Jean-Marie Le Pen, cofondateur et figure emblématique du Front national, est mort

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Jean-Marie Le Pen à l'Assemblée nationale
Jean-Marie Le Pen à l'Assemblée nationale (AFP)
par Raphaël Marchal, le Mardi 7 janvier 2025 à 13:50, mis à jour le Mercredi 8 janvier 2025 à 11:40

Le cofondateur du Front national, Jean-Marie Le Pen, est mort à l'âge de 96 ans, ce mardi 7 janvier. Président du parti d'extrême droite pendant 38 ans, cinq fois candidat à l'Elysée, plusieurs fois député, il avait atteint le second tour de l'élection présidentielle en 2002. En plus de 60 ans de vie politique, cette figure controversée de la Vème République a multiplié les provocations, dont certaines en infraction avec la loi, ce qui lui a valu d'être plusieurs fois condamné par la justice.

Le "Menhir" s'en est allé. Jean-Marie Le Pen est mort, ce mardi 7 janvier, à l'âge de 96 ans, dans un établissement où il avait été admis il y a plusieurs semaines. "Jean-Marie Le Pen, entouré des siens, a été rappelé à Dieu ce mardi à 12h", a indiqué sa famille dans un communiqué transmis à l'AFP.

Au cours de sa carrière politique, le cofondateur du Front national (FN) aura réussi à faire d'un mouvement initialement groupusculaire un parti incontournable de la Vème République, sur fond de provocations, de polémiques et de condamnations judiciaires. Honni, hors de sa formation, par les autres responsables politiques avec lesquels il a ferraillé pendant plusieurs décennies, Jean-Marie Le Pen avait fini par diviser jusque dans sa propre famille politique, en quête de dédiabolisation et lassée des excès de sa figure historique.

En près de 65 ans de carrière, il aura été plusieurs fois député, député européen, conseiller régional et se sera présenté cinq fois à l'élection présidentielle. Marquant l'histoire de la Vème République par sa qualification au second tour de la présidentielle de 2002, ses outrances et le capital politique qu'il a laissé au Rassemblement national, le parti qui a succédé au Front national. 

Plusieurs fois condamné par la justice, Jean-Marie Le Pen a notamment été condamné deux fois au civil, en 1991 et en 1999, pour avoir déclaré le 13 septembre 1987, et réitéré à plusieurs reprises, que l'existence des chambres à gaz était "un point de détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale". Il a aussi été condamné en appel au pénal, en 2017, pour contestation de crime contre l'humanité, après avoir répété ces propos en 2015. Condamnation confirmée en 2018 en cassation. 

Les débuts politiques

En 1956, la IVème République connaît ses derniers instants et Jean-Marie Le Pen est élu, à 27 ans, député de la Seine. Inconnu des Français à cette époque, il profite de la popularité de son mentor d'alors, Pierre Poujade, et d'un scrutin organisé à la proportionnelle pour faire son entrée au Palais-Bourbon. Il est néanmoins autorisé à quitter les bancs de l'Assemblée nationale pour servir en Algérie. Plusieurs décennies plus tard, il sera accusé d'avoir recouru à la torture au cours de la guerre d'Algérie

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Jean-Marie Le Pen est élu député en 1956

Par la suite Jean-Marie Le Pen, qui s'est brouillé avec Pierre Poujade, est réélu député en 1958, malgré le rétablissement du scrutin uninominal majoritaire. Il a donc participé à la première législature de la Vème République, durant laquelle il s'opposera vigoureusement à l'indépendance de l'Algérie. Il échoue à se faire réélire en 1962, et sera défait en 1968.

La naissance du Front national

En parallèle, Jean-Marie Le Pen met sur l'ouvrage le travail de sa vie : l'édification d'un grand parti d'extrême droite. En 1972, il participe à la fondation du Front national, notamment avec des membres du mouvement nationaliste Ordre nouveau. Les premiers résultats sont modestes, et les principaux observateurs de l'époque affirment que l'extrême droite est à tout jamais disqualifiée par les atrocités commises durant la Seconde Guerre mondiale pour espérer compter dans la vie politique française. En 1974, Jean-Marie Le Pen ne récolte que 0,75% des voix au premier tour de l'élection présidentielle.

Et pourtant, dès 1983, le FN voit ses scores augmenter. Jean-Marie Le Pen est élu conseiller municipal à Paris, tandis que le numéro 2 du parti, Jean-Pierre Stirbois, obtient 16% des voix aux municipales partielles de Dreux. Un "coup de tonnerre" à l'époque. Davantage médiatisé, le parti obtient ses premiers succès. En 1984, Jean-Marie Le Pen fait ainsi son entrée au Parlement européen, en compagnie de neuf autres candidats du Front national. 

