Les députés ont adopté le projet de loi "portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat", à l'aube du vendredi 22 juillet, par 341 voix contre 116, au terme de quatre jours et nuits d'âpres débats. Le texte prévoit notamment un triplement du plafond de la prime Macron, revalorise les pensions de retraites et les APL, limite la hausse des loyers, et instaure la déconjugalisation de l'AAH à l'horizon 2023.
L'Assemblée nationale a adopté ce vendredi 22 juillet le projet de loi "portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat", peu avant 6 heures du matin, par 341 voix contre 116. Un texte destiné à soutenir le pouvoir d'achat des Français en cette période de forte inflation qui sera complété par un texte budgétaire examiné à partir de 15h ce vendredi. Les députés ont voté des dispositions comme le triplement du plafond de la prime dite "Macron", la revalorisation des retraites et des prestations sociales à hauteur de 4%, le plafonnement des loyers et la hausse des APL, la baisse de cotisations sociales des travailleurs indépendants, et déconjugalisation de l'AAH.
Dans la nuit de jeudi à vendredi, les débats ont été consacrés à la question de la souveraineté énergétique et aux moyens de limiter l'impact de la guerre en Ukraine. Avec un objectif : tout faire pour éviter les coupures d'électricité ou de gaz cet hiver. Le texte permet notamment de prendre des mesures exceptionnelles concernant notamment les centrales à gaz avec, par exemple, une possibilité de réquisition. Une "mesure d'urgence" qui doit éventuellement permettre de rediriger le gaz de centrales produisant de l'électricité vers le "réseau de chaleur de telle sorte que l'on puisse chauffer les Français", a précisé la rapporteure Maud Bregeon (Renaissance).
Ces dispositions, qui s'appliqueront pour une durée inférieure à cinq ans, démontrent, selon Sébastien Jumel (Gauche démocrate et républicaine), que "la souveraineté énergétique de la France a été abîmée", tandis qu'Hervé de Lépinau (Rassemblement national) a dénoncé une "tiers-mondisation énergétique".
Le texte prévoit également la construction d'un terminal gazier flottant temporaire au Havre : son exploitation pourra durer cinq ans au maximum. Une mesure jugée "climaticide" par Julie Laernoes (Ecologiste), tandis qu'Aymeric Caron (La France insoumise) a dénoncé une "insulte à l'écologie". La mesure, "suicidaire", reviendra à "importer encore plus en France du gaz de schiste", a déploré Delphine Batho (Ecologiste).
Des critiques qualifiées de "grands discours" par Maud Bregeon : "On préférerait tous ne pas avoir besoin d'énergies fossiles", a déclaré la rapporteure. "On parle de remplacer une énergie fossile par une autre", a pour sa part répondu Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique. "Le gaz de schiste, ce n'est pas un problème de CO2, c'est un problème de conséquence de la fracturation hydraulique, local", a ajouté la ministre, qui rappelle que la Russie utilise elle aussi cette "fracturation hydraulique".
Agnès Pannier-Runacher a aussi souligné l'importance du nucléaire "dont on ne peut pas se passer". Un point de vue partagé par Maxime Minot (Les Républicains) : l'élu a rappelé la "confiance affirmée" de son groupe "à la production d'énergie nucléaire". A l'opposé, Mathilde Panot (La France insoumise) a dénoncé la "faillite totale de l'EPR" et "l'aveuglement du gouvernement".
Autre mesure : la réouverture temporaire de la centrale à charbon de Saint-Avold (Moselle), dans un contexte de pénurie d'énergie lié à la guerre en Ukraine et à la sécheresse estivale. Le texte prévoit la possibilité de "réembaucher, sur la base du volontariat, en CDD ou en contrat de mission, des salariés en congé de reclassement en cas de reprise temporaire d’activité" de la centrale, qui avait fermé ses portes en mars 2022. "Cela représente 1 % de la production d'électricité", a relativisé la ministre de la Transition énergétique.
Pas de quoi calmer l'ire de la gauche de l'hémicycle, qui a fustigé un projet climaticide. "Vous nous proposez de remettre en service ce qui est le plus gros émetteur en termes de gaz à effet de serre", a notamment pointé Sandra Regol (Écologiste). Le texte prévoit de compenser la hausse des émissions qu’entraîneront ces mesures d'urgence. "Du pur et simple greenwashing", a estimé Mathilde Panot (La France insoumise).
