Le président de la commission des finances, Eric Coquerel (La France insoumise), a plaidé mardi 30 septembre pour l'abrogation de l'article 40 de la Constitution, sorte de verrou financier, qui limite le pouvoir d’initiative des parlementaires. Cette évolution, qui revaloriserait selon lui le rôle du Parlement, a suscité un débat engagé entre députés au sein de la commission.
C'est une règle plutôt méconnue du grand public, qui est en revanche bien connue au Parlement : l'article 40 de la Constitution est une sorte de verrou financier qui encadre le pouvoir d’initiative des députés et des sénateurs. Il interdit toute proposition de loi ou amendement qui toute création ou aggravation d’une charge publique, et n’autorise la diminution d’une ressource publique que dans la mesure où celle-ci est compensée par l’augmentation d’une autre ressource, souvent via l'augmentation d'une taxe déjà existante.
Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique. Article 40 de la Constitution
De fait, il est assez fréquent qu'au cours de l'examen de textes législatifs, les amendements de députés ou de sénateurs ne franchissent pas le filtre de l'article 40 et soient jugés irrecevables, avant même de pouvoir être débattus. C'est notamment cette règle qui a conduit frapper d'irrecevabilité une proposition de loi du groupe LIOT, que le groupe LFI voulait reprendre, pour abroger la réforme des retraites en 2023.
"C'est une disposition qui contraint fortement l'initiative parlementaire, qui instaure une inégalité entre le gouvernement qui peut introduire une dépense nouvelle et les parlementaires", a regretté ce mardi 30 septembre le président de la commission des finances, Eric Coquerel (La France insoumise).
Le député insoumis estime que cet article a pour effet de "déresponsabiliser les parlementaires en laissant entendre qu'ils feraient plonger le déficit public sans cette contrainte", tout en imposant l'idée que "la politique de l’offre est inévitable". Depuis qu'il préside la commission des finances, Eric Coquerel assume une lecture de la Constitution qui "favorise autant que possible l’initiative parlementaire", en "conciliant les exigences de l'article 40 avec le droit d'amendement des députés, lui aussi inscrit dans la Constitution". De fait sous sa présidence de commission, le taux d’irrecevabilité en séance publique est passé de 16,4 % des amendements déposés en 2021-2022, à 12,1 % en 2022-2023, puis 8 % en 2023-2024 et enfin 7,3 % en 2024-2025.
Mais pour le député LFI, il est nécessaire d'aller plus loin en abrogeant purement et simplement l'article 40 de la Constitution - ce qui nécessiterait d'en passer par un long et incertain processus de révision de la loi fondamentale. "Cela permettrait d’élargir nos débats et revaloriserait le rôle d’un Parlement dont les prérogatives et la liberté sont régulièrement limitées par l’exécutif", a-t-il soutenu, notant qu'une telle demande n'est pas inédite. Eric Woerth (Ensemble pour la Réoublique), son prédécesseur à la tête de la commission, avait également appelé à une telle abrogation en 2018, quand il appartenait encore au groupe Les Républicains. En outre, la majeure partie des pays de l'OCDE ne prévoit pas de restriction au droit d'amendement, a-t-il souligné.
La proposition d'Eric Coquerel a suscité un âpre débat au sein de la commission des finances. "L'article 40, censé protéger nos finances publiques, sert surtout à protéger le gouvernement de tout débat gênant. Il paraît que les parlementaires seraient trop dépensiers. C'est amusant quand on voit que ce sont les gouvernements successifs de droite comme de gauche qui ont fait exploser la dette", a raillé Emeric Salmon (Rassemblement national), qualifiant l'article 40 de "version institutionnelle de la muselière".
Christine Arrighi (Ecologiste et social) a proposé que cette suppression fasse l'objet d'un référendum, "puisque le président de la République cherche des thèmes". "Notre Assemblée est privée de nombreuses prérogatives, alors même qu'elle représente le peuple pour voter le budget", a-t-elle souligné, prévoyant d'effectuer un "tir groupé" avec l'article 49.3 de la Constitution.
Plusieurs élus du bloc central ont au contraire défendu l'utilité de l'article 40, qui est "effectivement protecteur pour nos finances publiques", selon Jean-René Cazeneuve (Ensemble pour la République). Le député du parti présidentiel a regretté la lecture du texte privilégiée par Eric Coquerel : "Vous le faites respecter très souvent, et de temps en temps, on ne sait pas pourquoi, il n'est pas respecté. (...) Ce n'est pas parce que vous respectez en permanence le code de la route, que vous avez le droit, une fois de temps en temps, de passer à 200 km/h dans les virages."
"Monsieur Coquerel propose une évolution jurisprudentielle consistant à renverser l'ordre des priorités, en faisant de la lecture politique de la recevabilité financière le principe, et la lecture technique, l'exception", a quant à lui déploré Emmanuel Mandon (Les Démocrates). Jugeant que "l'interprétation formaliste" longtemps défendue par les présidents successifs de la commission des finances "aboutissait à des résultats impeccables".