A l’Assemblée, une nomination qui met le feu aux poudres

Actualité
par Jason WielsMaxence Kagni, le Mercredi 28 juin 2017 à 17:23, mis à jour le Jeudi 23 juin 2022 à 18:19

L’élection surprise d’un député Les Constructifs à un poste clé de l’Assemblée - la questure, qui supervise le contrôle budgétaire -, a suscité mercredi l’indignation des élus de l'opposition. "La majorité a choisi son opposition !", dénoncent Les Républicains. Récit d'une longue nuit de psychodrames, à l'issue de laquelle l'Assemblée a élu six vice-présidents, tous issus de la majorité.

 

C'est seulement la deuxième séance de la nouvelle législature et, déjà, le débat s'enflamme. "On vient de rompre avec plus de cinquante ans de pratique parlementaire. C'est la majorité qui choisit son opposition, ça n'est jamais arrivé !", s'est indigné Christian Jacob mercredi dans l'hémicycle. En cause ? La répartition des trois postes de questeurs qui superviseront les finances de l'Assemblée nationale.

Trois questeurs de la "majorité" ?

Comme le veut la tradition, les postes de questeurs, au nombre de trois, sont d'ordinaire répartis entre deux membres de la majorité et un de l'opposition. Florian Bachelier et Laurianne Rossi étaient les candidats de La République en marche, ainsi que Éric Ciotti pour Les Républicains.

Mais un grain de sable s'est glissé dans la machine parlementaire, puisque Thierry Solère, cofondateur du groupe de centre-droit Les Constructifs : républicains, UDI et indépendants (LC), un groupe parlementaire vu avec bienveillance par l'exécutif, s'est également présenté pour le poste dévolu à l'opposition.

Au lieu de procéder à une simple nomination, les députés ont donc dû voter pour départager les candidats. Et le résultat a été sans appel : 378 voix pour les deux députés REM, qui l'emportent sans surprise et 306 voix pour Thierry Solère, élu lui aussi. Eric Ciotti, battu, ne recueille que 146 suffrages. Un véritable camouflet pour la droite parlementaire qui compte le plus grand nombre de députés de l'opposition !

"Il n'y a plus de contrôle budgétaire"

Dès l'annonce des résultats, Christian Jacob, le patron des députés LR, s'est vivement indigné de voir remise en cause une pratique en place depuis 1973 :

En choisissant trois questeurs totalement acquis au gouvernement, on se retrouve dans une situation extrêmement grave, il n'y a plus de contrôle budgétaire dans cette maison !Christian Jacob, président du groupe LR, le 28 juin

Dans la foulée, Éric Ciotti a lui dénoncé sur son site un "hold-up institutionnel qui empêche l'opposition d'exercer son rôle de contre-pouvoir".

Une polémique vaine, selon Franck Riester, l'heureux coprésident du groupe Les Constructifs, qui est monté au créneau pour défendre la légitimité de son candidat :

Le groupe des Constructifs se situe dans l'opposition. La candidature du groupe Les Constructifs a vocation, au contraire, à faire en sorte que les droits de l'opposition soient respectés. Cette questure sera celle de tous les groupes de l'opposition. Nous voulons que les pratiques changent !Franck Riester, coprésident du groupe LC, le 28 juin

"Toutes nos règles aujourd'hui tombent !", déplore Christian Jacob qui demande - et obtient - une réunion immédiate de la conférence des présidents. À suivre...
 

  • Mise à jour à 19h50 : Les LR refusent de siéger au bureau de l'Assemblée "tant que les droits de l'opposition ne sont pas rétablis"

La situation semble bloquée. A la reprise des débats, Christian Jacob, le président des députés Les Républicains, affirme que son groupe a "décidé à l'unanimité de ne pas cautionner" ce qu'il considère comme un "déni de démocratie" et un "irrespect du pluralisme démocratique." Les députés LR ne siégeront pas au bureau de l'Assemblée "tant que les droits de l'opposition ne sont pas rétablis".

Le président du groupe La République en marche Richard Ferrand lui répond, intransigeant : "Il ne serait pas de bonne hygiène démocratique que notre Assemblée soit paralysée parce qu'un certain nombre d'entre nous ne souhaiterait pas prendre part aux travaux du bureau."

 

Olivier Faure (Nouvelle gauche) propose quant à lui de reprendre les débats jeudi matin au calme, et met en garde contre un "précédent" qui pourrait constituer "une entame dans les droits des oppositions".

Le président du groupe France insoumise Jean-Luc Mélenchon prend ensuite la parole et demande que Mathilde Panot, la députée du Val-de-Marne, soit élue au bureau de l'Assemblée nationale.

La séance est suspendue, une nouvelle fois... Il est 19h45.

 

  • Mise à jour à 23h30 : il faut procéder à l'élection des vice-présidents, REM et Modem briguent les 6 postes

A 22h35, la séance reprend. Nouveau coup de théâtre. Puisque les Républicains refusent de siéger au bureau de l'Assemblée nationale - et retirent leurs candidats à la vice-présidence -, François de Rugy annonce qu'il faut désormais procéder à l'élection des vice-présidents.

Surprise : le groupe La République en marche présente désormais cinq candidats tandis que son allié du Modem en présente un. La majorité parlementaire tente donc d'obtenir tous les postes de vice-président... au moins temporairement.

Une man?uvre qui provoque la colère du député Les Constructifs Yves Jégo, qui menace de déposer un recours. Dans la confusion générale, Jean Lassalle en profite pour se présenter à la vice-présidence de l'Assemblée.

Les groupes d'opposition font ensuite part de leur mécontentement, par le biais d'Olivier Faure (Nouvelle gauche) et Jean-Luc Mélenchon (France insoumise).

Plusieurs fois mis en cause, le président du groupe La République en marche Richard Ferrand prend la parole, à nouveau inflexible : il souhaite que son groupe, aidé du Modem, s'empare temporairement de l'ensemble des postes de vice-président. "Dès que Les Républicains voudront reprendre leurs responsabilités, les candidats élus céderont la place", promet néanmoins l'ancien ministre.

La suite du débat fait place à une violente passe d'armes entre Christian Jacob, le président du groupe Les Républicains, et le président du groupe Les Constructifs, Franck Riester.

Le premier demande que "les droits de l'opposition soient respectés" et rappelle que "M. Thierry Solère a été élu en faisant campagne pour que M. Macron ait une majorité".

 

Le deuxième interpelle directement Christian Jacob, qui était sous l'ancienne législature son président de groupe : "Où est le déni de démocratie, M. Jacob ? De quel droit M. Jacob êtes-vous le seul à pouvoir décider de l'appartenance à l'opposition ou à la majorité d'un groupe politique ?"

 

Les échanges se terminent pas la grosse colère du président du groupe GDR André Chassaigne :

François de Rugy annonce la tenue de l'élection des vice-présidents. Il est 22h52. Le scrutin est ouvert. La séance reprend à minuit.

 

  • Mise à jour à 00h47 : les six vice-présidents sont tous issus de la majorité

A 00h30, François de Rugy annonce les résultats du scrutin. Carole Bureau-Bonnard (REM), Hugues Renson (REM), Danielle Brulebois (REM), Sacha Houlié (REM), Cendra Motin (REM) et Sylvain Waserman (MoDem) deviennent vice-président de l'Assemblée nationale. Lors de la précédente législature, deux postes de vice-présidents revenaient à l'opposition.

Une situation qui pourrait changer, à en croire Richard Ferrand, si Les Républicains acceptaient de revenir siéger au bureau de l'Assemblée nationale.