Le projet de loi contient de nombreuses autres mesures, comme le triplement du plafond de la prime dite "Macron". Concrètement, le texte prévoit deux primes : l'une permet jusqu'au 31 décembre 2023 le versement d'une somme pouvant aller jusqu'à 3 000 euros par salarié payé en-dessous de trois Smic, et ce sans charges, ni impôt. L'autre, plus pérenne, intitulée "prime de partage de la valeur", inscrit dans le droit une prime maximale de 3.000 euros sans charges, mais soumise à l'impôt sur le revenu, pour tous les salariés, quels que soient leurs revenus. Le montant pourra même atteindre 6 000 euros dans les entreprises qui signent un accord d'intéressement.
Les débats sur ce dispositif ont été houleux entre la majorité présidentielle d'un côté, qui salue un gain de pouvoir d'achat pour les Français, et la gauche de l'autre, qui regrette l'absence de hausse des salaires.
Le texte adopté par les députés prévoit également un encadrement de la hausse des loyers, qui ne pourront pas augmenter de plus de 3,5 % d'ici à juin 2023 (2,5 % en Outre-mer). Ces hausses pourront être limitées à 1,5% en zone de revitalisation rurale et en Corse. Les APL seront revalorisées quant à elles de 3,5%. "Il s'agit d'un bon exemple de la politique d'enfumage du 'en même temps'", a ainsi déploré Maxime Laisney (La France insoumise). Les députés de la Nupes ont, en vain, tenté de défendre un gel des loyers, une option qui aurait été "épouvantable" selon Éric Woerth (Renaissance). Par ailleurs, les prestations sociales et les pensions de retraite seront revalorisées de 4%.
L'Assemblée nationale a, par ailleurs, voté à la quasi-unanimité la déconjugalisation de l'allocation aux adultes handicapés. Dans le système actuel, cette allocation est modulée en fonction des revenus du conjoint ou de la conjointe de l'allocataire. Cela ne sera plus le cas "au plus tard" au 1er octobre 2023. Une mesure qui avait été largement débattue pendant la précédente législature et repoussée à maintes reprises par la majorité présidentielle, avant qu'Emmanuel Macron, candidat à sa réélection, s'engage sur cette réforme.
Il s'agissait d'une des propositions de l'opposition qui avait eu un certain retentissement médiatique. La proposition de Julien Bayou (Écologiste) de légaliser l’utilisation de l’huile de friture usagée comme carburant a été votée, aux alentours de 4h20, dans la nuit de jeudi à vendredi. "Bien décantée, l'huile de friture peut couvrir 30 % d'un plein diesel, et même 100 % avec un moteur un peu modifié", a-t-il précisé. Illégale en France, cette pratique n'en reste pas moins répandue dans certaines régions, de manière clandestine. Notamment pour des raisons financières.
Huile de friture : @julienbayou propose d'autoriser l'utilisation de l'huile alimentaire usagée comme carburant. "Il vaut mieux dépendre des baraques à frites du Nord que des monarchies pétrolières."#PJLPouvoirdachat #DirectAN pic.twitter.com/b2Y5YL0zwu
— LCP (@LCP) July 22, 2022
Mais l'utilisation de l'huile de friture usagée revêt aussi un intérêt écologique, a soutenu Julien Bayou. Et même de souveraineté énergétique : "Il vaut mieux dépendre des baraques à frites du Nord que des monarchies pétrolières", a-t-il ironisé. Le gouvernement a donné un avis de sagesse, jugeant nécessaire de s'assurer que cet usage ne génère pas de l'oxyde d'azote. Erwan Balanant (Démocrate) a fait part de sa perplexité. "J'ai l'impression qu'on est sur un truc pas très écolo", a-t-il estimé.
Les groupes de la majorité présidentielle, "Renaissance", "Démocrate" et "Horizons", ainsi que les groupes "Les Républicains", "Rassemblement national" et "Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires", ont voté en faveur du projet de loi. Le groupe "Socialistes" s'est majoritairement abstenu (17 abstentions et 3 votes contre), tandis que le groupe "Gauche démocrate et républicaine" s'est majoritairement opposé au texte (18 contre et 4 abstentions). Enfin, les groupes "La France insoumise" et "Ecologiste" se sont prononcés contre le projet de loi.
Le texte va maintenant être transmis au Sénat, tandis que l'Assemblée nationale va examiner, à partir de ce vendredi, le projet de loi de finances rectificative pour 2022, qui complète le projet de loi sur le pouvoir d'achat par un certain nombre de mesures et de dispositions financières.