Violences sexuelles : l'Assemblée sanctuarise un seuil de "non-consentement" à 15 ans

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Jacopo Landi / Hans Lucas - AFP
par Jason Wiels, le Lundi 15 mars 2021 à 20:56, mis à jour le Mardi 16 mars 2021 à 16:45

Les députés ont voté une proposition de loi qui évacue la question du consentement sexuel chez les mineurs de 15 ans. Les relations entre jeunes mineurs et adultes seront toutes passibles de sanctions pénales, sauf si l'écart d'âge est de moins de cinq ans. Ce seuil de non-consentement est porté à 18 ans en cas d'inceste.

"En-dessous de 15 ans, c'est non." La formule a été reprise en chœur, mardi soir, par les députés de tous les groupes politiques, lors du vote unanime d'une proposition de loi sénatoriale visant à "protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste".

Après une large réécriture du texte en commission à l'initiative du gouvernement, l'Assemblée nationale a gravé dans le marbre de la loi les principales innovations juridiques promises par l'exécutif en début d'année, dans un contexte de fort retentissement dans l'opinion d'affaires d'abus ou viols sur des mineurs.

En prélude aux débats, Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance, a d'ailleurs rappelé le cruel coût des "traumatismes de l'enfance", pour les victimes comme pour la société :

Un double seuil d'âge sur le consentement

Demandé de longue date par les acteurs de la protection de l'enfance, un seuil d'âge a été instauré en-dessous duquel le consentement de la victime ne sera plus jamais recherché devant les tribunaux.

Le Sénat l'avait fixé à 13 ans, soit l'âge de la responsabilité pénale. Le gouvernement et les députés ont retenu 15 ans : "Les adultes doivent savoir qu'ils commettent un crime puni de 20 ans ou un délit puni de 10 ans lorsqu'ils s'en prennent à un enfant de moins de 15 ans", a tranché Éric Dupond-Moretti, saluant "une avancée majeure unanimement soutenue".

L'article 1er crée deux nouvelles infractions pour "agression sexuelle" et "viol" sur mineurs (en cas de pénétration ou d'actes bucco-génitaux) dans le code pénal. Ces infractions seront respectivement punies de 10 et 20 ans de prison sans avoir besoin de prouver qu'il y a eu "violence, contrainte, menace ou surprise", soit la qualification ordinaire des violences sexuelles dans le droit actuel.

"Un enfant n'est jamais consentant à de tels actes", a résumé Isabelle Santiago (PS), auteure d'une proposition de loi similaire débattue et votée en février dans l'hémicycle. Parfois difficile à établir, la recherche du consentement pouvait pousser les juges à requalifier en simple atteinte sexuelle (un délit puni de 7 ans de prison) des affaires au départ jugées pour viol, ce qui ne sera désormais plus possible.

La proposition de loi fait aussi de l'inceste une infraction spécifique, alors qu'il n'est aujourd'hui qu'une circonstance aggravante en cas de viol ou d’agression sexuelle. Le seuil de 18 ans a été retenu, ce qui pourra conduire à la pénalisation de tous les actes commis par un "ascendant" du mineur. Les beaux-parents "ayant une autorité de fait" sur la victime sont aussi concernés. Un ajout qui n'est pas sans faire écho au livre La familia grande (éd. Seuil), paru en janvier, dans lequel Camille Kouchner accuse son beau-père, le politologue Olivier Duhamel, d'inceste sur son frère jumeau.

Plusieurs amendements ont proposé d'ajouter à la liste des auteurs les cousins germains et les enfants des beaux-parents. Ils ont été rejetés à la demande d'Adrien Taquet, qui a invité les députés à attendre les conclusions de la commission indépendante sur l'inceste, prévues pour le 20 mai 2021.

La clause "Roméo et Juliette" en débat

Si la future loi interdira de fait les relations sexuelles entre jeunes mineurs et adultes, le gouvernement a toutefois souhaité ajouter une exception à travers un écart d'âge minimum de cinq ans. Baptisée "Roméo et Juliette", cette clause permet de ne pas délictualiser ou criminaliser les "amours adolescentes". Les relations sexuelles entre mineurs de 13/14 ans et majeurs de 18/19 ans resteront donc libres.

Je ne veux pas renvoyer devant les Assises un gamin de 18 ans et un jour parce qu'il a une relation consentie avec une gamine de 14 ans et demi. Éric dupont-Moretti

Antoine Savignat (LR), Emmanuelle Ménard (RN) ou Aurore Bergé (LaREM) ont demandé la suppression de cette clause au nom de la clarté de la loi, qui ne devraient pas souffrir selon eux de cette exception. Quelques élus MoDem ont demandé l'abaissement à 4 ans de l'écart d'âge, en vain. 

"Sans cette clause, il n'y a plus de texte (...) c'est un enjeu de proportionnalité", a fait valoir la rapporteure Alexandra Louis (LaREM), faisant peser la menace d'une censure du texte par le Conseil constitutionnel. Enfin, et le ministre et la rapporteure ont bien souligné que ces jeunes majeurs pourront toujours être condamnés pour viol ou agression sexuelle en cas de rapport sexuel obtenu sous la contrainte.

Autre avancée significative : les députés ont aussi confirmé le principe de "prescription glissante" pour les infractions sexuelles sur mineurs. Le délai de prescription est actuellement de trente ans pour un viol à partir de la majorité de la victime (soit jusqu'à ses 48 ans). Il pourra être prolongé si la même personne viole par la suite un autre enfant "jusqu'à la date de prescription de la nouvelle infraction".

La prostitution des mineurs dans le viseur

Les députés ont aussi renforcé les peines en matière de prostitution des mineurs. Un amendement d'Alexandra Louis a aligné les sanctions pour punir les clients et les proxénètes sur le nouveau crime de viol sur mineur, soit 20 ans de prison (contre 7 et 15 ans actuellement). "C'est une avancée majeure pour éradiquer la prostitution des mineurs", a salué Adrien Taquet.

La proposition de loi va désormais faire l'objet d'une deuxième lecture au Sénat pour une adoption définitive espérée au printemps.