La commission des affaires économiques de l'Assemblée a adopté à l'unanimité mercredi 13 janvier le rapport de la mission d'information sur les sels nitrités dans l'industrie agroalimentaire. Les députés préconisent leur interdiction dans la charcuterie progressivement à partir de 2023 et complètement d'ici 2025. Mais la proposition de loi de Richard Ramos (MoDem) inspirée des travaux de cette mission ne sera pas défendue comme cela avait été prévu fin janvier. En raison d'un rapport attendu de l' Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (Anses) qui ne sera publié qu'en avril.
"Le débat [sur l'interdiction des sels nitrités, des additifs qui, combinés à la charcuterie où ils sont utilisés comme conservateurs, peuvent être cancérigènes] nous l’aurons dans l’hémicycle quoi qu’il arrive, car nous porterons ce sujet, et on espère vraiment vous avoir à nos côtés." C'est ainsi que Richard Ramos avait conclu en novembre 2020 l'audition du ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie. Mais le débat n'aura pas lieu tout de suite. Mardi 12 janvier, à la veille de la présentation du rapport de la mission d'information sur les sels nitrités, dont Richard Ramos est co-rapporteur, le groupe MoDem a retiré de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale la proposition de loi du député du Loiret.
Le texte de Richard Ramos aurait dû être débattu fin janvier, dans le cadre de la niche parlementaire de son groupe. S'appuyant sur les travaux de la mission d'information, l'élu plaide avec les co-rapporteures Barbara Bessot Ballot (LaREM) et Michèle Crouzet (MoDem) pour l'interdiction "d'ici 2023 des sels nitrités dans la charcuterie pour les produits à base de viande non traités thermiquement" − comme le jambon cru −, et "à compter du 1er janvier 2025 pour l’ensemble des produits de charcuterie" − dont le jambon cuit. Les parlementaires préconisent que l'entrée en vigueur de cette interdiction soit plus précoce dans la restauration collective scolaire, hospitalière, carcérale et médico-sociale.
Ce changement soudain de calendrier peut s'expliquer en partie par la publication à venir d'un autre rapport, celui de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (Anses), qui devrait être disponible "fin avril 2021". Certains élus, mais surtout bon nombre d'industriels, veulent attendre que l'Anses livre les conclusions de l'étude diligentée par les services du ministère de l'Agriculture avant que le Parlement légifère.
D'autres, Richard Ramos en tête, estiment que le rapport de la mission d'information approuvé ce mercredi a autant de valeur que le futur rapport de l'Anses. "Le Parlement a autant de responsabilités que le gouvernement en termes de santé publique. C'est pour cela que les députés peuvent construire leurs propositions de loi et les faire adopter librement dans le Parlement, c'est-à-dire l'agora du peuple", indique l'élu du Loiret.
Interrogé sur le devenir de sa proposition de loi, Richard Ramos indique qu'elle sera débattue "d'ici la fin de l'année" dans l'hémicycle. Le député dit "avoir confiance en Julien Denormandie" et veut attendre que le ministre puisse se faire son avis. Or, de son côté, le ministre avait justement prévenu vouloir attendre le rapport de l'Anses pour se positionner. "Il y a une volonté de travailler avec le ministre de l'Agriculture", abonde la marcheuse Barbara Bessot Ballot.
Aujourd'hui, je n'ai toujours pas confiance en l'Anses
Pourtant, à propos de l'Anses, Richard Ramos maintient les propos qu'il avait prononcés lors de l'audition de Julien Denormandie en novembre 2020. "Je n'ai toujours pas confiance en elle", dit-il devant les caméras. "Je pense que ces gens-là se sont installés dans un confort de la pensée qui fait qu'on ne veut pas juger (...) je regarderai avec attention les possibles conflits d'intérêts", prévient Richard Ramos. "Je préfère faire confiance aux scientifiques qui sont venus devant le Parlement et au personnel de l'Assemblée nationale qui a travaillé sur le dossier", poursuit le député.
Malgré ce report, les trois rapporteurs se veulent confiants. La lutte contre les sels nitrités est devenue une cause transpartisane et Richard Ramos l'assure : lui et ses collègues "auront une majorité" lorsque le texte sera examiné, même si certains dans la majorité et dans l'opposition de droite ne devraient pas le voter.
