Langues régionales : le conseil constitutionnel censure partiellement la proposition de loi

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Valentin Belleville / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
par Maxence Kagni, le Vendredi 21 mai 2021 à 10:32, mis à jour le Vendredi 21 mai 2021 à 14:53

La proposition de loi du député Paul Molac (Libertés et Territoires) ne s'appliquera pas dans son intégralité. Les dispositions concernant l'enseignement dit "immersif" en langue régionale et l'utilisation de signes diacritiques dans les actes d'état-civil ont été jugées contraires à la Constitution. 

Le Conseil constitutionnel a censuré deux articles de la proposition de loi "relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion". Dans une décision rendue ce vendredi 21 mai, le Conseil juge contraire à la Constitution les dispositions relatives à l'enseignement "immersif en langue régionale" et celles relatives à l'usage de signes diacritiques – comme le tilde – dans les actes d'état-civil. 

Le texte, déposé par Paul Molac (Libertés et Territoires), avait été étudié dans le cadre de la niche parlementaire de son groupe. Adopté définitivement le 8 avril, il avait pour objectif, selon son auteur, de protéger les langues régionales, "une richesse classée en grand danger d’extinction par l’Unesco".

Cette proposition de loi, votée en dépit des réticences du gouvernement, avait fracturé les deux groupes de la majorité, La République en marche (100 pour, 57 contre, 12 abstentions) et le Modem (17 pour, 6 contre, 5 abstentions). L'adoption avait ensuite été contestée par 61 députés de la majorité, lesquels avaient saisi le conseil constitutionnel. 

"La langue de la République est le français"

Il s'agissait d'un des points les plus discutés du texte : l'article 4 de la proposition de loi autorisait le recours à l'enseignement "immersif en langue régionale". Cette méthode consiste à utiliser la langue en question comme langue principale d'enseignement et comme langue de communication au sein de l'établissement. 

La disposition avait été critiquée en séance publique par le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, qui craignait qu’un enfant né de parents parlant uniquement une langue régionale soit totalement privé d’enseignement du français. Pour éviter un tel écueil, la proposition de loi prévoyait que cet enseignement immersif devait se faire "sans préjudice de l’objectif d’une bonne connaissance de la langue française".

Une précision insuffisante selon le Conseil constitutionnel : selon les Sages, le dispositif est contraire à l'article 2 de la Constitution, qui indique que "la langue de la République est le français".

L'usage du français s'impose aux PERSONNES MORALES de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public. (Décision n° 2021-818 du 21 mai 2021 du conseil constitutionnel)

Le Conseil constitutionnel ajoute que "les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français".

"On frise la bêtise"

"Une telle décision, c'est mettre le feu aux poudres", a réagi vendredi Paul Molac, interrogé par LCP. "On frise la bêtise", s'emporte l'élu, qui ajoute que les "écoles immersives existent depuis 50 ans en Bretagne, et dans tous les pays d'Europe". Selon le député Libertés et Territoires, le Conseil constitutionnel met "en insécurité juridique les milliers d'élèves des écoles associatives utilisant déjà cette méthode qui donne d'excellents résultats, y compris en français".

Paul Molac critique sévèrement le Conseil Constitutionnel et son "idéologie nationaliste française avec sa matrice du XIXe siècle", "son militantisme anti langues régionales". Dans un communiqué de presse, l'auteur de la proposition de loi va même jusqu'à "appeler solennellement le président de la République à présenter de toute urgence un projet de loi constitutionnelle visant à modifier l'article 2 de la Constitution".

Une autre mesure a été censurée, pour les mêmes raisons : l’usage de "signes diacritiques des langues régionales" dans les actes d’état civil. En clair, le texte prévoyait que le tilde et les "i", "o" et "u" surmontés d’un accent aigu puissent être utilisés dans des prénoms donnés à des enfants et enregistrés en tant quel tels par l'officier d'état civil. 

Signalétique bilingue

Les autres mesures de la proposition de loi ont en revanche été validées. C'est le cas de l'article 6, qui oblige les communes de résidence qui ne disposent pas d’écoles bilingues à contribuer aux frais de scolarité des écoles privées sous contrat qui proposent un enseignement en langue régionale.

Jean-Michel Blanquer avait critiqué cette mesure lors de l'examen du texte, estimant qu'elle risquait de faire peser "une contribution très importante" sur certaines communes mais aussi de vider leurs écoles. La disposition avait également été remise en cause par le député La France insoumise Bastien Lachaud, qui craignait "une aggravation de la ségrégation sociale, du séparatisme scolaire et le contournement de la carte scolaire". 

Par ailleurs, la proposition de loi inscrit dans le code du patrimoine que "l’État et les collectivités territoriales concourent à l’enseignement, à la diffusion ou à la promotion des langues régionales". Un autre article généralise les langues régionales comme matière facultative à l'école. Le texte reconnait aussi la signalétique bilingue, les traductions en langue régionales sur les bâtiments publics, les panneaux de signalisation ou la communication institutionnelle.