L'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, la proposition de loi "visant à garantir un revenu digne aux agriculteurs et à accompagner la transition agricole". Voté dans la nuit du jeudi 4 au vendredi 5 avril, ce texte présenté par le groupe Ecologiste a été jugé "inopérant" et "contreproductif" par le gouvernement et la majorité présidentielle. Il va maintenant devoir poursuivre son parcours législatif au Sénat.
Il s'agit, selon la rapporteure écologiste du texte, Marie Pochon, d'une "victoire concrète" pour "les agriculteurs qui ne vivent pas aujourd'hui de leur travail". L'Assemblée nationale a adopté dans la nuit de jeudi à vendredi, en première lecture, la proposition de loi "visant à garantir un revenu digne aux agriculteurs et à accompagner la transition agricole" (89 pour, 66 contre, 13 abstentions).
Le texte, examiné dans le cadre de la journée d'initiative parlementaire du groupe Ecologiste, a pour but de répondre au "ras-le-bol" des agriculteurs en instaurant un mécanisme de "prix planchers" pour les productions agricoles. Le gouvernement et la majorité présidentielle s'y sont opposés, le jugeant "inopérant" et "contreproductif".
La ministre déléguée auprès du ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Agnès Pannier-Runacher, a dénoncé, à l'issue du scrutin, un "coup politique" : "Si on veut tuer notre agriculture, avançons avec des prix administrés, ce ne sera pas notre action !" Les groupes de gauche et les députés LIOT ont voté en faveur du texte, tandis que le groupe Rassemblement national s'est abstenu et que Les Républicains n'ont pas pris part au vote.
La proposition de loi prévoit d'instaurer un "prix minimal d’achat des produits agricoles" tenant notamment compte "des coûts de production dans chaque filière, de la rémunération des agriculteurs et de la diversité des bassins et systèmes de production".
Ces prix planchers, qui ne peuvent être inférieurs aux coûts de production, devront - si le texte est définitivement adopté à l'issue d'un processus parlementaire qui ne fait que commencer - être révisés au moins tous les quatre mois. Les calculs devront prendre en compte un niveau de rémunération des agriculteurs équivalent à 2 Smic, mais aussi la taille de l'exploitation ou encore la spécificité des territoires ultramarins. La fixation du prix sera faite par des conférences publiques de filière ou, à défaut, par les ministres de l’Economie et de l'Agriculture.
Le texte propose également de mettre en place un "fonds dédié à la transition agroécologique" et à la "production biologique" financé par une "hausse de la taxation sur les bénéfices des industries agroalimentaires et phytosanitaires". Les mesures de la proposition de loi seraient financées par une "contribution additionnelle, équivalente à dix pour cent des bénéfices générés par les industries de l’agroalimentaire, du secteur de la distribution, des produits phytosanitaires et des engrais de synthèse".
En novembre 2023, l'Assemblée nationale avait repoussé à quelques voix près une proposition de loi analogue de la France insoumise, qui établissait "un prix d’achat plancher des matières premières agricoles". Ce dispositif est revenu dans le débat public le 24 février dernier, lorsque le président de la République, Emmanuel Macron, a affirmé être favorable à "des prix planchers qui permettront de protéger le revenu agricole". "La parole publique [du chef de l'Etat] compte et plus que cela, elle engage", a commenté Marie Pochon (Ecologiste). "Le président de la République devrait nous remercier, nous [qui voulons] faire en sorte que cette promesse soit tenue", a également affirmé Aurélie Trouvé (La France insoumise).
"Le président de la République n'a jamais souhaité entrer dans un système de prix administrés", a réagi Anne-Laure Babault (Démocrate). Selon elle, les prix planchers risquent de devenir des "prix plafonds" en raison de la "guerre de prix féroce entre les acteurs de la grande distribution". "Vos recommandations sont inopérantes", a pour sa part expliqué la ministre déléguée auprès du ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire Agnès Pannier-Runacher, qui a toutefois confié "partager les ambitions de départ" de la proposition de loi écologiste. "Ce n'est pas à la loi de fixer les prix", a encore plaidé la ministre. Selon elle, le mécanisme proposé par les députés écologistes risque de favoriser l'importation de produits agricoles étrangers moins chers et de moins bonne qualité.
