Devant les députés de la commission des affaires économiques, mercredi 10 mars, l'intersyndicale d'EDF a exprimé son opposition au projet Hercule qui vise à restructurer le groupe. Selon les syndicats ce projet s'apparente à une "casse du service public."
Le Projet Hercule inquiète les salariés d'EDF. L'annonce d'une future restructuration du groupe EDF, défendue par le gouvernement et la direction de l'entreprise, a déclenché une véritable levée de boucliers. Après plusieurs mois de mobilisation poncutés par cinq journées de grève, les négociations entre Paris et Bruxelles sont toujours en cours et aucun projet final n'est encore disponible.
Pour les syndicats auditionnés par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale mercredi 10 mars, deux questions demeurent. Le projet Hercule va-t-il permettre d'améliorer la situation du groupe EDF ? Pour eux, la réponse est non. Le projet Hercule risque-t-il de démanteler le service public de l'énergie ? Toujours selon l'intersyndicale, la réponse est oui. Les syndicats considèrent donc que le rejet de ce projet de restructuration est "un préalable" à toute discussion franche sur l'avenir d'EDF.
Premier point de vigilance des syndicats : l'opacité les discussions entre le gouvernement et la Commission européenne. "On a que des bribes d'informations, donc il est difficile d'en débattre sereinement", indique Alexandre Grillat de la fédération CFE Énergies. "Le fait de ne pas avoir des documents écrits amène forcément des complications dans le dialogue", abonde Nelly Breheret (FO).
Dans un entretien à L'Express publié ce mercredi, le Président-directeur général d'EDF Jean-Bernard Lévy reconnaissait que "les négociations [n'avançaient] plus beaucoup depuis la fin de l'automne, mais elles se poursuivent toujours entre l'État et la Commission européenne." Le PDG estime que la balle est aujourd'hui dans le camp de Bruxelles, mais il déplore que la Commission européenne veuille "éclater EDF dans les négociations sur la nouvelle régulation et la réorganisation de l'énergéticien français."
C'est cette situation qui inquiète les syndicats : "Le problème de l'Europe, c'est qu'elle aime bien l'énergie, mais pas forcément EDF et l'industrie nucléaire en France. [Surtout,] elle aime bien la concurrence", tacle Sylvain Badinier (CFDT) . Mêmes arguments du côté du député de La France insoumise François Ruffin, qui souligne qu'à Bruxelles, "on a affaire à des ayatollahs de la concurrence." Le député de la Somme relève par ailleurs que les discussions autour du projet Hercule ressemblent à celles qui ont eu lieu pour La Poste, la SNCF, ou encore Airbus.
Comme nous vous l'expliquions dans cet article, la réorganisation d'EDF pourrait se traduire par une scission du groupe en trois entités. S'il est prévu qu'EDF Bleu (qui gérerait le parc nucléaire) détienne 100% des parts d'EDF Azur (en charge des barrages hydroélectriques), elle ne détiendrait qu'une "large majorité" de celles d'EDF Vert (activités commerciales, distribution d'électricité et énergies renouvelables). Du côté de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et de la direction d'EDF, on plaide pour une ouverture des parts au privé à hauteur de 30% maximum.
Pas du côté des syndicats. Tous s'accordent pour dire que l'électricité est un bien commun et que les futures entités du groupe ne doivent pas être ouvertes au privé. "Le dépeçage progressif de l'entreprise depuis 2004 ne l'a pas rendue plus compétitive", déplore Maud Mathieu, déléguée syndicale CGT. Elle estime que "si le projet Hercule voyait le jour, il y aurait une réaffirmation incompréhensible de la notion de marché." De plus, souligne Maud Mathieu, "la période est idéale pour un nouveau plan de privatisation avec la fin des investissements lourds et des grands chantiers."
Surtout, cette ouverture au privé serait synonyme de bombe à retardement pour les 8.000 salariés de la branche commerciale d'EDF, alerte Philippe Page Le Merour (CGT). "Ils sont les derniers à être en France, au sein d'EDF. Tous les concurrents travaillent avec des plateformes à l'étranger, dans des pays avec un cout du travail très bas", souligne-t-il. "Si le projet Hercule passe, avec la coupure du lien entre production et vente, ces salariés-là sont dans la jungle du dumping social avec les concurrents", prévient le secrétaire du CSE à la centrale EDF SA.
