Police : Les syndicats unanimes contre le projet de réforme

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Les syndicats de police auditionnés à l'Assemblée, mardi 3 janvier 2023
Les syndicats de police auditionnés à l'Assemblée, mardi 3 janvier 2023
par Raphaël Marchal, le Mercredi 4 janvier 2023 à 13:27, mis à jour le Mercredi 4 janvier 2023 à 15:48

Auditionnés à l'Assemblée nationale, les représentants syndicaux ont fustigé une réforme "mal engagée", estimant notamment que celle-ci aurait des effets délétères pour la police judiciaire.

Ils sont pour le moins dubitatifs. Invités à s'exprimer sur le projet de réforme de la police nationale par les députés de la mission d'information dédiée, mardi 3 janvier, les représentants syndicaux de l'institution policière ont dressé un tableau assez peu flatteur des axes envisagés de cette réorganisation. "On aurait aimé connaître le but de la réforme avant qu'elle ne soit engagée", a souligné David-Olivier Reverdy, secrétaire national du syndicat de gardiens de la paix Alliance police nationale.

Ce manque de dialogue entre l'administration et la base policière a également été mis en avant par Ingrid Lecoq, déléguée de l'Unsa police. La syndicaliste a réclamé un rétroplanning de la réforme envisagée, un dialogue social renforcé, ainsi que la publicité des résultats de l'audit actuellement mené par l'administration sur le projet de réorganisation.

La crainte de la police judiciaire

Au-delà de la forme, les représentants auditionnés ont questionné le fond de la réforme, qui doit acter la "départementalisation" de la police. À savoir, placer tous les services de police sous l'autorité d'un seul directeur - le DDPN - à l'échelle départementale. Ce projet inquiète tout particulièrement les effectifs de police judiciaire, qui seraient regroupés dans une filière avec l'ensemble des autres services chargés de l'investigation du quotidien. Et qui redoutent de se voir attribuer des missions relevant du "bas du spectre" - vols simples, cambriolages, etc. -, eux qui sont chargés d'enquêter sur les affaires de grand banditisme ou de criminalité organisée.

Or, à l'heure actuelle, les services de sécurité publique croulent sous les dossiers, ce qui pourrait encourager un directeur départemental à focaliser ses effectifs sur la résorption de ce stock. "Rien n'est fait pour limiter l'afflux de plaintes du bas du spectre", a témoigné David-Olivier Reverdy, jugeant plus pénalisante qu'autre chose la numérisation des procédures engagée ces dernières années. Et de critiquer la complexification de la procédure pénale, dénoncée de longue date par l'institution policière.

"Il ne faut surtout pas croire que rassembler tous les OPJ dans un même service va résorber tous les dossiers", a renchéri Dominique Le Dourner (Unité SGP police), appelant lui aussi à filtrer les procédures plutôt qu'à laisser déborder les stocks. Fustigeant une réforme "pas aboutie, pas pensée", il estime toutefois que celle-ci "aura le mérite de mettre en lumière les vrais problèmes de la filière investigation". "On se dirige vers une généralisation. Les collègues vont devoir tout savoir faire", a-t-il regretté, jugeant que cette réforme menaçait d'"abîmer le service public".

L'échelon départemental en question

Plusieurs syndicalistes ont également questionné l'échelon retenu par la réforme, le jugeant mal adapté à plusieurs services - police aux frontières et police judiciaire en tête. "Pourquoi on se recroqueville sur le département ?", s'est étonné David-Olivier Reverdy. "On ne comprend pas cette volonté de figer le département", a complété Isabelle Trouslard, du syndicat d'officiers Synergie.

Cette dernière a, par ailleurs, fait part de ses doutes sur la capacité de l'administration d'absorber en quelques mois une réforme d'une telle ampleur, sur le plan RH. Un avis partagé par Tristan Coudert (SICP), qui a jugé "déraisonnable" le calendrier envisagé de ce remaniement. "Cette réforme est particulièrement mal engagée", a conclu le représentant des commissaires, qui a regretté l'absence de phase de "réflexion et de diagnostic".

Enfin, de l'avis général, les expérimentations actuellement menées dans certains départements ne permettent pas de tirer prévoir l'impact de la future réforme. "Il est très compliqué de faire un retour d'expérience puisque tout a été fait à droit constant", a expliqué Isabelle Trouslard. Pour Yann Bastière (Unité SGP police), les outre-mer sont les seuls exemples concrets qu'il faut observer, dès lors que des directions territoriales ont été mises en place à compter de 2020. "Or, c'est là où on commence à voir les dysfonctionnements apparaître", a-t-il indiqué.

Devant ce flot de critiques, la co-rapporteure  de la mission d'information Marie Guévenoux (Renaissance) a rappelé que la réorganisation envisagée n'avait pas pour but de remédier au problème du stock. "Ce qu'on voit dans les départements où la réforme a été expérimentée, c'est qu'il y a une meilleure coordination, une meilleure communication, une diffusion des compétences", a également assuré la députée de la commission des lois. Et de rappeler que le rapport annexé à la Lopmi devait répondre aux craintes des services de police judiciaire, en figeant notamment la cartographie actuelle de la PJ.

Éric Arella plaide pour sanctuariser des points dans la réforme

Débarqué en octobre dernier dans des conditions très médiatisées, en pleine grogne des services de PJ, l'ancien directeur zonal de la police judiciaire Sud, Éric Arella, a également été auditionnée par la mission d'information mardi. Dans un discours très feutré, le haut fonctionnaire a tenu à souligner ce qu'apporterait, selon lui, la réforme en filières, jugeant l'idée de la départementalisation "tout à fait intéressante". 

En parallèle, l'ex-patron de la PJ du sud de la France a néanmoins insisté sur certains points à sanctuariser dans la réforme, afin de ne pas mettre en danger les compétences des enquêteurs de la PJ et la lutte contre la criminalité organisée. Par dessus tout, conserver l'autorité hiérarchique du directeur zonal de la police judiciaire - à l'échelon supra-départemental -, alors que la réforme prévoit de la transformer en autorité "fonctionnelle". Cela permettrait de répondre, au moins concernant la PJ, aux inquiétudes des fonctionnaires sur le traitement de la criminalité du "haut du spectre", qui fait fi des frontières administratives.

Les conclusions de la mission rapportée par Marie Guévenoux (Renaissance) et Ugo Bernalicis (La France insoumise) sont attendues pour la fin du mois de janvier, ou pour le mois de février, en fonction de la publication des résultats de l'audit mené par les inspections des ministères de l'Intérieur et de la Justice.