Dans leur rapport concluant les travaux de la mission d'information visant à "évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants", Antoine Léaument (LFI) et Ludovic Mendes (apparenté EPR) proposent de légaliser la consommation récréative de cannabis dans un objectif de santé publique et de lutte contre les réseaux criminels qui tiennent aujourd'hui le trafic de drogue.
Selon eux, le "tout répressif" a échoué. Antoine Léaument (La France insoumise) et Ludovic Mendes (apparenté Ensemble pour la République) proposent de légaliser la consommation récréative de cannabis. Les deux députés rendent, ce lundi 17 février, les conclusions de la mission d'information visant à "évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants".
Dans leur rapport de plus de 300 pages, fruit de dix-sept mois de travail, Antoine Léaument et Ludovic Mendes formulent 63 recommandations et dressent un constat sans appel : "Le trafic de stupéfiants est devenu un phénomène criminel majeur dans notre pays." Les parlementaires mettent en avant le rôle des "organisations criminelles qui tiennent les réseaux du trafic", "défient l’ordre social" et "mettent à l’épreuve la robustesse de nos institutions comme la capacité des politiques publiques à y faire face".
Antoine Léaument et Ludovic Mendes interrogent "la stratégie répressive" mise en œuvre par les pouvoirs publics pour lutter contre ce phénomène : "Les décennies de mise en œuvre de cette politique publique n’ont pas permis d’endiguer le trafic de stupéfiants. Pire, il ne cesse de s’accentuer." Les deux députés ajoutent que la part des usagers annuels reste stable ces dix dernières années (entre 10,5 % et 11 % de la population).
Face à cet échec, Antoine Léaument et Ludovic Mendes rappellent que le trafic de stupéfiants "repose sur une logique économique basique fondée sur les lois du marché capitaliste" : maîtrise des moyens de production, contrôle du transport, organisation de la vente... C'est cette logique qu'entendent casser les deux rapporteurs en proposant "d'inventer un modèle français de régulation des stupéfiants" en légalisant l'usage, mais aussi la détention de cannabis à des fins personnelles.
Concrètement, cette légalisation reviendrait à fixer un seuil légal de détention de cannabis, qui pourrait être de "10 grammes d'herbe de cannabis" (proposition de Ludovic Mendes), ou de "25 grammes" (proposition d'Antoine Léaument) comme en Allemagne. Les deux députés s'accordent, en outre, sur l'idée de fixer à quatre plants annuels le seuil maximal pour la culture domestique de cannabis.
Prendre acte de l’échec du tout répressif et des avancées scientifiques sur la nocivité des stupéfiants. Extrait du rapport
Cela permettrait, selon le rapport, "d'assécher" le marché illégal, de "déstabiliser l’économie des trafics", mais aussi de "capter le maximum de ressources souterraines, qui financent actuellement le crime organisé, au profit de la puissance publique". Cette démarche permettrait aussi, selon les élus, de "réduire les risques" pour les consommateurs en contrôlant notamment "la qualité" des produits consommés.
Pour appuyer leur démarche, les deux députés prennent notamment pour exemple le Portugal, qui a été "le premier pays au monde à mettre en œuvre en 2001 une réforme pénale visant à dépénaliser toutes les drogues". Antoine Léaument et Ludovic Mendes écrivent que "le bilan sanitaire de la réforme apparaît globalement positif" car "elle a permis de réduire significativement la prévalence des consommations problématiques dans la population".
Pour mener à bien cette réforme, les rapporteurs ont cependant deux visions différentes. L'insoumis Antoine Léaument est favorable à une légalisation "confiée à une entreprise publique détenant le monopole de la distribution et la vente du cannabis avec, au sein de ses succursales, une offre large et concurrentielle". Tandis que le député de la coalition présidentielle Ludovic Mendes préfère un modèle "plus libéral confiant à des opérateurs privés séparés les activités de production, distribution et vente au détail, sous le contrôle étroit d’une agence nationale spécialisée".
La culture du cannabis serait, quant à elle, gérée par un "réseau d’exploitations agréées, distinctes de la filière du cannabis médical, qui auront vocation à constituer une filière française d’excellence". Ludovic Mendes se dit également favorable à l'ouverture de "clubs cannabiques" à but non lucratif, qui rassembleraient des cultivateurs.
Dans les deux cas, la création d'une autorité administrative indépendante "chargée de la régulation du cannabis", sur le modèle de l’actuelle Autorité nationale des Jeux (ex-Arjel), serait nécessaire. Cette Autorité de régulation du cannabis (ARCAN) pourrait être compétente pour :
Ludovic Mendes propose que le prix soit fixé librement par le marché, tandis qu'Antoine Léaument estime que cette compétence doit revenir aux pouvoirs publics. Les deux députés suggèrent toutefois de "prévoir, dans un premier temps, un prix inférieur à 5 euros le gramme, pour concurrencer efficacement le marché illégal" (environ 10 euros actuellement, selon le rapport).
Dans leur rapport, Antoine Léaument et Ludovic Mendes proposent aussi de dépénaliser l'usage et la détention de cocaïne, ecstasy/MDMA, champignons hallucinogènes, héroïne et autres amphétamines, "afin de concentrer l’action répressive sur les trafiquants". Les deux parlementaires suggèrent de fixer "un seuil de 3 grammes autorisés pour l’ensemble de ces substances". Ludovic Mendes propose qu'entre 3 et 6 grammes de produits détenus soit appliquée une amende forfaitaire délictuelle.
