L'annonce d'une nouvelle loi sur l'immigration en 2025 met l'ex-majorité présidentielle sous tension

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par Maxence KagniElsa Mondin-Gava, le Lundi 14 octobre 2024 à 10:00, mis à jour le Lundi 14 octobre 2024 à 20:05

L'annonce d'une "nouvelle loi" sur l'immigration en 2025 par la porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon, dimanche 13 octobre, a provoqué des réactions pour le moins contrastées et critiques au sein de l'ex-majorité présidentielle. A commencer par celle de Gabriel Attal qui a estimé, ce lundi, que moins d'un an après l'adoption de la précédente loi, cette idée ne lui semblait "pas totalement prioritaire". D'autres députés du parti présidentiel allant jusqu'à dénoncer "nouvelle provocation de Bruno Retailleau".

 "Il faudra une nouvelle loi immigration pour adapter un certain nombre de dispositions." Dimanche, la porte-parole du gouvernement Maud Bregeon a confirmé, sur le plateau de BFMTV, que le gouvernement entendait proposer un nouveau texte sur l'immigration au début de l'année 2025. "Il ne doit y avoir aucun tabou en matière de protection des Français", a expliqué l'ex-députée du parti présidentiel entrée au gouvernement.

Une annonce qui menace de fracturer le fragile "socle commun", dont Michel Barnier a besoin pour gouverner et qui réunit les groupes Ensemble pour la République, Les Démocrates, Horizons et la Droite républicaine. Si l'aile droite de l'ex-majorité présidentielle salue l'initiative, d'autres s'y opposent et dénoncent "une dérive très inquiétante".

Bruno Retailleau et l'affaire Philippine

Bruno Retailleau l'avait annoncé une première fois, le 10 octobre, dans une interview au Parisien. "L'affaire Philippine a montré que les choses ne pouvaient pas rester en l'état", a déclaré le ministre de l'Intérieur, qui estime qu'il "faudra une loi pour compléter la loi immigration de janvier [2024]". Dans son interview, le ministre propose d'augmenter à 210 jours la durée maximale de placement en centre de rétention administrative pour les étrangers en situation irrégulière auteurs de crimes sexuels, contre 90 jours aujourd'hui. 

Une piste également évoquée par Maud Bregeon, dimanche 13 octobre, sur le plateau de BFMTV : la porte-parole du gouvernement a rappelé la volonté de "faciliter la détention des étrangers en situation irrégulière qui présentent des profils dangereux dans des centres de rétention administrative.D'autres dispositions jugées "utiles" pourraient être incorporées au futur texte. "Cela se fera au sein de discussions au sein du gouvernement, avec les groupes parlementaires à l'Assemblée et au Sénat", a expliqué la porte-parole du gouvernement.

Bruno Retailleau a d'ores et déjà annoncé qu'il souhaitait réintégrer certaines dispositions de la précédente loi immigration, qui avaient été censurées par le conseil constitutionnel. C'est notamment le cas de la mesure imposant une durée de séjour régulier sur le territoire pour accéder à certaines prestations sociales non contributives : "Les juges ont considéré que cinq ans de résidence en France étaient trop. Nous pouvons proposer trois ans", a déclaré Bruno Retailleau au Parisien. Les mesures censurées par le conseil constitutionnel "serviront de bases pour le nouveau projet de loi", a d'ailleurs expliqué une source gouvernementale à l'AFP.

L'examen de la précédente loi immigration, adoptée définitivement le 19 décembre 2023, avait profondément divisé le camp présidentiel. Fait rare lors de la précédente législature, 27 députés de la majorité relative avaient voté contre le texte, et 32 s'étaient abstenus. D'autres avaient accepté de voter en faveur du projet de loi, car ils estimaient qu'un certain nombre de ses mesures seraient censurées par le Conseil constitutionnel, ce qui a bel et bien été le cas. La tentative de les remettre à l'ordre du jour via une nouvelle loi pourrait donc relancer de douloureux débats au sein de la coalition présidentielle. 

Les scepticisme affiché de Gabriel Attal

"Je ne suis pas sûr qu'étant donné l'état de notre société, du rapport de force à l'Assemblée nationale, cette proposition puisse apporter de la concorde et de la sérénité dans les débats", considère Erwan Balanant (Les démocrates). Le député du Finistère de s'étonne du choix de mettre en avant un sujet "qui clive" au sein de l'ex-majorité qui compose aujourd'hui l'essentiel du "socle commun", ce qui ne manquera pas de souligner les "différences de point de vue" et de "mettre du désordre", estime-t-il auprès de LCP.

