Narcotrafic : l'Assemblée nationale approuve la création d'un régime carcéral particulièrement strict pour les plus gros trafiquants

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Gérald Darmanin, le 19 mars 2025. LCP
Gérald Darmanin, le 19 mars 2025. LCP
par Maxence KagniRaphaël Marchal, le Jeudi 20 mars 2025 à 03:50, mis à jour le Jeudi 20 mars 2025 à 03:57

Dans le cadre de la proposition de loi visant à lutter contre le narcotrafic, les députés ont adopté, dans la nuit de mercredi 19 à jeudi 20 mars, l'article qui prévoit la création d'un régime spécial de détention stricte aux détenus considérés comme étant particulièrement dangereux. Dans l'hémicycle, la mesure a été amendée par rapport à la version votée en commission, en tenant compte de l'avis du Conseil d'Etat.

C'était une mesure initiée par le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, dans le cadre de l'examen à l'Assemblée nationale de la proposition de loi visant à "sortir la France du piège du narcotrafic". Dans la nuit de mercredi 19 à jeudi 20 mars, au terme d'un long débat qui s'est parfois déroulé dans une ambiance houleuse, les députés ont approuvé la création d'un nouveau régime de détention, particulièrement stricte, dans des quartiers de haute sécurité pour les plus gros trafiquants.

Ce nouveau régime, qualifié de "difficile" par Gérald Darmanin, sera réservé aux 700 à 800 détenus considérés comme étant les plus dangereux - condamnés ou prévenus - pour pour lesquels il est jugé nécessaire de rompre le lien avec les réseaux de la criminalité et de la délinquance organisées. Il permettra, pendant une durée de 2 ans renouvelable, de restreindre l'usage du téléphone pour ces détenus, de mettre en place des parloirs par hygiaphone, ou encore d'interdire l'accès aux unités de vie familiale, afin de limiter les interactions physiques. Il prévoit aussi des fouilles intégrales systématiques en cas de contact physique sans surveillance constante d'un agent. 

Le recours à la visioconférence sera, en outre, accru pour les actes de procédure concernant ces détenus, dans le but d'éviter les extractions judiciaires, qui augmentent, selon le garde des Sceaux, le risque d'évasion. Pour appuyer ses dires, Gérald Darmanin a évoqué le cas, très médiatisé, de Mohamed Amra, dont l'évasion lors d'une extraction judiciaire avait coûté la vie à deux agents pénitentiaires en 2024. 

Le sourire de M. Amra ne peut pas rester impuni. Gérald Darmanin

Il reviendra aux services, comme la direction nationale de la police judiciaire, à l'administration pénitentiaire, ou encore aux magistrats instructeurs, de "proposer les profils les plus dangereux" au ministre de la Justice, qui prendra ensuite un acte administratif de placement dans le régime de détention, après avis obligatoire du juge d'application des peines pour les personnes déjà condamnées ou du magistrat instructeur pour les prévenus.

"C'est la capacité de l'individu à rester en lien pendant la durée de sa détention avec le réseau criminel auquel il appartient" qui sera analysée, a précisé le président de la commission des lois, Florent Boudié (Ensemble pour la République). "L'arrêté du ministre [sera] susceptible de recours, évidemment en référé s'il le faut", a quant à lui expliqué Gérald Darmanin.

"Il s'agit d'un régime d'étanchéité avec l'extérieur, pas d'un régime d'isolement", a déclaré le ministre. Avant d'ajouter que celui-ci pouvait faciliter le développement du statut de repenti, des détenus pouvant être amenés à coopérer avec la justice pour ne pas y être astreint.

Ce nouveau régime sera déployé dans un premier temps dans les prisons de Vendin-le-Vieil et Condé-sur-Sarthe, mais il pourra à terme être mis en œuvre dans certains quartiers de haute sécurité d'autres prisons françaises.

Un régime vivement dénoncé par la gauche

La gauche a vivement combattu le dispositif, Elsa Faucillon (Gauche démocrate et républicaine) considérant que "les droits fondamentaux" des détenus y seront "bafoués" tandis que Pouria Amirshahi (Ecologiste et Social) a dénoncé un régime qui "confond la peine et le châtiment".

Colette Capdevielle (Socialistes) a, quant à elle, dénoncé l'absence de différence faite "entre les prévenus, qui bénéficient de la présomption d'innocence et les condamnés". La députée a également estimé que la disposition "portait atteinte à la séparation des pouvoirs" : "Ce n'est quand même pas au garde des Sceaux de décider de régime, mais à un juge judiciaire avec un débat contradictoire."

"C'est un régime plus sévère que le placement à l'isolement pour une simple et bonne raison c'est que la durée est supérieure", a ajouté l'ancien président de la commission des lois, Sacha Houlié (non inscrit).

Au contraire, le Rassemblement national a soutenu la mesure, Romain Baubry (RN) estimant qu'"il s'agit de mettre hors d'état de nuire des individus dangereux qui, même incarcérés, peuvent commanditer des assassinats, préparer leur évasion et gérer leur trafic". De son côté Olivier Marleix (Droite républicaine) a souligné que les détenus concernés étaient des "caïds qui continuent à faire la loi derrière les murs de leur prison".

Une durée ramenée à 2 ans renouvelable 

Afin de limiter les risques d'inconstitutionnalité, Gérald Darmanin avait saisi le Conseil d'Etat pour avis entre l'examen du texte en commission et son examen en séance. Dans son avis, la plus haute juridiction administrative française a suggéré plusieurs aménagements par rapport à la mesure telle qu'elle avait été votée en commission, qui ont été en grande partie convertis en amendements par l'un des rapporteur de la propositon de loi, Vincent Caure (Ensemble pour la République).

La principale observation du Conseil d'Etat concernait la durée de placement dans ces quartiers de haute sécurité. Le texte issu de la commission prévoyait une durée de 4 ans renouvelable, mais, au terme d'un long débat, les députés l'ont ramenée à 2 ans renouvelable. "Cela me paraît raisonnable, a commenté Gérald Darmanin, sachant qu'il y a deux voies de recours quotidiens, un judiciaire, un administratif". Un point de vue éloigné de celui des élus de gauche. "Le Conseil d'Etat fixe uniquement des exigences minimales de conformité", a plaidé Dominique Voynet (Ecologiste et social). "Six mois dans un régime carcéral extrêmement dur, c'est déjà impossible" a, pour sa part, estimé Arthur Delaporte (Socialistes).

Autre modification apportée après l'analyse du Conseil d'Etat : la mesure prévoyant la systématisation des fouilles à nu après un contact physique avec une personne extérieure. Ce régime de fouilles intégrales systématiques a été individualisé, afin de tenir compte de l'âge ou de la santé de la personne qui en fait l'objet. En outre, concernant les visites en prison, le contact physique sera permis pour les mineurs, ou en cas de "circonstances familiales exceptionnelles". "Vous êtes déjà à moitié en train de faire marche arrière", a critiqué Michaël Taverne (Rassemblement national) après ces aménagements.

Par ailleurs, les députés ont adopté l'amendement du gouvernement précisant le profil des détenus qui pourront être affectées au nouveau régime : il s'agira des personnes susceptibles de "poursuivre ou d'établir des liens avec les réseaux de la criminalité et de la délinquance organisées, quelles que soient les finalités et les formes de ces derniers".

L'article prévoyant la création de ce nouveau régime d'incarcération a été adopté par 104 voix contre 66. Les députés poursuivront, ce jeudi, l'examen de la proposition de loi dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.