Agriculture : en commission, les députés ouvrent la voie à la réintroduction "dérogatoire" d'un néonicotinoïde

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Moissonneuse agriculture PxHere 10/02/2025
Une exploitation agricole (image d'illustration / © PxHere)
par Raphaël Marchal, le Vendredi 16 mai 2025 à 16:00, mis à jour le Samedi 24 mai 2025 à 15:27

Les députés de la commission des affaires économiques ont approuvé, ce vendredi 16 mai, la proposition de loi qui ouvre la voie à l'utilisation à titre dérogatoire de l'acétamipride, un insecticide de la famille des néonicotinoïdes. Cette mesure controversée figure dans la proposition de loi visant à "lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur". Le texte sera débattu à partir du 26 mai dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. 

Les agriculteurs français vont-ils pouvoir de nouveau utiliser un insecticide de la famille des néonicotinoïdes ? Les députés de la commission des affaires économiques ont adopté, ce vendredi 16 mai, la proposition de loi visant à "lever les contraintes à l’exercice
du métier d’agriculteur
". Approuvant la mesure la plus controversée du texte, qui autorise la réintroduction, à titre dérogatoire, de l'acétamipride.

Du fait des risques de toxicité pour les pollinisateurs, cet insecticide est interdit en France depuis 2018, mais encore autorisé ailleurs en Europe. Son utilisation avait déjà été prolongée une première fois, jusqu'en 2020, pour certaines cultures via une dérogation. La proposition de loi, initialement présentée au Sénat par Laurent Duplomb (Les Républicains) et Franck Menonville (Union centriste) entend lever certaines mesures administratives et environnementales, pour répondre aux demandes de filières en souffrance.

Concrètement, la dérogation serait accordée par décret, pris après avis du conseil de surveillance dédié, pour une durée de trois ans. Les produits contenant de l'acétamipride devront, en outre, obtenir une autorisation de mise sur le marché, délivrée par l'Agence de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). La dérogation concernerait également deux autres substances apparentées aux néonicotinoïdes : le sulfoxaflore et le flupyradifurone.

 

Cette dérogation s'appliquerait à des cultures pour lesquelles il n'existe pas, à l'heure actuelle, de produit de substitution suffisamment efficace pour lutter contre les insectes ravageurs. Dans les débats, les filières noisettes, betteraves et kiwis, ont été évoquées comme potentielles candidates.

Une mesure très clivante

"Si l'acétamipride reste autorisé au niveau européen jusqu'en 2033, c'est d'ailleurs pour des raisons identifiées par les scientifiques, qui la jugent moins risquée, moins rémanente avec une durée de vie dans l'air beaucoup plus courte que les autres", a défendu le rapporteur du texte, Julien Dive (Droite républicaine), qui a très souvent insisté sur le caractère strict des conditions de dérogation.

Les députés n'ont adopté la mesure qu'au terme de longues heures de débats, clivés et parfois intenses, qui ont montré l'existence de fractures irréconciliables sur le sujet. Débats d'autant plus engagés que certains députés qui y ont participé, venant de différentes tendances, sont eux-mêmes issus du secteur agricole, comme Mathilde Hignet (La France insoumise), Eric Martineau (Les Démocrates), ou encore Benoît Biteau (Ecologiste et social).

Les néonicotinoïdes ne tuent pas seulement les pollisinateurs via les cultures mellifères. Le poison va dans l'eau, dans l'air, dans les sols, dans les plantes. Les abeilles, les vers de terre, les humains, tout le monde est contaminé. Delphine Batho, députée Ecologiste et social

Guillaume Lepers (Droite républicaine) a défendu une "avancée indispensable pour sauver nos filières françaises", critiquant la "concurrence déloyale insupportable" qui défavorise les agriculteurs français au sein même de l'Union européenne. L'interdiction des néonicotinoïdes est une "mesure idéologique", a tancé Hélène Laporte (Rassemblement national). "L'acétamipride est 3 000 à 4 000 fois moins toxique que les autres molécules. Ce n'est pas un tueur d'abeilles", a assuré Nicolas Meizonnet (Rassemblement national).

De l'autre côté de l'échiquier politique, les groupes de gauche ont ferraillé contre la mesure, qui constitue pour eux un repoussoir de l'ensemble de la proposition de loi. "Une ligne rouge", a assuré Dominique Potier (Socialistes). "Cet article 2 est une attaque frontale contre la science, la santé et la souveraineté", s'est insurgée Delphine Batho (Ecologiste et social), particulièrement active en commission. "Nous refusons d’être complices d’un système qui bousille la vie des agriculteurs" a pour sa part prévenu Mathilde Hignet (La France insoumise). "Il ne faut pas nous prendre pour des lapins. Je ne peux pas croire qu'on fait tout ce texte là pour les 8 000 hectares de noisettes en France. La noisette, c'est le cheval de Troie", a vitupéré Pierrick Courbon (Socialistes).

En outre, en commission des affaires économiques, les députés ont majoritairement voté en faveur de la levée de la séparation entre les activités de conseil et de vente des produits phytosanitaires. Ils ont, en revanche, supprimé le volet dédié à l'épandage par drone de produits phytosanitaires, réputé déjà satisfait par la loi Fugit d'avril 2025, et se sont opposés à encadrer plus strictement les missions de l'Anses, une mesure centrale du texte demandée par la droite. Les élus de la commission ont, par ailleurs, approuvé un moratoire de dix ans sur le développement des fermes-usines de saumons.

C'est une autre commission, celle du développement durable et de l'aménagement du territoire, qui était saisie sur les mesures relatives aux stockages d'eau et aux zones humides qui figurent également dans le texte venue du Sénat. A rebours de l'esprit des positions prises en commission des affaires économiques, la commission du développement durable a notamment voté un moratoire de dix ans sur le déploiement de méga-bassines. Elle s'était, en miroir inversé, opposée à la réintroduction de néonicotinoïdes, mais n'était saisie que pour avis sur cette partie du texte. C'est désormais dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale que ces débats seront tranchés : la proposition de loi y sera examinée dans son ensemble à compter du lundi 26 mai.

La FNSEA appelle à de nouvelles mobilisations

Pourtant largement servie par le texte, selon les députés de gauche, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), principal syndicat agricole, a appelé à de nouvelles mobilisations par la voix de son président, à partir du 26 mai. Invité de BFMTV / RMC ce mercredi 15 mai, Arnaud Rousseau a fait part d'un "sentiment de trahison" face à ce qu'il identifie comme un "détricotage" du texte voté au Sénat.

Lors des débats, plusieurs élus ont dénoncé les "pressions" exercées par certains acteurs du secteur agricole. "Monsieur Rousseau, ressaisissez-vous !", a notamment lancé Richard Ramos (Les Démocrates), qui a dénoncé des actions "inadmissibles" consistant à murer les permanences de députés, ou à se rendre à leur domicile.