Après l'échec du gouvernement Barnier, le Premier ministre François Bayrou et son équipe s'attellent à l'élaboration d'une nouvelle mouture du projet de loi de finances 2025 en consultant les forces politiques représentées au Parlement. Objectif : parvenir à un compromis pour éviter la censure et ainsi réussir à doter la France d'un budget.
Le gouvernement est désormais au pied de "l'Himalaya de difficultés", notamment en matière "budgétaire", évoqué par François Bayrou lors de son arrivée à Matignon, le 13 décembre. Une métaphore qui illustre bien l'équation complexe que le gouvernement devra résoudre pour construire et faire voter le projet de loi de finances 2025, alors que le ministre de l'Economie et des Finances (PLF), Eric Lombard, vise 50 milliards d'euros d'effort budgétaire, afin de commencer à réduire le déficit public. Pour doter la France d'un budget, le gouvernement Bayrou devra éviter la censure, fatale à Michel Barnier et à son équipe, alors que comme son prédécesseur, le nouveau locataire de Matignon ne dispose pas d'une majorité à l'Assemblée nationale.
Conscient des embûches auxquelles il va devoir faire face, le gouvernement a entamé, lundi 6 janvier, un cycle de concertations avec les responsables des partis politiques représentés à l'Assemblée et au Sénat. Au premier jour de la semaine, le ministre de l'Economie et des Finances, Eric Lombard, ainsi que la ministre chargée des Comptes publics, Amélie de Montchalin, et le ministre en charge des Relations avec le Parlement, Patrick Mignola, ont reçu à Bercy les représentants du Mouvement démocrate, puis ceux du Parti socialiste. Mardi, il ont continué avec Horizons, le parti d'Edouard Philippe.
"Il est important que ce budget soit voté. Et pour cela, il faut dialoguer" a déclaré lundi, peu avant l'ouverture des discussions, Eric Lombard sur France Inter. "Ce sera un budget de compromis, ce ne sera ni celui de la droite, ni celui de la gauche, ni celui du centre" a, quant à elle, expliqué Amélie de Montchalin sur France 2.
Pour autant, pas question de se laisser enchaîner par les "lignes rouges" qui seraient avancées par les différents partis, notamment par le Rassemblement national. Une mécanique qui a mené le gouvernement Barnier à sa perte. "C'est une démarche qui coince tout le monde. Les lignes rouges définissent un triangle d'incompatibilité", a considéré le ministre de l'Economie. Et d'ajouter : "On va écouter, intégrer, on fera une synthèse, on la proposera aux partis. Et ils se détermineront."
A ce stade, l'objectif du gouvernement est de redémarrer le travail parlementaire à la mi-janvier, avec l'espoir de parvenir à faire adopter le budget "courant février". "On le doit aux Français, en responsabilité", a souligné la ministre chargée des Comptes publics. Pour des raisons pratiques et pour gagner du temps, le gouvernement Bayrou repartira de la copie de l'équipe Barnier, qui était en cours d'examen au Sénat au moment de la censure. Tout en lui apportant de substantielles modifications.
Pour 2025, le gouvernement envisage un déficit public qui se situerait entre 5% et 5,5% du PIB, après un déficit dépassant la barre des 6% en 2024. Pour y parvenir, le nouveau patron de Bercy, Eric Lombard, table sur un effort budgétaire d'environ 50 milliards d'euros, moins donc que les 60 milliards affichés par le gouvernement précédent. un effort qui reposera "essentiellement" sur des économies, a-t-il précisé, affirmant qu'il n'y "aura pas de nouvelles hausses d'impôts" par rapport à celles déjà annoncées.
Le ministre de l'Economie a notamment indiqué qu'il souhaitait maintenir le principe d'une surtaxe sur les bénéfices des grandes entreprises. Du fait de la censure et l'année 2025 ayant commencé, le mécanisme prévu par le PLF initial ne pourra cependant pas être directement reconduit. De manière similaire, le gouvernement souhaite conserver la taxe sur les rachats d'action et celle sur les billets d'avion. En outre, Eric Lombard n'a pas écarté un relèvement de la "flat tax", le prélèvement forfaitaire unique, qui s'applique aux produits financiers.
