent Boudié (Ensemble pour la République). "Vous dites partager les objectifs de cette proposition de loi, moi, pas tout à fait", a-t-il expliqué, estimant que le texte visait à "mettre un signe égal entre l'étranger et la délinquance".

"Monsieur le ministre, permettez-moi de vous dire que quand vous avez commencé, nous nous sommes posés la question si c'était le socle commun qui parlait, ou si vous représentiez une autre couleur politique", a pour sa part pointé Ludovic Mendes (Ensemble pour la République).

Alors que Benjamin Lucas (Ecologiste et social) a accusé Nicolas Daragon de "reprendre les propos de l'extrême droite", Edwige Diaz elle-même a déclaré, non sans ironie, avoir hésité à "demander une suspension de séance", afin de "faire signer" au ministre "un bulletin d'adhésion au Rassemblement national". "Malheureusement, chassez le naturel, il revient au galop", a cependant ajouté la députée, accusant le ministre de se "cacher" derrières des arguments d'insconstitutionnalité.

Une majorité de députés ayant rejeté par un amendement de suppression l'article phare du texte, Edwige Diaz a procédé au retrait de la proposition de loi avant le terme de son examen, la députée du Rassemblement national renvoyant le sujet à "la prochaine dissolution" et à "2027".