Réforme des retraites : la méthode en question

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Hémicycle
par Soizic BONVARLET, le Mercredi 21 septembre 2022 à 15:30, mis à jour le Mercredi 21 septembre 2022 à 16:13

L'objectif a été fixé par Emmanuel Macron : le chef de l'Etat souhaite que la réforme des retraites, annoncée pendant la campagne présidentielle, puisse entrer en vigueur l'été prochain. Officiellement, sur le fond comme sur la méthode, la réflexion est toujours en cours, mais l'hypothèse d'une réforme par voie d'amendement dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale qui pourrait faire l'objet d'un 49.3 est dénoncée par l'opposition et ne fait pas l'unanimité dans la majorité. 

Vilipendée par une grande partie des oppositions sur le fond, la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron est aussi critiquée en raison de la procédure qui pourrait être utilisée pour la faire adopter.  Le président de la République l'a réaffirmé lundi 12 septembre, il souhaite une réforme des retraites à brève échéance, pour une application dès l'été 2023. Devant l’Association de la presse présidentielle, Emmanuel Macron a lui-même évoqué un "moment douloureux", et une réforme qui "ne fait plaisir à personne". Et quelques jours plus tard, recevant des députés de la majorité à l’Élysée, il a laissé entendre qu'il ne pensait pas que le contexte serait plus favorable pour mener cette réforme au printemps plutôt qu'à l'automne. L'exécutif réfléchit donc à la possibilité de procéder par amendement dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) qui, compte tenu de l'absence de majorité absolue à l'Assemblée nationale, pourrait lui-même être adopté en utilisant l'article 49.3 de la Constitution. Cet article permet au gouvernement d’engager sa responsabilité sur un texte qui est considéré comme adopté, sans vote, sauf si une motion de censure est déposée dans les 24 heures qui suivent. 

Une réforme paramétrique via le PLFSS ?

"Toutes les pistes sont à l'étude, y compris la piste qui nous conduirait à proposer une réforme à travers le projet de loi de financement de la Sécurité sociale" (PLFSS), avait déclaré le porte-parole du gouvernement à l'issue du Conseil des ministres du 14 septembre. Une piste qui n'exclurait pas "une concertation large de l'ensemble de la société civile et des partenaires sociaux", avait alors précisé Olivier Véran.

Si la réforme des retraites ne figurerait pas dans le texte initial du PLFSS, elle pourrait faire l'objet d'un amendement. Et si rien n'est encore arrêté sur la méthode, ni sur le véhicule législatif, l’exécutif consulte sa majorité. Le 15 septembre, à l'occasion d'une réunion à l'Élysée avec les membres de la commission des finances et les présidents des groupes de la majorité présidentielle à l'Assemblée, le chef de l’État a montré sa volonté d'engager la réforme sans tarder. Sur le fond, à ce jour, c'est le scénario d'une extension de la durée de cotisation qui semble privilégié, même si cette mesure pourrait être couplée à un report de l'âge légal du départ en retraite. Dans un cas comme dans l'autre, la question du curseur sera essentielle. "Il y a encore des discussions, il faudra peut-être trouver un mixte entre les deux, les choses ne sont pas arrêtées", a ainsi fait savoir Franck Riester sur le plateau de LCP le 19 septembre. Le ministre chargé des Relations avec le Parlement a par ailleurs confirmé que, concernant la méthode, toutes les options étaient envisagées, estimant qu'en tout état de cause, il était nécessaire de faire cette réforme "en début de quinquennat".

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Des propos réitérés par Violette Spillebout (Renaissance) le 20 septembre, la députée évoquant l'importance de faire passer une telle réforme "en début de mandat", et assurant que les députés du groupe Renaissance seraient "prêts", "pendant le PLFSS", ou "au printemps pour la mise en œuvre qui commencera à l'été 2023", avant d'ajouter que "rien [n'était] arrêté sur la méthode."

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La mise en garde du MoDem 

Ce même jour, le président du groupe Démocrate à l'Assemblée nationale, Jean-Paul Mattei, a mis en garde le gouvernement. Lors d'un point de presse, il a indiqué que "la position du groupe serait certainement de voter contre cet amendement". "On a du mal à comprendre que l’on puisse passer d’une réflexion, d’une discussion longue, même si elle était compliquée, à des dispositifs techniques qui occultent le débat. Donc ça ce n'est pas possible", a expliqué le député des Pyrénées-Atlantiques. Favorable à une réforme globale des régimes de retraite, il n'envisage pas que celle-ci puisse être menée sans une concertation approfondie avec les partenaires sociaux.

