François Bayrou met la majorité présidentielle sous tension sur fond de tractations sur la composition du gouvernement

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François Bayrou au Salon de l'agriculture, mars 2023.
François Bayrou à l'occasion du Salon de l'agriculture, 1er mars 2023.
par Soizic BONVARLETMaxence Kagni, le Jeudi 8 février 2024 à 16:50, mis à jour le Jeudi 8 février 2024 à 17:32

Allié historique d'Emmanuel Macron, François Bayrou a annoncé, mercredi 7 février, son refus de participer au gouvernement. Ce jeudi matin, sur FranceInfo, le président du MoDem a indiqué que ce dernier restait membre "à part entière de la majorité", tout en exposant des différences et même des divergences avec l'Elysée et Matignon. Alors que le gouvernement ne dipose que d'une majorité relative, la décision de François Bayrou suscite de nombreuses réactions à l'Assemblée nationale. 

"Nous sommes membres à part entière de la majorité qui veut reconstruire le pays". Si par ces propos, François Bayrou a semblé vouloir tordre le cou à l'hypothèse selon laquelle le MoDem serait en train de s'éloigner de la majorité présidentielle, son analyse de la politique menée depuis 2017 s'avère sans concession.

Justifiant son refus d'entrer au gouvernement en raison de l'absence "d’accord profond sur la politique à suivre" en matière d'éducation et d'aménagement du territoire, le maire de Pau a notamment dénoncé sur le plateau de France info, jeudi 8 février, "un certain nombre de dérives qui sont fondées sur l'ignorance par les responsables du sommet de ce que vivent les Français à la base", ainsi que "la multiplication des indices selon lesquels la crise, on fait comme si elle n'existait pas".

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"Ouvrez-les yeux sur ce que nous sommes en train de vivre. Ça va finir où ce truc ?", s'est-il aussi exclamé, après avoir pointé la responsabilité de "la politique française telle qu'elle est conduite depuis de longues années et sans doute décennies". François Bayrou a cependant indiqué n'avoir "jamais" regretté d'avoir soutenu la candidature d'Emmanuel Macron en 2017, tout en n'écartant pas l'hypothèse de se présenter lui-même en 2027, au motif qu'il ne laisserait pas "dériver les choses sans rien dire". "Je n'ai jamais renoncé à aucun des devoirs qui sont les miens", a-t-il aussi déclaré.

La majorité présidentielle et... le MoDem sous tension

La décision et les mots de François Bayrou ont surpris jusque dans les rangs du MoDem, suscitant notamment une réaction très critique du président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, Jean-Louis Bourlanges (Démocrate) : "Le MoDem est en pleine incohérence", a-t-il fustigé jeudi matin dans un communiqué. "François Bayrou a décidé sans aucune concertation avec personne d'afficher un désaccord de fond avec la majorité présidentielle tout en recommandant aux députés de rester à bord et de participer au gouvernement !", dénonce Jean-Louis Bourlanges, pointant une logique de "participation sans le soutien". Et de conclure en parlant d'un choix : "politiquement inepte et moralement dégradant".

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"On a besoin de réconcilier les classes populaires de façon viscérale avec la politique française si on ne veut pas que Madame Le Pen arrive. C'est ce que dit François Bayrou" a, au contraire, justifié Richard Ramos (Démocrate)

Dans l'après-midi, le MoDem et les députés du groupe ont finalement publié un communiqué commun pour tenter d'apaiser et de clarifier la situation soulignant que, conformément aux propos de François Bayrou, le MoDem devait "rester pleinement dans la majorité". "Nous allons continuer à discuter avec le Premier ministre pour déterminer ce que sera le rôle du MoDem dans la majorité, en soutien et en participation", peut-on lire dans ce communiqué. Le parti et ses députés ajoutant vouloir "assumer" un "rôle de vigie" afin que les engagements formulés en 2017 et en 2022 soient respectés, "pour que la majorité reste la majorité".

Au-delà de cette mise au point officielle, les membres du groupe Démocrate étaient, hasard du calendrier, largement injoignables ce jeudi : "Chers journalistes, Nous sommes en séminaire. Nous travaillons, nous discutons collectivement ! Nous reviendrons vers vous avec plaisir… un peu plus tard", explique sur X (ex-Twitter) Erwan Balanant, photo à l'appui. Joint par téléphone, l'un des députés présents a souligné que ces deux journées de séminaire étaient prévues "de longue date".