Agnès Pannier-Runacher a estimé que la solution pourrait, en revanche, venir d'une "meilleure application" des dispositifs issus des Etats généraux de l'alimentation. Le gouvernement souhaite attendre les conclusions de la mission confiée aux députés Anne-Laure Babault (Démocrate) et Alexis Izard (Renaissance) : celle-ci doit "évaluer une potentielle évolution du cadre législatif et réglementaire des lois EGalim et, plus globalement, des négociations commerciales". Un texte, issu des travaux de la mission, devrait être présenté cet été, a précisé Agnès Pannier-Runacher.
Les députés écologistes ont compris dans l'après-midi qu'ils avaient la possibilité de faire adopter leur texte : ils ont réussi à faire adopter plusieurs amendements contre l'avis du gouvernement, comme celui de la rapporteure Marie Pochon, prévoyant que "si le prix minimal [fixé] est inférieur au prix du marché, c’est ce dernier qui doit être pris en compte par les parties dans le cadre de leurs négociations". Les députés ont également précisé que si la conférence publique de filière ne s'accorde pas sur un nouveau prix et que le gouvernement ne le révise pas non plus, alors le dernier prix minimal fixé cessera de s'appliquer au bout d'un an.
Cette succession de victoires de la part des oppositions a contribué à faire monter la tension au sein de l'hémicycle : les élus de gauche ont accusé la majorité, mais aussi la ministre Agnès Pannier-Runacher, de ralentir sciemment les débats pour empêcher le vote. "Il y a un minimum d'usages, qui sont de ne pas pourrir ces journées" d'initiative parlementaire, a notamment lancé Sandra Regol (Ecologiste).
"Toute l'année, vous faites de l'obstruction sur les textes que vous jugez mauvais", lui a répondu Alexis Izard (Renaissance), qui a revendiqué le droit pour les députés de la majorité de "démontrer pourquoi" ils s'opposaient au texte. "Je n'ai pas de leçon de morale à recevoir" a également répondu Agnès Pannier-Runacher, qui a affirmé que le gouvernement travaillait "matin, midi et soir" sur le revenu des agriculteurs.
Juste avant la pause de 20 heures, Bruno Millienne (Démocrate) a vivement mis en cause les députés écologistes, après l'adoption de l'article 1er du texte : "Je veux bien que vous vous rachetiez une conscience après avoir fait chier les agriculteurs pendant des décennies, mais ça ne marche pas." Antoine Léaument (La France insoumise) a alors accusé l'élu MoDem de vouloir provoquer des "scènes tumultueuses" pour empêcher l'examen du texte.
Continuez l'agriculture biologique sur vos terrasses, et foutez la paix aux agriculteurs ! Bruno Millienne
Son intervention a aussi provoqué la colère de la présidente des députés du groupe Ecologiste, Cyrielle Chatelain : "Vous n'assumez pas votre vote, vous n'assumez pas de ne pas avoir protégé les agriculteurs ! (...) Si les agriculteurs baissent leurs prix, c'est parce que vous êtes lâches, que vous votez le CETA, que vous refusez de prendre l'argent là où il est !"
"Vous avez fait une telle obstruction que j'ai dû supprimer mes amendements rédactionnels", a expliqué Marie Pochon, à l'issue de l'examen de la loi. "Il faudra consolider ce texte", a-t-elle ajouté.
Et la députée écologiste de mettre en garde l'exécutif : "Cette victoire pose l'intention de la majorité de l'Assemblée nationale avant la loi d'orientation agricole." L'examen de cette proposition de loi a, en quelque sorte, fait office de premier round avant le débat sur le projet de loi "d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture".
Présenté en Conseil des ministres mercredi 3 avril, le texte du gouvernement sera examiné en mai à l'Assemblée nationale, avec pour ambition d'apporter des réponses à la crise agricole. De son côté, la proposition de loi écologiste, qui vient d'être adoptée en première lecture, n'en est qu'au début d'un parcours législatif qui va maintenant devoir se poursuivre au Sénat.