Alors qu'EDF va souffler en avril les 75 bougies de son statut actuel, l'intersyndicale est persuadée que cette première ouverture aux capitaux privés n'est qu'une étape vers une plus large privatisation du groupe, et un "démantèlement du service public." Malgré les multiples promesses du gouvernement et de la direction d'EDF, qui assurent régulièrement "qu'il n'y aura pas de privatisation" ?
Alexandre Grillat de la CFE dit trop bien se rappeller de "l'épisode Sarkzoy." Le 6 avril 2004, celui qui deviendra Président de la République est ministre de l'Economie et des finances. À l'Assemblée nationale, il assure "qu'EDF et GDF ne seront pas privatisés." Deux ans après, le 7 décembre 2006, la loi autorisant la privatisation de Gaz de France (qui avait suscité une mémorable bataille parlementaire avec le dépôt record de plus de 137.000 amendements, ndlr) est adoptée. "On est instruits par l'histoire (...) Toutes les promesses peuvent être faites, on a appris être très prudent. Comme disait Jacques Chirac, elles n'engagent que ceux qui les croient", continue le secrétaire de la fédération CFE Énergies.
Défendant le projet Hercule, le député La République en Marche Anthony Cellier souligne que cette réforme pourrait résoudre plusieurs problèmes financiers du groupe EDF. En l'état, un point pourrait aussi satisfaire les syndicats : la réforme de l'Arenh. Ce dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique permet aux fournisseurs d'électricité concurrents d'EDF en France de racheter à l'électricien une partie de sa production nucléaire à un tarif de 42 €/MWh.
Ce prix est trop faible, ont récemment estimé le PDG du groupe et le patron de la Commission de régulation de l'énergie. C'est aussi l'avis des syndicats. "L'Arenh a spolié EDF et a accentué la mise en place d'une sous-rémunération. (...) Quelle que soit l'issue des négociations, il faudra augmenter son tarif", explique Alexandre Grillat. Mais pas à n'importe quel prix, prévient Alain André (FO) : "Résoudre le problème de la concurrence par plus de concurrence... on ne voit pas trop les choses comme ça."
Autre argument phare des partisans du projet Hercule : il permettrait d'investir davantage, grâce à l'ouverture des parts au privé, dans les énergies renouvelables (ENR). L'exposé est balayé d'un revers de main par Philippe Page Le Merour, de la CGT.
"On dit qu'il faut investir massivement dans les ENR. Mais en France, comparé aux pays voisins, notre production électrique est très décarbonnée. Donc on peut se demander pourquoi aller autant investir là-dedans", s'interroge le syndicaliste. Selon lui, pour développer des énergies renouvelables, le groupe EDF n'a pas besoin de privatiser "quoi que ce soit."
Derrière Hercule, il y a la volonté de transformer l'objet social d'EDF, et il faut que vous disiez non.
"Sur l'éolioen terrestre, ça commence à être saturé un peu partout. Et sur le photovoltaïque, EDF est déjà engagé dans un plan solaire, où le problème c'est de gagner des appels d'offres", développe-t-il. "L'ambition qui est portée par les banquiers d'affaires et d'autres, c'est d'aller faire du business à l'international. et de jouer dans la fameuse cour des grands des ENR. Ce n'est pas l'objet de l'entreprise EDF !" conclut Philippe Page Le Merour, qui interpelle les députés : "Derrière Hercule, il y a la volonté de transformer l'objet social d'EDF, et il faut que vous disiez non."
Sur certains points toutefois, les objectifs se rejoignent. Au fil semaines et des auditions de la commission des affaires économiques, un consensus s'est notamment dégagé pour réformer l'Arenh, afin d'augmenter son tarif à au moins 48€/Mwh. Mais entre syndicats, gouvernement et actionnaires, les méthodes divergent. Et à la fin, c'est le Parlement qui tranchera, a promis le ministre de l'Economie et des finances Bruno Le Maire.
En attendant, selon les informations de LCP, les syndicats seront reçus un par un jeudi et vendredi au ministère de la Transition écologique. Le directeur de cabinet de Bruno Le Maire ainsi que des représentants de Matignon participeront aux discussions. Les représentants du personnel demandent notamment la création d’une commission multipartite "chargée d’établir le diagnostic de la situation d’EDF, de faire le bilan de 20 ans de dérégulation du marché de l’électricité et de proposer des pistes pour bâtir l’avenir d’EDF."