Sur les 35 articles du projet de loi Immigration censurés par le Conseil constitutionnel, 32 ont été retoqués car ne présentant pas de lien suffisamment avéré avec l'objet et le périmètre initial du projet de loi présenté par le gouvernement. On parle dans ce cas de "cavaliers législatifs", ce que la procédure législative proscrit. Explications.
Restriction du regroupement familial, durcissement du droit du sol, délais pour accéder à certaines prestations sociales, instauration d'un délit de séjour irrégulier, ou encore caution de retour requise auprès des étudiants étrangers non-européens... Toutes ces mesures que les sénateurs et les députés Les Républicains avaient réussi à imposer dans la loi immigration votée en fin d'année dernière ont été censurées par le Conseil constitutionnel. Pas sur le fond, mais parce qu'elles ne comporteraient pas de lien suffisant avec l'objet et le périmètre du projet de loi "pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration", initialement présenté par le gouvernement. On parle alors de "cavaliers législatifs".
Un "cavalier législatif" est une disposition considérée comme extérieure au champ originel d'une proposition ou d'un projet de loi, l'article 45 alinéa 1 de la Constitution disposant que tout amendement, pour être déclaré "recevable", doit présenter "un lien, même indirect", avec le texte dont il est afférent.
Dans le communiqué relatif à sa décision portant sur la loi immigration, le Conseil constitutionnel indique ainsi que les articles - pour la plupart issus d'amendements introduits au Sénat - taxés d'inconstitutionnalité ont été "adoptés en méconnaissance de l’article 45 de la Constitution", "au regard du périmètre du projet de loi initial".
Le cavalier peut être prononcé en cours de procédure législative, en particulier au stade de l'examen de recevabilité des amendements déposés. Ce contrôle de recevabilité peut être exercé, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, dès leur dépôt, en commission, puis en séance. Le Conseil constitutionnel requiert que le lien soit apprécié au regard du contenu "du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie".
Les cavaliers législatifs peuvent être qualifiés de "budgétaires" (au sein une loi de finances), ou de "sociaux" (dans une loi de financement de la Sécurité sociale). À ce titre, l'un des derniers exemples en date est lié à la réforme des retraites adoptée en mars 2023.
Les Sages de la rue Montpensier avaient alors rejeté un certain nombre de dispositions "qui n'avaient pas leur place dans la loi déférée (...) relevant qu’elles n’avaient pas d’effet ou un effet trop indirect sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement", le véhicule législatif de la réforme des retraites ayant été un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif (PLFSSR).
Parmi les mesures censurées figuraient notamment l’article 2, relatif à l'"index senior", l’article 3 qui visait à instaurer un "CDI senior", ou encore certaines dispositions de l’article 17 concernant un suivi individuel spécifique à destination des salariés particulièrement exposés à certains facteurs de risques professionnels.
Concernant le projet de loi immigration, plusieurs élus issus des rangs des Républicains ont critiqué la lecture stricte, voire selon eux abusive, des termes de "lien, même indirect" qui figurent dans la Constitution par les Sages - Laurent Wauquiez allant jusqu'à dénoncer un "coup d’Etat de droit". Ces responsables de droite demandent désormais une "loi immigration 2", c'est-à-dire un texte qui intégrerait d'emblée les mesures qui ont été abrogées pour des raisons de procédure, ce qui ne présage pas de la décision que le Conseil constitutionnel pourrait, le cas échéant, rendre sur le fond.
Les Républicains et le Rassemblement national réclament, par ailleurs, une réforme constitutionnelle, afin notamment de créer les conditions d'un référendum sur l'immigration. Le 7 décembre dernier, Les Républicains avaient défendu, lors de leur journée d'initiative parlementaire à l'Assemblée nationale une proposition de loi constitutionnelle pour ce faire, avant de la retirer avant le terme de son examen. Le président du groupe LR, Olivier Marleix, avait alors fustigé un "gouvernement obstinément défavorable" à cette évolution de la Consitution.