La stratégie des deux députés, qui estiment qu'il faut changer de paradigme en matière de lutte contre les trafics de stupéfiants, est aux antipodes de celle retenue par Bruno Retailleau. Le ministre de l'Intérieur, qui souhaite faire de la lutte contre le narcobanditisme "un combat national", multiplie les annonces chocs : "Un joint a le goût du sang", a-t-il récemment déclaré. Le ministère de l'Intérieur a également lancé une campagne de publicité visant à "culpabiliser" les consommateurs de stupéfiants.
Une rhétorique qui n'est pas du tout celle retenue par Antoine Léaument et Ludovic Mendes, qui critiquent la "tentation de mettre en œuvre des méthodes exceptionnelles adaptées à la 'guerre' menée contre le narcotrafic". Les parlementaires regrettent l'approche retenue dernièrement qui revient, selon eux, à considérer de la même façon, c'est-à-dire "comme des criminels ou des complices du trafic", "le haut du spectre criminel", "les petites mains du trafic" et "les consommateurs".
multiplier les discours valorisant la prévention de l’entrée dans la consommation et le soin de la dépendance. Extrait du rapport
Dans leur rapport, les deux députés formulent donc la recommandation suivante : "Cesser de stigmatiser les consommateurs dans les discours des responsables politiques comme dans les supports de prévention publics." Antoine Léaument et Ludovic Mendes estiment, au contraire, qu'il est nécessaire de "multiplier les discours valorisant la prévention de l’entrée dans la consommation et le soin de la dépendance". Citant les "professionnels de la santé et du milieu de l'addictologie" auditionnés, les élus estiment que "jeter l’opprobre sur l’usager illicite de stupéfiants est inefficace pour guérir le consommateur souffrant d’addiction, comme pour faire prévenir et/ou diminuer les usages récréatifs non liés à des addictions".
Dans l'une de ses recommandations personnelles, Ludovic Mendes propose, en revanche, de créer dans les prisons "des quartiers spécialisés pour les narcotrafiquants du 'haut du spectre'", une mesure assez proche de celle formulée par Gérald Darmanin. Le ministre de la Justice souhaite en effet ouvrir le 31 juillet prochain la première prison de haute sécurité pour les narcotrafiquants.
Pour lutter contre les points de deal, le rapport propose de "réinvestir les quartiers dans lesquels sont implantés les points de deal en y développant une politique de la ville volontariste", ainsi que d'y "rétablir la police de proximité pour retisser un lien de confiance entre la police et la population".
Parmi les nombreuses autres mesures, Antoine Léaument et Ludovic Mendes souhaitent concevoir un plan "de formation et de sensibilisation au risque de corruption à destination de l’ensemble des acteurs privés et publics susceptibles d’être particulièrement exposés à ce risque". Les deux députés proposent aussi de réformer le régime des repentis, de généraliser le recours aux scanners dans les ports, ou encore de créer une plateforme de signalement centralisée permettant à toute personne d’alerter sur une situation suspecte au sein d’un port.
Légalisation du cannabis : une proposition qui ne fait pas l'unanimité
La proposition phare du rapport d'Antoine Léaument et Ludovic Mendes a été vivement critiquée par le ministre de la Justice, Gérald Darmanin. Le Garde des Sceaux a dénoncé ce lundi un "discours de défaite" et un "coup de poignard donné à la société". "Vous ne remplacerez pas le marché illégal par le marché légal", a estimé Gérald Darmanin, lors d'un déplacement à Condé-sur-Sarthe.
Lors de la présentation du rapport devant la commission des lois, ce lundi, plusieurs députés du Rassemblement national ont mis en cause le travail d'Antoine Léaument et Ludovic Mendes. "Vous vous couchez face aux criminels qui s'adapteront, qui continueront de prospérer et qui se diversifieront", a ainsi déclaré Michaël Taverne (RN). "Le tout répressif est nécessaire mais vous ne pouvez pas dire qu'il ne fonctionne pas car nous ne l'avons jamais essayé", a ajouté Yoann Gillet (RN).
Députée de la coalition présidentielle Naïma Moutchou (Horizons) a, pour sa part, dénoncé le "biais idéologique" du rapport : "Vous ne faites pas la démonstration rigoureuse que le tout répressif n'a pas fonctionné, la corrélation n'étant pas la causalité", a déclaré la vice-présidente de l'Assemblée. Et d'affirmer que la légalisation du cannabis au Canada et dans certains Etats américains a entraîné une "explosion" de la consommation chez les jeunes.
Naïma Moutchou répondait à l'intervention de son collègue, le député des Français résidant en Amérique du Nord, Roland Lescure (Ensemble pour la République). Celui-ci a vanté la légalisation menée au Québec, qui "s'est faite de manière très encadrée avec une mainmise de l'Etat sur tous les niveaux" du marché du cannabis : "La consommation a un peu diminué et la part de marché du crime organisé s'est effondrée."
Roger Vicot (Socialistes) a, quant à lui, expliqué n'être pas favorable "au fait de soumettre la question de la légalisation à référendum", tandis qu'Eric Martineau (Les Démocrates) s'est interrogé sur les conséquences juridiques d'une légalisation du cannabis en cas d'accident du travail ou d'accident de la route.