Comme la surtaxe des bénéfices des grandes entreprises, la contribution exceptionnelle des hauts revenus devra subir un ajustement. Les services de Bercy travaillent actuellement à un mécanisme d'adaptation de cette mesure de "justice fiscale". Plus largement, le locataire de Bercy a appelé à lutter contre "les effets de l'optimisation fiscale", tandis que sa collègue Amélie de Montchalin s'est engagée à présenter dans les prochaines semaines un plan "très concret et très ambitieux" de lutte contre la "suroptimisation fiscale" et la fraude. "Il faut changer les règles pour que tout le monde paye sa juste part", a-t-elle soutenu, dénonçant les constructions fiscales qui permettent aux plus fortunés d'échapper à l'impôt.
Au fil de la semaine, Eric Lombard, Amélie de Montchalin et Patrick Mignola, reçoivent les émissaires des partis politiques pour tenter de trouver un compromis sur le budget de l'Etat. En parallèle, des rencontres similaires ont lieu avec la ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et de la Famille, Catherine Vautrin, et encore la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, sur le budget de la Sécurité sociale.
Se revendiquant de gauche, le ministre de l'Economie a fait part de son optimisme concernant le dialogue avec le Parti socialiste, Les Ecologistes et le Parti communiste. "Il y a plus de perspective d'un dialogue fécond avec les partis de gauche qu'avec le Rassemblement national", a estimé Eric Lombard, mettant en avant des "convergences possibles", notamment en matière de "justice fiscale".
En sortant de Bercy lundi, les responsables du Parti socialiste se sont montrés prudents. Sans "concessions remarquables" au cours des discussion budgétaires, les députés socialistes n'hésiteront pas à "prendre à nouveau leurs responsabilités, y compris par la censure", a fait savoir le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, entouré du président des députés socialistes, Boris Vallaud, et du président des sénateurs socialistes, Patrick Kanner. "Nous souhaitons qu'il y ait des avancées, un dialogue fructueux", a expliqué Olivier Faure. Avant de mettre en garde contre une construction "unilatérale" du budget. Et d'insister : "Nous voulons une négociation" réclamant ainsi, en substance, un véritable compromis pour envisager de laisser passer le budget.
Premiers à être reçus à Bercy un peu plus tôt dans la journée, les représentants du MoDem, le parti de François Bayrou, ont logiquement soutenu la volonté gouvernementale d'aboutir à un accord qui permettrait l'adoption du budget, tendant eux aussi la main au Parti socialiste en évoquant les thèmes de la "justice fiscale" et "sociale". "La volonté, ce n'est pas de faire du matraquage fiscal", mais "de faire en sorte que là où il y a de la suroptimisation, là où il y a des effets d'aubaine, on puisse réajuster les dispositifs", a détaillé le président du groupe Les Démocrates de l'Assemblée nationale, Marc Fesneau. "On a besoin d'avoir avec les socialistes, et avec d'autres, des points d'atterrissage sur la façon dont on peut trouver une voie budgétaire", a-t-il poursuivi appelant à la "responsabilité collective".
Mardi 7 janvier, les représentants d'Horizons ont été à leur tour consultés. "Nous sommes dans une logique parfaitement loyale et parfaitement constructive. Nous voulons aider le gouvernement à adopter un budget intelligent, qui permette de remettre les finances publiques en bon ordre", a réagi Edouard Philippe à l'issue de l'entrevue avec les ministres. "Nous sommes extrêmement attachés à limiter la pression fiscale et à réduire la dépense partout où c'est possible", a aussi exposé l'ancien Premier ministre. Avant de défendre la politique de l'offre mise en œuvre depuis 2017, "qui a permis à la fois d'accélérer la réindustrialisation et de rendre le pays attractif ".
Mercredi et jeudi, les consultations se poursuivront avec Les Ecologistes et le Parti communiste, ainsi que Les Républicains. De son côté, La France insoumise a choisi de décliner l'invitation, mais le député Eric Coquerel (LFI) se rendra néanmoins à Bercy en tant que président de la commission des finances. Le Rassemblement national étant, quant à lui, attendu vendredi. La déclaration de politique générale du Premier ministre, François Bayrou, prévue à l'Assemblée nationale mardi 14 janvier, permettra de tirer les premiers enseignements de ce cycle de consultations.