L'Assemblée nationale a adopté, jeudi 18 novembre en première lecture, le projet de loi "portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie". Ce texte octroie notamment un droit à réparation aux harkis ayant vécu dans des camps de transit français entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975.
"Au nom de la France, je dis aux harkis et à leurs enfants, à voix haute et solennelle, que la République a contracté envers eux une dette". C'est en citant les mots d'Emmanuel Macron que la ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens combattants, Geneviève Darrieussecq, a entamé l'examen du projet de loi portant reconnaissance envers les harkis.
En septembre dernier, le président de la République avait reconnu que les harkis avaient été "abandonnés" par la France à l'issue des accords d'Evian de mars 1962. Il leur avait également demandé "pardon et promis, "avant la fin de l'année", un projet de loi de "reconnaissance et de réparation".
Le texte, discuté jeudi 18 novembre dans l'Hémicycle, a été adopté en première lecture en fin de journée (46 voix pour, 1 contre). Soutenu par une grande majorité de députés, il a cependant fait l'objet de l'abstention des groupes "Les Républicains" et "La France insoumise".
Selon l'article 1er du texte, "la Nation exprime sa reconnaissance envers les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie et qu’elle a abandonnés". L’État reconnaît également "sa responsabilité du fait de l’indignité des conditions d’accueil et de vie sur son territoire, à la suite des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 relatives à l’Algérie."
Geneviève Darrieussecq a évoqué à la tribune un "véritable tournant historique". "Oui, la France a tergiversé pour ouvrir ses portes aux harkis et à leurs familles (...) Oui, la France a abandonné certains de ces enfants qui pourtant s'étaient battus pour elle", a déclaré la ministre. Pour elle, il s'agit là de "la singularité de cette tragédie française".
Le projet de loi prévoit donc que les harkis, leurs conjoints et leurs enfants qui ont séjourné entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975 dans les camps et hameaux de forestage pourront "obtenir réparation des préjudices résultant de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie". Cette réparation prendra la forme d'une "somme forfaitaire" en fonction de la durée de séjour des personnes au sein de ces structures, selon un barème fixé par décret.
"Le préjudice est considéré dès le premier jour". a précisé Geneviève Darrieussecq. En dessous de 3 mois, "la somme proposée sera de 2000 euros. Quand cela dépassera trois mois, il y aura une somme plancher de 3000 euros, qui sera augmentée de 1000 euros par année de présence dans les camps".
Outre des montants que certains jugent "dérisoires", comme François Ruffin (La France insoumise), c'est la règle même d'indemnisation qui a divisé les députés. Un certain nombre d'entre eux ont en effet estimé que les harkis n'ayant pas transité par les camps n'en étaient pas moins éligibles au droit à la réparation. "On ne peut pas dire que la réparation est uniquement liée à la privation de liberté", a déclaré Julien Aubert (Les Républicains). Selon l'élu du Vaucluse "on ne peut pas réparer une injustice en en créant une autre".
Alexis Corbière (LFI) a fait part des mêmes réserves : "Je ne comprends pas qu'on commence avec 90 000 harkis à dédommager et à la fin on est uniquement sur 50 000." François Ruffin (LFI) a notamment évoqué les harkis de Picardie et du Nord, qui ont moins fréquenté les camps de transit, mais vécu dans des bidonvilles ou des structures d'accueil non répertoriées. Selon lui, le projet de loi est "mesquin, riquiqui".
La rapporteure du texte, Patricia Mirallès (La République en marche), leur a répondu que le projet de loi indemnise les harkis qui ont été privés de liberté : "Les camps ouverts ce ne sont pas les mêmes conditions que ceux qui étaient enfermés, avec des barbelés". Par ailleurs, les personnes ayant transité, même très peu de temps, dans des camps et hameaux de forestage, auront droit à la réparation.
Patricia Mirallès a également évoqué la possibilité, au cas par cas, d'indemniser y compris les harkis, n'ayant jamais transité par les structures d'accueil inscrites dans la loi, via le Fonds de solidarité dédié, qui existe déjà. La ministre, tout comme la rapporteure avant elle, a assumé le fait que le mécanisme de réparation prévu par la loi ne concerne que "50.000 harkis sur les 90.000 qui sont entrés en France".
Pour faciliter la mise en œuvre du droit à réparation, une nouvelle "commission nationale de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles" est créée par le texte. Rattachée à "l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre", elle aura pour but de statuer sur les demandes de réparation, de "contribuer au recueil et à la transmission de la mémoire de l’engagement au service de la Nation des harkis".
Elle pourra également proposer d'étendre la liste des lieux de séjour ouvrant un droit à la réparation. Par ailleurs, la nouvelle commission pourra signaler à l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre des dossiers individuels qui ne sont pas éligibles au dispositif d'indemnisation afin que les personnes visées puissent obtenir un "accompagnement spécifique des pouvoirs publics". Cela pourra se traduire par "une prise en charge sociale, voire financière". Enfin, le texte facilite l'octroi de l'allocation viagère au profit des conjoints et ex-conjoints survivants de harkis.
Un amendement de Patricia Mirallès a par ailleurs institué la "journée nationale d’hommage aux harkis, aux moghaznis et aux personnels des formations supplétives et assimilés en reconnaissance des sacrifices qu’ils ont consentis du fait de leur engagement au service de la France lors de la guerre d’Algérie". Si cette journée, célébrée le 25 septembre, existe déjà par le décret du 31 mars 2003, il s'agit de la consacrer dans la loi. Fait nouveau, elle rendra désormais également hommage aux "personnes qui ont apporté leur secours et leur assistance" aux harkis.