Les députés ont adopté, jeudi 23 septembre, l'ensemble des dispositions restantes du projet de loi sur la responsabilité pénale et la sécurité intérieure dont ils avaient commencé mardi l'examen en première lecture. Les débats ont porté sur les mesures concernant les forces de l'ordre, les drones et la lutte contre les rodéos motorisés. Le texte va désormais être transmis au Sénat.
Après la réforme de l'irresponsabilité pénale, les députés ont oeuvré mercredi et jeudi dans l'hémicycle du Palais Bourbon pour adopter diverses mesures sur la sécurité intérieure. Le texte fait en quelque sorte office de voiture-balai de fin de quinquennat, abordant aussi bien la question de la vidéo en garde à vue que le durcissement des peines en cas de refus d'obtempérer. LCP.fr passe en revue ses principaux articles.
"Protéger ceux qui nous protègent", tel est l'objectif de l'article 4, adopté par les députés, qui prévoit de renforcer les sanctions prévues à l'encontre des agresseurs de policiers, gendarmes, douaniers, agents pénitentiaires et sapeurs-pompiers. Une nouvelle infraction punit de 7 ans de prison et de 100 000 euros d'amende les agressions ayant entraîné une ITT de plus de huit jours, et 5 ans de prison et 75 000 euros d'amende dans le cas contraire.
Cette infraction a été étendue aux agressions de gardes champêtres, à la grande satisfaction d'Emmanuelle Ménard (non inscrite), qui avait insisté en ce sens en commission. En revanche, l'hémicycle n'a pas accédé à la requête de Philippe Gosselin (LR) et Dimitri Houbron (Agir ensemble), qui souhaitaient inclure les élus.
Plus largement, l'examen de cette disposition a été le théâtre d'un vif débat entre les différentes parties prenantes. Ugo Bernalicis (LFI) a de nouveau critiqué un cadeau "inefficace" fait aux syndicats de police. Plusieurs députés LR ont, à l'inverse, plaidé pour le retour des peines planchers, mises en place (avec des conditions dérogatoires) entre 2007 et 2014. Dans une réponse lapidaire, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a moqué le retour de ces "vieilles lunes" de la droite, un "fiasco" lors de leur mise en place entre 2007 et 2014. "Si je pensais une seconde que vos peines planchers sont efficaces, pourquoi pas ? Sauf que lorsqu'on fait l'analyse de ce que vous avez souhaité, c'est une catastrophe."
Un refus d'obtempérer, qui met en danger la vie des usagers comme des forces de l'ordre, a lieu toutes les 17 minutes. Tel est le constat de l'exécutif, qui présente un lot de mesures administratives et judiciaires destinées à lutter contre ce fléau, qui a notamment coûté la vie à la gendarme Mélanie Lemée, en juillet 2020. La principale disposition consiste à doubler les peines encourues pour les contrevenants : 2 ans de prison et 15 000 euros d'amende, voire 7 ans et 100 000 euros en cas de mise en danger des agents procédant au contrôle.
L'efficacité même de ce renforcement des peines a toutefois été mise en débat au sein de l'hémicycle. Lamia El Aaraje (Socialistes et apparentés) a douté de son effet dissuasif, tout comme Ugo Bernalicis. Le député de La France insoumise a tempêté contre ce qu'il estime être du "populisme pénal" destiné à rassurer une part de l'électorat sans avoir aucun effet sur un délinquant qui en serait arrivé à cette extrémité. En réponse, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a démontré l'inéquation de l'échelle des peines prévues actuellement. "Que vous soyez ivre ou sous l'emprise de stupéfiants, un refus d'obtempérer reste passible d'un an de prison."
Introduite dans la loi "sécurité globale", la transformation de la réserve civile de la police nationale en son pendant opérationnel n'a pas franchi les fourches caudines du Conseil constitutionnel, qui y a vu un cavalier législatif. Elle fait donc son retour dans ce projet de loi, ce qui a permis à Gérald Darmanin d'en vanter les futurs mérites : présence renforcée de "bleu" sur le terrain, lien police population mis en valeur, temps de mission dégagé pour les effectifs de police, possibilité de "thématiser" son activité au sein de la réserve...
