Vie chère en Outre-mer : la proposition de loi des députés socialistes adopté en première lecture

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Outre-mer : Béatrice Bellay veut "construire un nouveau modèle économique"
Outre-mer : Béatrice Bellay veut "construire un nouveau modèle économique". LCP
par Maxence Kagni, le Jeudi 23 janvier 2025 à 17:21, mis à jour le Jeudi 23 janvier 2025 à 17:30

Une proposition de loi visant à lutter contre la vie chère dans les Outre-mer, présentée par le groupe Socialistes, a été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale, ce jeudi 23 janvier, malgré les réticences du gouvernement au sujet de certaines mesures. Le texte va maintenant devoir être examiné au Sénat, afin de poursuivre son parcours législatif.

"Marges arrières", prix "artificiellement" gonflés, "concentration économique"... L'Assemblée nationale a adopté, ce jeudi, une proposition de loi des députés socialistes visant à lutter contre la vie chère en Outre-mer (180 pour, 1 contre). Le texte, présenté dans le cadre de la journée d'initiative parlementaire du groupe présidé par Boris Vallaud, prévoit notamment d'encadrer les marges de façon expérimentale et de limiter les prix sur une liste de produits de grande consommation.

Adoptée à l'unanimité - le seul député ayant voté contre s'étant trompé de bouton lors du vote électronique - , la proposition de loi visant à "prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution" a bénéficié d'un vote favorable de la plupart des groupes politiques, de La France insoumise au Rassemblement national, tandis que l'abstention a été choisie par ceux qui soutiennent le gouvernement, à savoir Ensemble pour la République, la Droite républicaine, Les Démocrates et Horizons. Ces groupes estiment que plusieurs mesures entravent trop fortement la "libre concurrence", mais n'ont pas souhaité s'opposer à un texte qui contient de "réelles avancées".

"Vision coloniale"

Lors des débats, le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, a dénoncé les écarts prix entre les territoires ultramarins et la France hexagonale qui "dépassent parfois 40% pour certaines catégories de produits". L'ancien Premier ministre a également mis en cause les "marges excessives" de "grands groupes" qui peuvent "jouer un rôle d'étouffement de l'économie" locale.

"Nous disons stop à cette complaisance envers les rentes économiques qui asphyxient nos territoires", a quant à elle expliqué la rapporteure Béatrice Bellay (Socialistes), qui affirme vouloir mettre fin à une "vision coloniale". "La vie chère découle directement de l'histoire coloniale de la France qui a favorisé une logique d'économie de comptoirs dont les dynamiques perdurent encore trop souvent", a abondé le député de la Réunion Philippe Naillet (Socialistes), tout comme l'élu de Guadeloupe Max Mathiasin (LIOT).

Prix modérés

La proposition de loi élargit et renforce le bouclier qualité prix (BQP) mis en œuvre dans les territoires ultramarins. Instauré par une loi de novembre 2012, ce bouclier est négocié chaque année entre l’Etat et les acteurs économiques locaux, sur la base d'un avis publié par l'Observatoire des prix, des marges et des revenus. Il permet de garantir l'accès à une liste de produits de consommation courante de qualité à prix modérés.

Le texte prévoit ainsi que les prix négociés devront être "équivalents aux prix moyens annuels de vente en France hexagonale". Les produits de "grande consommation", comme les aliments pour animaux, les produits ménagers, les produits d'hygiène corporelle seront intégrés au dispositif, tout comme ceux relatifs à la communication (téléphonie, informatique), à l'électroménager et aux pièces détachées automobiles. 

Cet élargissement du BQP a été critiqué par le gouvernement, Manuel Valls estimant que cette "mesure de blocage des prix" a une "constitutionnalité fragile". En mettant de côté les "coûts liés à l'importation", la mesure porterait une "atteinte disproportionnée à la liberté de commerce et d'entreprise". La députée Maud Petit (Les Démocrates) a ajouté que l'élargissement du bouclier pourrait entraîner un "retrait des distributeurs du dispositif".

Encadrement des marges

La proposition de loi interdit, par ailleurs, aux groupes de distribution de détenir une part de marché supérieure à 25% dans un territoire ultramarin. Là encore, Manuel Valls a mis en garde contre une "atteinte disproportionnée au principe de la liberté du commerce et de la libre entreprise". Le dispositif pourrait même être "contreproductif" en "privant les consommateurs des gains d'efficience d'une entreprise". La mesure a également été jugée "anti-économique au possible" par le député de Nouvelle-Calédonie Nicolas Metzdorf (Ensemble pour la République).

En outre, l'Assemblée a voté en faveur d'un moratoire sur l'ouverture de nouvelles surfaces commerciales supérieures à 1000 m2 pour les groupes ou les sociétés "détenant déjà plus de 15% de part de marché". 

Autre mesure : le texte crée une expérimentation d'une durée de cinq ans permettant d'encadrer les marges réalisées par le secteur de la grande distribution dans les Outre-mer. Le "représentant de l’Etat territorialement compétent" fixera un "coefficient multiplicateur maximum entre le prix d'achat effectif et le prix de revente du produit" pour chaque catégorie de denrées alimentaires.

"Quand vous paierez 48 rouleaux de papier toilette à 37 euros, vous comprendrez qu'il faut peut-être réglementer les coefficients multiplicateurs que font un certain nombre de distributeurs", a justifié la députée de Martinique Béatrice Bellay (Socialistes) lors de sa réponse aux députés mettant en cause le dispositif.

Le texte prévoit aussi de renforcer les sanctions en cas de non-publication de leurs comptes par les sociétés. Le tribunal de commerce pourra notamment prononcer le remboursement d'aides publiques versées à une entreprise qui ne procéderait pas au dépôt des comptes annuels. Les entreprises contrevenantes pourront faire l'objet d'une mesure de publicité à leurs frais pendant une durée de six mois (principe du "name and shame").

A l'issue des débats, la rapporteure Béatrice Bellay a remercié ses collègues et salué un texte qui fait figure de "nouveau pas vers plus de justice sociale pour nos pays des océans". Lors des explications de vote, la députée du Val-de-Marne Maud Petit (Les Démocrates) a justifié l'abstention de son groupe en critiquant un texte qui constitue, selon elle, une "sorte de mensonge" : "L'objectif d'atteindre pleinement, exactement, le prix en Hexagone est pour nous irréalisable, inapplicable", a-t-elle déploré, estimant qu'il ne s'agit que d'un "affichage".

Le texte va maintenant devoir être examiné au Sénat, afin de poursuivre son parcours législatif.