L'Assemblée vote en commission le retour des néonicotinoïdes pour les betteraves sucrières

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Un plant de betterave souffrant du virus de la jaunisse, à Nangis (Seine-et-Marne). Emeric Fohlen / NurPhoto / NurPhoto via AFP
par Vincent Kranen, le Jeudi 24 septembre 2020 à 08:00, mis à jour le Vendredi 16 juillet 2021 à 14:37

Interdits depuis le 1er septembre 2018, les néonicotinoïdes sont soupçonnés d'être responsables d'une chute de la biodiversité constatée dans de nombreux pays. La dérogation proposée par le gouvernement et confirmée par les députés permet de réactiver l'usage de ces insecticides neurotoxiques pour les semences de betteraves sucrières jusqu'en 2023.

Sauver la première industrie sucrière d'Europe, quitte à écorner (temporairement) le principe d'interdiction des pesticides néonicotinoïdes, c'est le choix fait par la majorité à l'Assemblée nationale lors de l'examen, mardi et mercredi en commission, du projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire.

Un choix motivé par la situation préoccupante des betteraviers français, victimes du "puceron vert du pêcher" qui, comme son nom ne l'indique pas, s'attaque notamment aux feuilles des betteraves. Un contact délétère pour les plantes : l'insecte leur transmet le virus de la jaunisse de la betterave. A la clé pour les exploitants agricoles, des pertes non-négligeables avec des légumes plus petits, dont la croissance a été contrariée par le virus.

Aider les sucreries françaises

Pour l'exécutif, la question est un enjeu de souveraineté nationale et de commerce extérieure avec 30% des betteraves européennes produites en France. Clientes des betteraviers français : la vingtaine d'usines de sucreries françaises qui regroupent 5000 salariés permanents, 2000 saisonniers, et des milliers d'emplois indirects, selon la députée LaREM Claire O'Petit rapporteure pour la commission du Développement durable.

Or, si les agriculteurs ne plantent pas l'année prochaine, par peur de voir se renouveler les difficultés de cette année, c'est toute l'industrie sucrière française qui en pâtirait alerte le ministre de l'Agriculture :

Retour des semences enrobées de néonicotinoïdes

Face aux pucerons, plus nombreux, du fait d'un hiver plus doux que la normale, l'exécutif défend un retour aux insecticides néonicotinoïdes enrobés. Une manière d'assurer aux agriculteurs des rendements suffisants, en attendant de trouver meilleure alternative. 

Les députés de l'opposition de gauche dénoncent un blanc-seing à une agriculture qui n'a pas suffisamment fait sa transition écologique et un recul grave sur la protection de l'environnement.

"La racine du problème n'est pas la jaunisse de la betterave, c'est le modèle agro-industriel qui est aujourd'hui en œuvre dans cette filière. (...) Réautoriser les néonicotinoïdes c'est un pansement sur une jambe de bois", Loïc Prud'homme député La France insoumise de Gironde.

Des accusations contestées par le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, qui a assuré aux députés qu'il n'y avait pas d'alternative viable à l'heure actuelle. Ce qui n'empêche pas les députés du groupe Socialistes et apparentés ainsi que ceux du groupe de La France insoumise de reprocher à la majorité de vouloir revenir sur l'interdiction totale des néonicotinoïdes votée en 2016, appliquée depuis le 1er septembre 2018, et dont le candidat Emmanuel Macron avait promis en février 2017 de "confirmer" l'interdiction totale.

Même point de vue chez les ex-Marcheurs. Présents notamment au sein du groupe EDS (Écologie Démocratie Solidarité), des députés qui ont quitté le groupe LaREM dénoncent un "contre-sens historique" à l'image du député Cédric Villani.

Au centre droit, chez les députés de l'UDI, on soutient en revanche le gouvernement, même à contre-cœur, pour préserver l'industrie sucrière française :

Les députés communistes (groupe GDR) ont, eux, regretté un manque d'information sur les alternatives.

De tous les groupes, ce sont les députés Les Républicains qui ont exprimé le plus vif soutien à la majorité et au gouvernement saluant même "l'honneur" du ministre Julien Denormandie. Ce dernier et le groupe La République en marche ont martelé tout au long des débats que, malgré ces dérogations, plus de 90% des anciens usages de néonicotinoïdes resteraient interdits.

La majorité limite les dérogations

Tout l'enjeu des débats en commission a consisté à décider d'inscrire, ou non, dans la loi les mots betteraves ou semences betteravières. Dans sa copie originale, le texte du gouvernement n'y faisait pas référence, les députés disposaient seulement de la promesse de l'exécutif que les décrets à venir après la loi limiteraient la dérogation aux seules betteraves sucrières.

Un compromis insuffisant pour les députés de la majorité, qui auront à assumer, sur le terrain, cette décision. Le ministre de l'Agriculture a justifié cette absence de précision dans son texte initial par un risque d'inconstitutionnalité de la mesure en raison d'une potentielle atteinte au principe d'égalité devant la loi, y compris pour les légumes cultivés.

Les députés sont finalement passés outre en inscrivant en dur la limitation des dérogations aux semences betteravières. L'exécutif ne s'y est cependant pas opposé en se contentant de donner "un avis de sagesse" aux députés.

Création d'un conseil de surveillance

Si l'exécutif a consenti à ce que les députés votent la limitation aux semences de betteraves sucrières, celui-ci s'est en revanche opposé à ce que les dérogations ne soient possibles que jusqu'en 2022 comme le souhaitait certains députés. Les dérogations seront renouvelées chaque année, mais pourront l'être jusqu'en 2023.

Enfin, les députés ont voté des amendements créant un conseil de surveillance chargé "de la mise en œuvre d’alternatives aux (...) néonicotinoïdes". Il devra trouver des alternatives efficaces et viables aux pesticides si décriés sur leurs effets jugés dévastateurs sur les abeilles, bourdons, et la biodiversité en général. Tout agriculteur betteravier utilisant des néonicotinoïdes aura d'ailleurs interdiction de planter sur ses parcelles traitées des végétaux attractifs pour les insectes pollinisateurs.

Adopté en commission, le texte arrivera dans l'hémicycle le lundi 5 octobre pour son examen en séance publique. L'opposition de gauche devrait à nouveau dénoncer ce projet de loi qu'elle a qualifié "d'écocide" et de "recul démocratique majeur" dans une tribune signée par plus de 150 personnalités politiques.