Adopté à l'unanimité par les députés de la commission des affaires économiques, le rapport de la mission d'information relève que "76 % environ de la charcuterie mise sur le marché dans la grande distribution contiendrait des nitrates ou des nitrites." Une part encore trop importante pour Richard Ramos, Michèle Crouzet et Barbara Bessot Ballot, qui reconnaissent toutefois qu'une interdiction future "nécessite une véritable transition de la filière".
"Cette dernière doit être accompagnée par les pouvoirs publics, notamment sur le plan financier", écrivent les élus, qui proposent ainsi la mise en place "d’un fonds destiné à soutenir l’effort d’adaptation de leur outil de production des transformateurs, en particulier des structures artisanales et de petites tailles."
Lors de l'examen du rapport, les rapporteurs ont passé en revue les différentes interrogations soulevées par leurs collègues. L'une des plus fréquentes, et qui est l'un des principaux arguments des industriels, a été exprimée par Jean-Pierre Vigier (LR) et Guillaume Kasbarian (LaREM) : interdire les nitrites pourrait provoquer une hausse des cas de botulisme. Pour Michèle Crouzet, l'argument est inaudible : "La production de charcuterie sans additifs n'a cessé d'augmenter ces dernières années, sans pour autant avoir plus de cas de botulisme, maladie que nous ne minimisons pas", explique la députée.
La menace pour la santé publique est suffisamment grave pour nécessiter l'intervention des pouvoirs publics
Si les sels nitrités sont utiles à la conservation des aliments et que certains pays interdisent l'importation de produits qui n'en contiennent pas, c'est le mélange avec la charcuterie (et donc l'association entre les nitrites et le fer contenu dans la viande) qui a des effets importants sur la santé, insiste Richard Ramos. Le député parle d'un "effet cocktail" aux conséquences dévastatrices : la consommation de viandes et de charcuteries en France pour l’année 2015 a contribué à près de 5 600 nouveaux cas de cancers colorectaux, selon un rapport du CRIC.
"Le sel nitrité tue", martèle Richard Ramos. "Et la menace pour la santé publique est suffisamment grave pour nécessiter l'intervention des pouvoirs publics", renchérit Michèle Crouzet, qui rappelle que 63 % des personnes âgées de 18 à 54 ans dépassent les quantités de charcuterie maximales recommandées, selon les chiffres de Santé publique France.
Surtout, assure Richard Ramos, la filière est prête, et les alternatives existent. "Quasiment tous les industriels ont une gamme de charcuterie sans sels nitrités", explique l'élu, qui indique que près de "30 millions de tranches de jambon" sans sels nitrités ont déjà été produites, vendues et consommées. "Même dans la grande distribution, ça y est, tout le monde y est !"
Le député refuse de voir se développer une "double alimentation" avec les plus modestes qui mangeraient des produits cancérigènes et les plus aisés des produits sains. Selon lui, ne pas interdire les sels nitrités reviendrait à "faire prendre un risque aux Français."
Soulignant l'important poids des lobbies, Richard Ramos dénonce ainsi "l'intérêt" de certains industriels "à vouloir faire de la marge avec de la viande sans sels nitrités pour les riches et avoir un produit pour les pauvres où on fait du volume et moins de marge." Et l'élu prévient : seule la loi pourra faire la différence. "À un moment donné, il faut siffler la fin de la récréation. Si on n'impose pas, ils [les industriels] ne changeront pas. Le fric est souvent plus puissant que la préoccupation de la santé publique", résume Richard Ramos.
Enfin, les députés espèrent que leur proposition d'interdiction des sels nitrités dans la charcuterie d'ici 2025 se propagera au-delà des frontières, et sera reprise dans plusieurs États européens. "Il faut qu'on soit des précurseurs", plaide Michèle Crouzet, qui promet que si la France agit, alors les autres États membres de l'Union européenne "suivront." "C'est comme pour le nutriscore !" conclut la députée de l'Yonne. Mis en place à l'initiative du gouvernement français en 2016, ce dispositif d'étiquetage nutritionnel à cinq niveaux a ensuite été repris dans d'autres pays comme la Belgique, l'Espagne, l'Allemagne et les Pays-Bas.