Législatives 2024 : règles d'élaboration et précautions d'usage... Sondages en période d'élections législatives, mode d'emploi

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Crédits : Pexels.
par Adèle Daumas, le Lundi 24 juin 2024 à 07:30, mis à jour le Lundi 24 juin 2024 à 11:01

Photographie de l'opinion à un moment donné, les sondages qui rythment les campagnes électorales sont à prendre avec une prudence particulière pour les élections législatives, qui sont en fait 577 scrutins répartis dans chacune des circonscriptions où sont élus les députés. Il faut, en outre, bien distinguer les sondages eux-mêmes, c’est-à-dire l'évaluation des rapports de force nationaux et l'observation des dynamiques de la campagne d'une part, et l'exercice périlleux des projections en nombre de sièges à l'Assemblée nationale d'autre part. 

Intentions de vote, projections en sièges... Après les élections européennes, les législatives, et comme pour toute campagne électorale, à chaque jour son sondage.

S'il apportent des éléments qui permettent d'évaluer les rapports de force et d'observer les dynamiques à l'œuvre au niveau national, l'interprétation des sondages et, surtout, leur traduction en nombre de sièges doivent être pris avec une prudence particulière concernant les élections législatives.

Rappel des règles en matière d'enquêtes d'opinion politiques, échantillon représentatif, marge d'erreur, projections en sièges, particularité du scrutin législatif... Sondages mode d'emploi et précautions d'usage

Fabrique des sondages : des règles strictes 

Parce qu'outre leur objectif qui consiste à évaluer l'état de l'opinion, ils peuvent avoir un effet sur les stratégies électorales et impacter le vote de certains électeurs, la réalisation et la diffusion des sondages obéissent à des règles strictes. Depuis la loi du 19 juillet 1977,  la Commission des sondages veille à ce qu'ils ne viennent pas "perturber la libre détermination du corps électoral".

Afin d'éviter toute manipulation, cette instance indépendante majoritairement composée de magistrats professionnels a notamment pour mission de vérifier que "des altérations de la sincérité des résultats de l’enquête, soit par omission des résultats n’allant pas dans le sens souhaité, soit par présentation tendancieuse du sondage" n'aient pas lieu.

Par ailleurs, pour ne pas porter atteinte à la libre décision des électeurs, aucun sondage ne peut être publié à partir de la veille et jusqu'à la fin du scrutin, en pratique du vendredi soir à partir de minuit jusqu'à la fermeture du dernier bureau de vote à 20 heures le dimanche. 

En 2016, une loi de modernisation des règles applicables aux élections a renforcé l'encadrement de la publication des sondages. Les noms de l'organisme qui a réalisé l'enquête et de son commanditaire (ou de l'acheteur) doivent être rendus publics dans une notice accompagnant les résultats, de même que le nombre de personnes interrogées, la date de réalisation, les questions posées et la marge d'erreur du sondage.

Une photographie de l'opinion à un moment donné

La loi dispose qu'un sondage "est, quelle que soit sa dénomination, une enquête statistique visant à donner une indication quantitative, à une date déterminée, des opinions, souhaits, attitudes ou comportements d'une population par l'interrogation d'un échantillon". Un sondage est donc une photographie de l'opinion au moment où il est réalisé, sans aucun caractère prédictif sur le résultat d'une élection.

D'autant que même les derniers sondages avant un scrutin, réalisés et publiés le vendredi qui précède un dimanche électoral, ne tiennent par définition pas compte des dynamiques de fin de campagne qui peuvent s'accélérer et s'amplifier pendant le week-end de l'élection, pas plus qu'ils ne peuvent anticiper la décision des électeurs qui arrêtent parfois leur choix de vote dans l'isoloir, c'est-à-dire au dernier moment. 

Echantillon représentatif et marge d'erreur

Les sondages s'appuient sur une la  mathématique des grands nombres, qui veut qu’une moyenne observée dans un échantillon de la population se rapproche de plus en plus de la valeur réelle dans l’ensemble de la population à mesure que l’échantillon grandit. 

Si l’échantillon est bien représentatif de la population, qu’il est suffisamment important en nombre et que les questions sont posées dans les règles de l'art, un sondage peut être considéré comme reflétant l'état de l'opinion au moment où il est réalisé. Les sondages politiques sont le plus souvent réalisés avec des échantillons de 1 000 à 2 000 personnes. Plus la taille de l'échantillon est grande, plus la marge d'erreur diminue. 

La loi oblige les instituts de sondage à publier la marge d'erreur de leurs résultats. La plupart des sondages se basent sur un intervalle de confiance de 95 %, c’est-à-dire que le score donné dans le sondage a 95 % de probabilité de se situer dans un intervalle centré autour du score mesuré. L’importance de cette marge d’erreur dépend principalement de la taille de l’échantillon. Elle dépend aussi du score mesuré. Plus celui-ci est proche de 50 %, plus la marge d’erreur est importante. Comme le montre la notice d'un sondage Ipsos, ci dessous. 

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Sondage Ipsos
Extrait de la notice du sondage Ipsos sur les élections européennes publié le 9 juin 2024 (Enquête Ipsos pour France Télévisions, Radio France, France24/RFI, Public Sénat/LCP Assemblée Nationale).


La particularité des élections législatives 

Les élections législatives ont une particularité. Il s'agit en fait de 577 élections au scrutin majoritaire uninominal à deux tours. Or les sondages sont réalisés au niveau national. Ils donnent donc une idée du rapport de force politique à l'échelle du pays. Mais ils ne tiennent pas compte de la configuration politique propre à chaque circonscription, de l'offre réelle qui se présente aux électeurs dans chacune de celles-ci, ainsi que de l'équation personnelle de tel ou tel candidat. Seul un sondage réalisé circonscription par circonscription, avec un échantillon de la population locale, permettrait donc d'obtenir une photographie parfaite, ce qui est difficilement faisable pour des questions de délais de réalisation et de coûts. 

Le scrutin législatif n'étant pas d'un scrutin de liste à la proportionnelle, les projections en sièges réalisées à partir des sondages nationaux, qui plus est avant le premier tour, sont à prendre avec une particulière prudence. C'est le sens du communiqué publié, mardi 18 juin, par la Commission des sondages : "Un tel exercice ne présente pas les mêmes encadrements méthodologiques que les sondages et demeure tributaire d'un grand nombre de paramètres, souvent propres à chacune des 577 circonscriptions comme ceux de l'offre politique de chaque élection locale, de la personnalité des candidats, du taux de participation qui peut conditionner la survenance et la configuration d'un second tour, etc.", met en garde l'instance. 

En matière de projections, les instituts font d'ailleurs preuve de précautions en livrant des fourchettes assez larges concernant les sièges qui pourraient être obtenus à l'Assemblée nationale par les différentes formations politiques. Cependant, pour que les choses soient claires, la Commission des sondages "demande aux instituts et à leurs partenaires médias de mieux distinguer, dans leur publication, la réalisation d’un sondage, contrôlé par la commission, de l'estimation qui en est éventuellement tirée en nombre de sièges".