Justice : l'Assemblée autorise l'activation à distance des téléphones portables pour certaines enquêtes

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Téléphone portable géolocalisation 5 juillet 2023 Pxhere
Les députés ont approuvé l'activation à distance des téléphones portables à des fins de géolocalisation ou de captation d'images et de sons par les enquêteurs (© Pxhere)
par Raphaël Marchal, le Mercredi 5 juillet 2023 à 20:15, mis à jour le Mardi 18 juillet 2023 à 18:58

L'Assemblée nationale a voté en première lecture, mercredi 5 juillet, la possibilité d'activer à distance - dans certaines enquêtes - les appareils connectés, dont les téléphones portables, à des fins de géolocalisation ou de captation de sons et d'images. Ces dispositions sont prévues dans le cadre du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice, débattu cette semaine par les députés. 

Au bout de longues heures d'examen, réparties sur trois jours, les députés ont adopté en première lecture l'article 3 du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice (2023-2027), par 80 voix contre 24. Fort de quelque 150 alinéas, cet article modifie de nombreux points de la procédure pénale, à toutes les étapes : extension de l'utilisation de la perquisition de nuit, recours à la visioconférence pour l'examen médical en garde à vue ou pour les traducteurs, création d'une nouvelle procédure d’assignation à résidence sous surveillance électronique...

Parmi ces nombreuses mesures, deux d'entre elles ont particulièrement fait débat. Il s'agit de la possibilité pour les enquêteurs d'activer à distance un objet connecté - comme un téléphone portable -, sa caméra et son micro pour géolocaliser ou procéder à des écoutes de suspects dans certaines affaires. Cette disposition est encadrée : elle ne peut se faire qu'après autorisation d'un juge et dans un temps limité.

Crimes et délits punis d'au moins cinq ans de prison, criminalité organisée, terrorisme... 

En outre, les enquêteurs ne pourront géolocaliser un appareil électronique que pour des crimes et délits passibles d'au moins cinq ans de prison, comme l'ont voté les députés en séance, conformément au projet du gouvernement. Lors de l'examen du texte au Sénat, un seuil de dix ans avait été retenu, ce qui - a souligné le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti - excluait du champ de la mesure les faits de proxénétisme, de traite des êtres humains ou encore de trafic de substances interdites aux fins de dopage.

Quant à la récupération de sons et d'images depuis un objet connecté, elle ne pourra être mise en œuvre que dans le cadre d'enquêtes relevant du terrorisme ou du crime organisé. Par ailleurs, certaines professions ne pourront pas faire l'objet de ces techniques : avocats, magistrats, parlementaires, journalistes...

Ces différents éléments de cadrage n'ont pas convaincu la gauche de l'hémicycle, très critique contre l'activation à distance des appareils électroniques, qu'elle juge trop intrusive. "Ce projet de loi est délétère", a tancé Ersilia Soudais (La France insoumise). "1984, c'est précisément le monde que vous êtes en train de nous fournir", a critiqué Antoine Léaument (LFI), qui a lu un extrait de l'ouvrage dystopique de George Orwell dans l'hémicycle. Pourtant issue de la majorité présidentielle, Mireille Clapot (Renaissance) a elle aussi questionné la "disproportion" du dispositif.

"Pourquoi se priverait-on des nouvelles technologies ?"

Tour à tour, le ministre de la Justice, ainsi que le rapporteur de cette partie du texte, Erwan Balanant (Démocrate), ont tenté de répondre aux craintes soulevées par certains élus. À savoir, qu'il s'agit de techniques déjà existantes, mais dépassées sur le plan technique : ainsi, la géolocalisation peut être réalisée par la pose de balises, une opération "risquée pour les policiers" et sans assurance d'efficacité, puisque la balise peut être déplacée ou brouillée. "Quelqu'un est suspecté, on le géolocalise. Le reste, c'est de la fantasmagorie", a plaidé Eric Dupond-Moretti.

De même, il est déjà possible de "sonoriser" un appartement ou une voiture, mais, là encore, cela nécessite la visite discrète de fonctionnaires, sans garanties d'efficacité. "La technique aujourd'hui est défaillante. Pourquoi se priverait-on des nouvelles technologies ?", a résumé le garde des Sceaux. "À force de crier au loup, vous n'êtes plus crédibles du tout", a-t-il lancé aux élus qui lui opposaient le respect de la vie privée.

Favorables à ces techniques, les députés du Rassemblement national s'en sont pris aux élus de la Nupes. "Vous voulez mettre des bâtons dans les roues des enquêteurs. Nous, nous voulons empêcher les criminels, les grands délinquants, de continuer leurs forfaits", a lancé Philippe Schreck (RN).

Un amendement sur les sex-toys connectés

Mardi soir, la veille de l'adoption de l'article 3, les débats ont pris un accent inattendu, lorsque Ugo Bernalicis (LFI) a défendu un amendement pour exclure du dispositif les sex-toys connectés. "Je ne suis pas pour que l'on pénètre comme ça dans la vie privée des gens", a-t-il expliqué, sous les rires amusés d'une partie de l'hémicycle. "Le Parlement mérite mieux que votre cirque habituel", a rétorqué le ministre de la Justice.

Sur un ton plus sérieux, Sandra Regol (Ecologiste) a néanmoins souligné que derrière cet amendement surprenant, se cachait un sujet important. "Par extension, les gadgets de la vie quotidienne rentrent-ils dans le cadre du dispositif ? Il n'y a aucune limite à la surveillance que l'on peut déclencher", a-t-elle relevé, pointant par exemple que les dispositifs d'aide à l'audition pourraient être utilisés, à condition de respecter le cadre de la loi.

Les députés poursuivent mercredi soir soir l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice. Ce texte, ainsi qu'un projet de loi organique réformant le statut des magistrats, sont inscrits à l'ordre du jour de l'hémicycle jusqu'en milieu de semaine prochaine. Ils feront ensuite l'objet d'un vote solennel le 18 juillet.