Une mise en garde qui fait suite à la prise de position de François Bayrou, dans les colonnes du Parisien. Le 17 septembre, le président du MoDem avait fustigé la méthode qui consisterait à employer le "passage en force", via le 49.3. Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire avait répliqué en considérant que "le 49.3 n’est pas un passage en force", mais "un outil parlementaire constitutionnel." "Peut-être qu’au bout du bout ça se terminera par un 49.3", admet Jean-Paul Mattei. "Ce n’est pas ce que l’on souhaite, il faut surtout qu’on aille au bout de la discussion" souligne le député membre du MoDem.

Des oppositions prêtes à batailler 

Du côté des Républicains, qui soutiennent l'idée d'un effort collectif pour "sauver" le système de retraite, le positionnement s'avère délicat. Pour Thibault Bazin, il n'est pas question, au motif qu'une réforme s’avérerait nécessaire, de soutenir "n'importe quelle réforme". Surtout, le député de la commission des affaires sociales déplore qu'il n'y ait à ce jour "rien sur la table", dénonçant un "faux-semblant de concertation et de volonté réformatrice". Il ne croit pas, à titre personnel, au scénario d'une réforme par amendement au PLFSS, jugeant notamment qu'un tel procédé ne permettrait pas de prendre en compte "la diversité des parcours". Quant au potentiel recours au 49.3, l'élu de Meurthe-et-Moselle s'interroge d'ores-et-déjà : "Est-ce qu’ils l’utiliseraient parce qu’ils n’ont pas de majorité, ou pour éviter le débat ?". Si le député souhaite que des mesures fortes soient prises pour "assurer l’équilibre de notre système", il ne conçoit pas que la réforme puisse être adoptée sans une concertation d'ampleur avec les partenaires sociaux et la représentation nationale.

Au-delà de la méthode, Marine Le Pen s'oppose à la réforme. La président du groupe Rassemblement national à l'Assemblée a récemment estimé qu'il n'y avait "absolument aucune urgence à s'attaquer aux retraites, en particulier au moment où les Français sont confrontés à des difficultés majeures de pouvoir d'achat". Marine Le Pen a par ailleurs affirmé que "si Emmanuel Macron, comme je peux l'entendre, se sert du budget de la Sécurité sociale pour s'attaquer aux retraites, c'est-à-dire contourner un débat sur ce sujet, il va se trouver confronté à une opposition totale de notre part. Nous défendrons les retraites. Qu'il soit prudent dans ses manœuvres de contournement de la démocratie".

De l'autre côté de l'échiquier politique, la gauche s'apprête à batailler dans l'hémicycle, tout en promettant au gouvernement un "automne social" dans la rue. "En ayant autant de mal à taxer les sur-profits et autant de facilité à s’attaquer aux chômeurs et à vouloir reculer l’âge de départ à la retraite à travers le PLFSS, Macron se confirme Président du capital et de la casse sociale. À ce rythme la motion de censure va être sociale", a tweeté le président de la commission des finances, Eric Coquerel (La France insoumise). Mathilde Panot (LFI), a par ailleurs indiqué le 20 septembre que le groupe qu'elle préside n'hésiterait pas à dégainer une motion de censure, cette fois bel et bien institutionnelle, en réponse à un éventuel 49.3 du gouvernement.

"Spoiler : non, cela ne pourra pas se faire sereinement au travers d'un amendement du PLFSS", prévient pour sa part Marie-Charlotte Garin (Écologiste). La députée n'envisage pas qu'une modification "aussi structurante" puisse se faire par amendement et appelle de ses vœux "une réforme de la place du travail dans notre société, en fonction de quoi il faut poser la question des retraites". Et dans l'hypothèse d'un 49.3, qu'elle assimile à un passage en force, Marie-Charlotte Garin prévoit une mobilisation générale dans tous les secteurs de la société : "L’arc qui nous propulse c’est bien la mobilisation dans la rue. Nous agissons en partenariat avec les acteurs extérieurs à l’Assemblée". Pour l'instant, la députée du Rhône veut croire que rien n'est joué : "On l'a bien vu avec la déconjugalisation de l'allocation adulte handicapé (AAH) : le gouvernement l'avait refusée à plusieurs reprises dans une posture très technocratique, et c’est à partir du moment où il y a eu une mobilisation citoyenne et une demande large de l’opinion publique qu’il a fini par bouger".