Lutte contre le narcotrafic : Que contient la réforme, qui va être définitivement votée par le Parlement ?

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Gérald Darmanin, le 18 mars 2025.
Gérald Darmanin, le 18 mars 2025. LCP
par Raphaël Marchal, le Lundi 28 avril 2025 à 08:15

Le Sénat ce lundi 28 avril, puis l'Assemblée nationale demain mardi, s'apprêtent à adopter définitivement la proposition de loi visant à "sortir la France du piège du narcotrafic". Le texte, qui prévoit notamment la création d'un parquet national spécialisé, a fait l'objet d'un accord entre députés et sénateurs en commission mixte paritaire. 

Le Parlement s'apprête à approuver définitivement la proposition de loi visant à "sortir la France du piège du narcotrafic". Au lendemain du Sénat, il reviendra à l'Assemblée nationale d'adopter définitivement la réforme lors d'un vote solennel qui aura lieu demain, mardi 29 avril. Le texte avait été pensé et façonné à la suite des travaux d'une commission d'enquête sénatoriale menée par les sénateurs Etienne Blanc (Les Républicains) et Jérome Durain (Parti socialiste). 

La commission d'enquête a fait le constat d'une véritable submersion de la France par le narcotrafic, non seulement dans les grandes villes mais aussi jusque dans les zones rurales. Exposé des motifs de la proposition de loi

Votée en première lecture par le Sénat en juillet 2024, la proposition de loi a ensuite été portée à l'Assemblée par le tandem ministériel Gérald Darmanin (Justice) et Bruno Retailleau (Intérieur), qui ont tous deux suggéré de nombreux ajouts au texte initial. Au terme de débats parfois vifs, les députés ont à leur tour majoritairement approuvé la réforme le 1er avril. Neuf jours plus tard, une commission mixte de paritaire (CMP) composée de sept députés et sept sénateurs ont élaboré une version commune du texte aux deux Chambres, ouvrant ainsi la voie à son adoption définitive. 

Parquet spécialisé et régime carcéral plus strict

La mouture finale est assez proche de la version issue des travaux de l'Assemblée, malgré quelques ajustements. On y retrouve la création du parquet national anti‑criminalité organisée (Pnaco), que le ministre de la Justice espère voir être mis en place au début de l'année 2026. "Clé de voûte" de la lutte contre le trafic de stupéfiants, selon Gérald Darmanin, cette structure, calquée sur le modèle du parquet national anti-terroriste, s'occupera des "affaires du haut du spectre" en matière de narcotrafic, c'est-à-dire des affaires qui concernent les plus gros trafiquants de drogues. 

Répondant à la demande du garde des Sceaux, les députés ont introduit un régime carcéral particulièrement strict. Ce dernier sera réservé aux 700 à 800 détenus considérés comme étant les plus dangereux - condamnés ou prévenus - pour pour lesquels il est jugé nécessaire de rompre le lien avec les réseaux de la criminalité et de la délinquance organisées. Ce dispositif permettra de restreindre l'usage du téléphone pour ces détenus, de mettre en place des parloirs par hygiaphone - avec quelques exemptions -, ou encore d'interdire l'accès aux unités de vie familiale. Le régime prévoit également des fouilles intégrales systématiques en cas de contact physique sans surveillance constante d'un agent.

Le sourire de M. Amra ne peut pas rester impuni. Gérald Darmanin (ministre de la Justice)

Le recours à la visioconférence sera, par ailleurs, accru pour les actes de procédure concernant ces détenus, afin de limiter les extractions judiciaires, qui augmentent d'autant le risque d'évasion. Gérald Darmanin a évoqué à de nombreuses reprises le cas, très médiatisé, de Mohamed Amra, dont l'évasion lors d'une extraction judiciaire avait coûté la vie à deux agents pénitentiaires en 2024. En CMP, les parlementaires ont limité l'application de ce régime strict à un an renouvelable, alors que l'Assemblée avait initialement prévu une durée de deux ans renouvelable.

Un "dossier-coffre"

Autre mesure centrale de la proposition de loi : le "dossier-coffre", ce procès-verbal distinct destiné à limiter les fuites en soustrayant certains éléments de l'enquête aux avocats des narcotrafiquants. Ce dispositif "essentiel et vital", selon le ministre de l'Intérieur, pourra être mis en place par le juge des libertés et de la détention dans les dossiers liés à la criminalité organisée, uniquement dans les cas de nature à "mettre gravement en danger la vie ou l'intégrité physique d'une personne" (enquêteurs, indicateurs, etc.) ou de sa famille. Les éléments relatifs à la date, l'heure, le lieu ou l'identité d'une personne ayant mis en œuvre une technique d'enquête pourront être versés dans ce PV distinct.

Bruno Retailleau a eu moins de succès concernant la mesure qui visait à permettre aux enquêteurs d'accéder aux messageries chiffrées des narcotrafiquants. Supprimée lors de son passage à l'Assemblée, cette disposition n'a pas été réintroduite en CMP. Lors des débats, des députés de tous bords avaient fait part de leurs doutes quant à sa faisabilité technique. Les vulnérabilités qu'un tel accès ne manquerait pas d'entraîner pour l'ensemble des conversations chiffrées avaient également été évoquées. 

La proposition de loi contient plusieurs autres mesures visant à compliquer l'activité des trafiquants : interdiction de paraître sur les points de deal, facilitation des démarches d'expulsion des trafiquants de leur logement social, fermeture administrative de commerces et locaux soupçonnés de blanchiment d'argent, renforcement de certaines sanctions... En outre, le texte prévoit une refonte du statut de repenti - ou "collaborateur de justice" - attendue de longue date, en s'appuyant sur le modèle italien. Le dispositif retenu prévoit une réduction des deux tiers de la peine prononcée, ou la ramenant à 15 ans de réclusion en cas de perpétuité initiale.