Dès ce lundi matin, le président du groupe Ensemble pour la République, Gabriel Attal, a d'ailleurs montré sur France inter son scepticisme : "Faire une loi pour une loi, sans nous expliquer ce qu'il y aurait dedans, ne me semble pas totalement prioritaire", a déclaré l'ancien Premier ministre. "On a adopté une loi il y a moins d'un an sur l'immigration avec des mesures dont certaines ne sont pas encore en vigueur puisque les décrets ne sont pas encore sortis", a déclaré Gabriel Attal, qui juge "prioritaire" d'"agir" plutôt que de légiférer encore. 

L'ancien ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a également rappelé, dimanche soir sur France 2, qu'il "y a encore beaucoup de décrets d'application" de la précédente loi immigration "à prendre". Le député du Nord, qui avait porté la précédente loi quand il était membre du gouvernement, se dit cependant prêt à soutenir la nouvelle "si les choses sont positives pour les Français et pour leur sécurité".

"Pas d’une nouvelle loi basée sur des fondements populistes"

Le porte-parole du groupe Horizons, Xavier Albertini, refuse de commenter les annonces gouvernementales "avant d'en savoir plus sur le fond" du texte. Mais, déjà, deux lignes semblent se dessiner au sein de l'ancienne majorité présidentielle. D'un côté, les membres de l'aile droite, qui ont "bien accueilli" l'annonce gouvernementale. "Il est urgent de réintroduire dans notre droit les articles censurés sur la forme par le Conseil constitutionnel il y a un an", explique ainsi à LCP un membre du groupe Ensemble pour la République, qui ajoute toutefois que "la priorité est d'appliquer entièrement la loi votée il y a un an".

De l'autre côté, certains députés s'apprêtent à "combattre cette loi"Ce dont nous avons besoin c’est de la mise en œuvre du pacte asile et migration européen et de l’application de loi de décembre 2023, certainement pas d’une nouvelle loi basée sur des fondements populistes", a notamment écrit Guillaume Gouffier Valente (Ensemble pour la République) sur son compte X (ex-Twitter). "Au regard de toutes les déclarations du ministre de l’Intérieur, la philosophie de cette loi reposera sur l’utopie néfaste de la fermeture des frontières et la stigmatisation des étrangers", fustige le député du Val-de-Marne, interrogé par LCP. Et de dénoncer une "dérive très inquiétante" : selon lui, la nouvelle loi immigration serait "un gage accordé au RN" et "marquerait une véritable rupture avec les équilibres (...) défendus depuis 2017".

"Quelle idée saugrenue qu’une nouvelle loi alors que l’on a pas encore évalué la précédente" réagit, quant à lui, Stéphane Travert (apparenté Ensemble pour la République). Le député de la Manche dénonçant, auprès de LCP, une "nouvelle provocation de Bruno Retailleau" : "On a mieux à faire", évacue l'ancien ministre de l'Agriculture du gouvernement d'Edouard Philippe, qui évoque notamment les questions de la dette, des politiques éducatives, ou encore de santé.

 

Le NFP très critique, le RN veut "aller plus loin"

La gauche conteste vivement le bien-fondé des annonces gouvernementales : "Bruno Retailleau nous refourgue une nouvelle loi immigration comme gage à l'extrême droite", a dénoncé le Premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, invité dimanche sur France inter. Le député La France insoumise Andy Kerbrat a, pour sa part, critiqué sur son compte X un "gouvernement en excès de vitesse sur l’autoroute du fascisme, même le week-end".

Au contraire, le Rassemblement national se dit prêt à soutenir l'initiative du gouvernement : "On nous trouvera en soutien comme on l'avait fait sur la loi Darmanin", a expliqué le député RN Sébastien Chenu, lundi matin sur TF1. Mais l'ancien vice-président de l'Assemblée nationale prévient déjà que son groupe va "demander à aller beaucoup plus loin", notamment sur l'aide médical d’Etat (AME).

"Nous nous réjouissons de voir que les aspirations de 11 millions de Français commencent à être prises en compte" explique, de quant à lui, Charles Alloncle, le porte-parole des députés Union des droites pour la République, interrogé par LCP. Tout comme ses alliés du RN, le groupe présidé par Eric Ciotti attend de "juger les actes" du gouvernement, notamment vis-à-vis de l'AME.