Les périmètres de cette réserve ont toutefois inquiété certains élus de l'opposition, car ils devront être plus largement définis par décret après la promulgation de la loi. La question de la formation tout comme celle du port d'arme a animé les débats, LFI comme Libertés et territoires souhaitant éviter que les réservistes puissent utiliser une arme à feu. Le rapporteur Jean-Michel Mis (LaREM) s'est voulu rassurant, indiquant que cela n'aurait pas un caractère automatique mais dépendrait des missions.
Aujourd'hui, l'usage de la vidéo pour les gardés à vue et les personnes retenues à la douane n'est pas encadré par la loi. La loi sécurité globale a tenté en vain de proposer un cadre, puisqu'elle a été retoqué par le Conseil constitutionnel sur ce point. Or, la vidéosurveillance "répond à un besoin opérationnel réel des services de police et de gendarmerie", a plaidé Jean-Michel Mis.
Parmi les garanties proposées par l'article 7, la durée initiale du placement sous vidéosurveillance sera de 24 heures (contre 48h dans la précédente version), son renouvellement est soumis à l’autorité judiciaire, qui est informée de la procédure et peut y mettre fin. De plus, la vidéo ne pourra être utilisée que s'il y a un risque d'évasion ou de danger (pour la personne sous surveillance ou pour autrui).
Malgré ces précautions, Jean-Michel Clément (Libertés et Territoires) estime que l'équilibre entre sécurité et liberté n'est pas satisfaisant :
Un tel mécanisme semble disproportionné au regard des motifs avancés pour le justifier : en effet, l’évasion et le suicide demeurent très rares. Jean-Michel Clément, le 22 septembre 2021
Finalement, seul un amendement d'Alexandra Louis (LaREM) a été adopté sur l'article, afin d'assurer que le gardé à vue puisse, dans les 48h suivant la fin de son isolement, demander la conservation des images pendant sept jours supplémentaires. Plusieurs députés ont demandé que la durée par défaut de sauvegarde des données soit allongée à sept jours, sans succès, alors que la commission des lois l'avait déjà passé de 24 à 48h.
Autre point sensible, lui aussi retoqué à l'époque par les Sages dans le cadre de la loi sécurité globale, l'article 8 ouvre la voie à un usage plus large des drones par les forces de l'ordre. Là encore, l'exécutif et la majorité se sont donc efforcés de proposer un cadre juridique plus précis et respectueux des libertés, alors que la censure reposait principalement sur un usage trop large des drones (et de la vidéo embarquée à bord), par exemple, pour pister des petites infractions ou assurer le respect des arrêtés municipaux.
Dans la future loi, l'usage des appareils volants sera retreint à des "finalités de police administrative" comme la prévention des atteintes à la sécurité des personnes ou des actes de terrorisme, la surveillance des frontières ou la régulation des flux de transport. En revanche, leur utilisation pour pister les "rodéos urbains", à la demande de Nathalie Pouzyreff (LaREM) et de plusieurs de ses collègues marcheurs, n'a pas été retenue, Gérald Darmanin préférant attendre un avis du Conseil d'État sur ce point.
Par ailleurs, le préfet devra donner son autorisation et la conservation des données est limitée à sept jours. Des garanties insuffisantes pour plusieurs élus de gauche, dont Ugo Bernalicis, opposé "par principe" à l'usage des drones par la police. "Comme on raconte que le terrorisme peut frapper partout, tout le temps, n’importe comment, cela signifie que, sur ce seul critère, vous pourrez déployer des drones partout sur le territoire national, sans avoir même à avertir les citoyens filmés !", a protesté le député.
Des drones partout, tout le temps ? En substance, le minsitre de l'Intérieur, a répliqué faire confiance aux forces de l'ordre pour que ces engins soient utilisés de façon proportionnée et conforme à la loi. Selon lui, "ce qu’on autorise aux collectivités locales, aux entreprises et aux citoyens" doit désormais l'être "pour les forces de l’ordre (...) dans le cadre d’une autorisation administrative qui pourra, d’ailleurs, être contestée".
Adopté par 34 voix contre 5, le projet de loi a été soutenu par La République en marche, le MoDEM, Les Républicains, Agir ensemble et la non-inscrite Emmanuelle Ménard. Les élus LFI et PCF ont voté contre et les représentants du PS et de Libertés et Territoires se sont abstenus.