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Du côté de Renaissance, relativement peu de réactions officielles. Sur les réseaux sociaux, le député Didier Le Gac (Renaissance) a salué d'un "Bravo" le message de Jean-Louis Bourlanges : "Franchement François Bayrou ? On a pas autre chose à faire, d’autres combats à mener en ce moment que d’étaler ses états d’âmes ?", fait-il mine d'interroger, tandis que sa collègue Mireille Clapot (apparentée Renaissance)  a elle aussi repartagé le message du président de la commission des affaires étrangères avec pour seul commentaire : "Si c'est une personnalité aussi éminente et clairvoyante que Jean-Louis Bourlanges qui le dit...

Alors que les 51 députés du groupe Démocrate (MoDem et independants) sont indispensables au gouvernement, qui ne dispose déjà que d'une majorité relative au Palais-Bourbon, d'autres, comme François Cormier-Bouligeon (Renaissance) ont cependant préféré jouer l'apaisement : "La candidature de François Bayrou pour 2027 est légitime. Ou plutôt le sera. Pour l'heure, nous avons à gouverner la France les trois prochaines années (...) Et nous voulons le faire avec nos amis députés du groupe Démocrate."

Les oppositions reprennent la balle au bond

L'opposition, quant à elle, ironise sur la sortie du président du MoDem : "Après 7 ans de soutien inconditionnel à Emmanuel Macron, M. Bayrou découvre soudainement qu’il est en désaccord avec la politique hors sol du gouvernement", écrit sur X le président du groupe Les Républicains Olivier Marleix. Commentant un extrait de l'interview de François Bayrou donnée jeudi matin à Franceinfo, dans lequel le maire de Pau s'alarme sur "la rupture constante, continuelle, progressive et de plus en plus grave entre la base et les pouvoirs", Fabien Di Filippo (LR) écrit, moqueur : "Ca ne l'avait pas frappé plus tôt ?"

Le premier secrétaire du Parti socialiste et député, Olivier Faure, a pour sa part critiqué "un Président isolé, replié sur un gouvernement de fidèles qui lui doivent tout et de traitres qui attendent de se disputer son héritage, une majorité qui se rétrécit de jour en jour". Et de dénoncer "une Présidence qui ne tient plus que par la force des institutions".

"On peut comprendre le désaccord de François Bayrou, ils sont en échec sur tout" a, quant à lui, réagi jeudi matin le vice-président de l'Assemblée Sébastien Chenu (Rassemblement national), invité des "4V" de France 2. "Quand ces gens vont-ils cesser de se regarder le nombril et s’occuper de notre pays qui s’effondre ?", a surenchéri son collègue député Grégoire de Fournas (RN).

Des remous jusqu'au sein de la gauche 

Cet épisode va-t-il également créer des tensions au sein de l'ex-Nupes ? La présidente du groupe écologiste Cyrielle Chatelain a tendu la main aux députés du groupe Démocrate. "Il y a des sujets sur lesquels, nous, on peut les aider à mettre du poids dans la balance", a déclaré l'élue, invitée jeudi matin de Public Sénat. La députée de l'Isère a notamment identifié "les questions démocratiques", la question de la proportionnelle, ou encore celles du logement et des "collectivités territoriales" comme pouvant faire l'objet d'un "rééquilibrage" avec l'aide des députés écologistes.

Depuis le début de la législature, les députés MoDem n'ont pas hésité à parfois s'émanciper du bloc majoritaire pour faire entendre leurs nuances, notamment sur des mesures liées à la fiscalité ou à la politique migratoire. Il est ainsi arrivé que ces pas de côté se traduisent par des votes à contre-courant de la position du gouvernement et du groupe Renaissance, et aux côtés des partis de gauche représentés à l'Assemblée nationale.

Si ça balance à droite, venez rééquilibrer. Cyrielle Chatelain

La proposition de Cyrielle Chatelain a cependant rapidement été jugée "tellement décevante" par Jean-Luc Mélenchon. "J'espère que c'est seulement un petit coup de com'. Car ce retour aux vieilleries de l'alliance avec le centre nous renvoie avant l'union de la gauche de 1973...", a écrit le leader des Insoumis sur son compte X. "L'union populaire est impossible avec le Modem qui défend des positions contre les revendications sociales et siège dans la majorité macroniste", a encore expliqué l'ancien candidat à l'élection présidentielle.