Un groupe FN à l'Assemblée

Mais c'est lors des élections législatives de 1986 que le Front national acquiert un poids véritablement conséquent sur la scène politique française, bien aidé par un scrutin de liste proportionnel à un tour voulu par François Mitterrand. 35 députés frontistes sont élus. Pour la première fois, un parti d'extrême droite française dispose de son propre groupe parlementaire à l'Assemblée nationale. L'ascension de Jean-Marie Le Pen et de son parti a débuté.

Au cours de cette période, le chef de file du FN se plaint du traitement particulier réservé, selon lui, à son parti dans les médias. En 1987, lors d'une séance de Questions au gouvernement, il critique une forme de "terrorisme intellectuel", vilipendant en particulier les journalistes de l'AFP et demandant au ministre de la Culture et de la Communication d'alors, François Léotard, d'y remédier.

En 1988, il recueille 14,4 % des voix à la présidentielle, puis 15 % en 1995. Entre temps, en vue des élections législatives de 1988, le Premier ministre Jacques Chirac a décidé d'un nouveau changement de mode de scrutin, revenant sur la proportionnelle instaurée en 1986, et le Front national perd son groupe au Palais-Bourbon

Le choc de 2002

En 2002, à la surprise générale ou presque, Jean-Marie Le Pen se qualifie pour le second tour de l'élection présidentielle, avec 16,86% des suffrages, aux dépens du socialiste Lionel Jospin. Le succès le plus marquant de sa carrière politique. "C'était la surprise parce que le Front national sortait d'une crise très grave [la scission avec Bruno Mégret, ndlr.]. Mais de ce fait, on m'avait peut-être sous-estimé", confiait-il en 2014 sur LCP.

Lors du premier tour, marqué par les questions de sécurité, le discours du Front national a porté ses fruits. Jean-Marie Le Pen, qui dénonce une justice selon lui laxiste, plaide pour la "tolérance zéro". Il défend aussi une politiqué anti-migratoire et prône la "préférence nationale". Candidat à sa réélection, Jacques Chirac refuse de débattre avec lui entre les deux tours. A l'issue du second tour, confronté à un "front républicain", le candidat du FN n'obtient que 17,79% des voix

Cinq ans plus tard, le président du FN échoue à se qualifier à nouveau au second tour de la présidentielle, se classant en quatrième position à l'issue du premier. Tout en conservant ses mandats électifs, il prépare alors sa succession pour passer la main à sa fille, Marine Le Pen, qui prendra la tête du parti en 2011. Lui reste conseiller régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur jusqu'en 2015, et député européen jusqu'en 2019. "Le souvenir que j’emporte de cette maison après 35 ans de mandat, c’est un petit peu le sentiment d’inutilité", déclare-t-il au sujet du Parlement européen. 

L'exclusion du parti

Que restera-t-il de l'héritage de Jean-Marie Le Pen ? Sans lui, le Rassemblement national n'aurait sans doute pas connu le même essor. Mais son personnage, sa stratégie et sa ligne politique n'ont jamais permis au Front national d'obtenir autant de députés qu'en 2022 et en 2024. Et après son échec de 2007, c'est bien sa fille qui s'est qualifiée pour le second tour de la présidentielle en 2017 et en 2022. 

Peu à peu, le patriarche est devenu encombrant pour sa famille politique. Dès 2012, il fait publiquement part de son opposition à une partie du programme présidentiel de sa fille. Puis s'oppose à la stratégie de "dédiabolisation", multipliant les déclarations outrancières. En 2015, il réaffirme que les chambres à gaz sont un "détail" de l'Histoire, puis défend le Maréchal Pétain. Ses condamnations et ses dérapages, dont le sinistre jeu de mots "Durafour crématoire", prononcé en 1988, font à nouveau l'actualité. 

La figure tutélaire est devenue gênante, à l'heure où le Front national entame sa mue et cherche à se normaliser. Marine Le Pen l'appelle à se retirer de la vie politique. En 2015, il est exclu du parti qu'il a contribué à fonder et s'engage dans des joutes judiciaires intestines pour contester cette exclusion. Sa fonction de président d'honneur du Front national est supprimée en mars 2018, lors d'un congrès au cours duquel est également acté le processus de changement de nom du parti qui deviendra le Rassemblement national. 

C'est donc de l'extérieur que Jean-Marie Le Pen assiste aux transformations de la structure qu'il a lancée et popularisée, et à l'ascension de jeunes cadres, comme l'actuel président du RN, Jordan Bardella. Il ne renonce pas totalement à la vie publique, saluant la qualification de Marine Le Pen au second tour de l'élection présidentielle 2022. Mais ses apparitions se font plus rares. Il disparaît sans que ses espoirs de voir le Rassemblement national accéder au pouvoir n'aient été comblés.