Lutte contre les dérives sectaires : après son adoption en commission, le projet de loi examiné dans l'hémicycle

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Examen en commission du projet de loi visant à lutter contre les dérives sectaires, le 7 février 2024
Sacha Houlié (Renaissance) et Brigitte Liso (Renaissance) lors de l'examen en commission des Lois du projet de loi visant à lutter contre les dérives sectaires, le 7 février 2024.
par Soizic BONVARLET, le Mercredi 7 février 2024 à 19:40, mis à jour le Mardi 13 février 2024 à 07:10

La commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté, mercredi 7 février, le projet de loi visant à "renforcer la lutte contre les dérives sectaires". Destiné à répondre aux évolutions de ce phénomène, le texte - qui avait été vidé d'une large partie de son contenu par le Sénat - a été rétabli dans sa version initiale en commission, avant son examen dans l'hémicycle à partir de ce mardi 13 février. 

Répondre à l'augmentation des dérives sectaires, dont les signalements ont quasiment doublé entre 2015 et 2021, et à l'évolution du phénomène qui touche désormais largement les sphères liées à la santé, à l'alimentation ou encore au bien-être, notamment via les réseaux sociaux, tel est l'objet du projet de loi qui a été examiné, mercredi 7 février, par la commission des lois de l'Assemblée nationale

Adopté par le Sénat le 19 décembre, le texte y avait été largement vidé de son contenu, en raison de la suppression de trois articles majeurs visant à instaurer deux nouveaux délits dans le Code Pénal.

"Restaurer l'ambition initiale" du projet de loi

"Le coeur du texte" selon les termes de sa rapporteure Brigitte Liso (Renaissance), vise à la fois à actualiser la notion d'abus de faiblesse pour l'appliquer plus spécifiquement aux victimes de dérives sectaires et, par ailleurs, à cibler celles de ces dérives qui s'inscrivent dans un champ prétendûment thérapeutique. Il s'agit ainsi, dans la version initiale du projet de loi, d''interdire la promotion de pratiques dangereuses et l'incitation à abandonner un traitement médical de sorte à mettre gravement en péril la santé de la personne", a expliqué Brigitte Liso.

Son amendement de rétablissement de l'article 1, instaurant un délit lié au placement ou au maintien dans un état de sujétion, a été adopté sans difficulté majeure, tout comme celui restaurant l'article 2, qui crée "une nouvelle circonstance aggravante de sujétion psychologique ou physique pour les meurtres, les actes de tortures et de barbarie, les violences aux personnes et les escroqueries". L'article 4, également supprimé par le Sénat et relatif aux dérives thérapeutiques, a suscité plus de débats. Selon l'exposé des motifs du projet de loi, cet article vise notamment à créer un "nouveau délit de provocation à l'abandon ou l'abstention de soins"

Jus de légumes et jeûne intégral

Parmi les dérives thérapeutiques à caractère sectaire, la rapporteure a notamment évoqué l'exemple de "personnes qui font la promotion de consommation exclusive de jus de légumes pour traiter le cancer, en allant parfois jusqu'à prendre contact avec les patients dans les services de cancérologie", ou d'autres "qui prétendent que le jeûne total, en se nourrissant d'air et de lumière, permet de guérir les maladies".

"Qui trop embrasse mal étreint", a cependant mis en garde Thomas Ménagé (Rassemblement national), estimant que "c'est tout le débat scientifique et médical qui risque[ait] d'être mise sous cloche". Le député a aussi indiqué que si cette disposition était rétablie, elle ferait office de "ligne rouge" qui empêcherait son groupe de voter en faveur du texte. De même, les groupes Gauche démocrate et républicaine, La France insoumise et Les Républicains ont indiqué soutenir la suppression opérée par les sénateurs, afin de préserver la liberté d'expression, et en l'espèce la liberté des débats scientifiques et médicaux.

Il faut dire que dans son avis consultatif, le Conseil d’Etat avait alerté sur cet aspect du texte, estimant que les faits ciblés étaient déjà couverts par la répression de l’exercice illégal de la médecine. Selon cet avis, la mesure pourrait porter atteinte à la liberté d’expression, quand elle s'exerce au travers d'"un discours général et impersonnel, par exemple tenu sur un blog ou un réseau social" et remettre en cause, "par une incrimination de contestations de l’état actuel des pratiques thérapeutiques, la liberté des débats scientifiques et le rôle des lanceurs d’alerte".

Brigitte Liso a cependant fait valoir que les nouvelles infractions prévues par le projet de loi "ne permettront pas de sanctionner la personne qui, de bonne foi et de manière bienveillante, entendrait conseiller un proche par exemple". Elle a aussi souligné la nécessité de produire la preuve d'un élément intentionnel, et en l'occurrence de l'"intention de tromper, de profiter de la vulnérabilité d'un malade pour le manipuler".

Il y a des gens qui meurent du fait de l'insuffisance de notre droit. Arthur Delaporte (Socialistes)

La rapporteure s'est engagée à travailler sur une rédaction affinée en vue de l'examen du texte en séance, afin d'y garantir expressément l'impératif du respect de la liberté individuelle. De quoi rassurer les membres des groupes Horizons et Démocrate qui, tout en partageant l'objectif porté par l'article 4, avaient émis quelques réserves quant à d'éventuels effets pervers, et convaincre les Socialistes. "Il y a des gens qui meurent du fait de l'insuffisance de notre droit", a ainsi fait valoir Arthur Delaporte (Socialistes), tout en insistant sur la nécessité de protéger les lanceurs d'alerte. L'amendement de rétablissement de l'article 4 défendu par la rapporteure a finalement été adopté au terme de ces débats.

Un amendement porté par Erwan Balanant (Démocrate) a, par ailleurs, été voté afin de susciter une nouvelle possibilité de dérogation au secret professionnel spécifiquement dédiée aux dérives sectaires. Complété par un amendement de la rapporteure, le titre du projet de loi indique désormais que celui-ci vise à "renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes".

Après son adoption en commission, le texte sera débattu par les députés à partir de ce mardi après-midi, 13 février, dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.