Dans la 3e circonscription du Val-de-Marne, le député sortant et rapporteur général du Budget à l'Assemblée, Laurent Saint-Martin, affronte le candidat de la Nouvelle union populaire écologique et sociale, Louis Boyard, au second tour des élections législatives. Au premier tour, le candidat de la coalition présidentielle (Ensemble) est arrivé en deuxième position derrière au jeune aspirant député de l'alliance de gauche (Nupes). Lors de la campagne d'entre-deux-tours, les deux adversaires ont notamment confronté leurs positions lors d'un débat engagé organisé à Villeneuve-Saint-Georges.
Ils se sont quittés comme ils sont arrivés : en total désaccord. Mercredi 15 juin, les deux candidats finalistes du second tour des élections législatives dans la 3ème circonscription du Val-de-Marne étaient invités à débattre à l'initiative de deux associations locales, à Villeneuve-Saint-Georges. La plus grande ville de ce bout du sud-est de la petite couronne parisienne, et un vrai petit échantillon de France, avec ses enfilades de pavillons que viennent régulièrement raser les avions de l'aéroport d'Orly, son école Anatole France, sa rue Ernest Renan et l'inévitable salle André Malraux.
C'est justement dans cette dernière qu'avait lieu le débat. D'un côté, Laurent Saint-Martin, 36 ans, candidat de la coalition présidentielle, rapporteur général du Budget à l'Assemblée, diplômé de l'Edhec, CV tiré au cordeau, chemise blanche sur pantalon noir, barbe de trois jours, plus sel que poivre, savamment entretenue. Face à lui, Louis Boyard, 21 ans, candidat de la Nouvelle union populaire écologique et sociale, ancien président de syndicat étudiant, habitué des manifestations, jean brut, baskets, barbichette blonde encore éparse. Deux candidats que tout oppose, dans circonscription qui compte à la fois des communes cossues et des cités populaires, fief communiste historique ayant longtemps fait partie de la "ceinture rouge". Au premier tour, avantage au benjamin, qui a obtenu 31,57 % des voix, contre 25,52 % pour son aîné.
Pendant près de 2 heures, et devant une centaine de personnes, les deux concurrents ont débattu autour du pouvoir d'achat, de la police, de la réforme des retraites, de l'éducation, du logement ou de la santé. Le premier défendant le bilan d'Emmanuel Macron et de la majorité présidentielle, le second défaisant ce même bilan de manière systématique. Un débat sans concession au cours duquel le fond l'a disputé à la joute oratoire, mettant aux prises Laurent Saint-Martin, ayant l'expérience d'un premier mandat au cours duquel il a occupé une fonction clé à l'Assemblée, et Louis Boyard, compensant sa relative inexpérience par une stratégie offensive destinée à pousser le député sortant dans ses retranchements.
Quand on regarde votre bilan, je me demande ce qui est le plus irréaliste : continuer avec vous, ou essayer avec nous. Louis Boyard, candidat Nupes dans la 3ème circonscription du Val-de-Marne
"Les gens ont besoin d'une rupture", attaque d'entrée le jeune candidat investi sur le contingent de La France insoumise au sein de la Nupes, pour lequel cette élection doit être l'occasion d'une "clarification démocratique". "5 ans de plus d'Emmanuel Macron, c'est stop. Beaucoup de personnes attendent un changement dans ce pays", affirme-t-il, évoquant la confiance, selon lui, brisée des Français après le premier quinquennat d'Emmanuel Macron , les "400 000 pauvres en plus" depuis 2017. En réponse, Laurent Saint-Martin fustige le discours "démagogique" de son opposant, le programme "d'apprentis sorciers" de la Nouvelle union populaire de Jean-Luc Mélenchon, et met en garde contre le danger que représenterait, d'après lui, une majorité de gauche à l'Assemblée : celui de voir s'installer pendant 5 ans un "blocage institutionnel".
Fatalement, comme sur la scène nationale, c'est sur les mesures économiques que les différences s'étirent le plus. "La supercherie du programme économique de LFI, c'est de laisser croire que le programme économique est applicable", lance Laurent Saint-Martin, qui n'a "toujours pas compris" comment la Nupes comptait financer son déficit supplémentaire de 320 milliards d'euros par an. Et de tancer le chef de file de La France insoumise : "J'en veux terriblement à Jean-Luc Mélenchon de laisser croire à ses électeurs qu'on peut appliquer de telles sornettes."
Voter pour un député qui sera dans l'opposition, ça n'apportera Rien, ni à l'Assemblée nationale, ni à l'échelon local. Laurent Saint-Martin, candidat Ensemble dans la 3ème circonscription du Val-de-Marne
A contrario, il vante le bilan de la majorité sortante — baisses d'impôts, baisse historique du chômage, gestion efficace de la crise sanitaire —, et les mesures à venir : défiscalisation des heures supplémentaires, triplement de la prime Macron... "Je considère que pour les Français aillent mieux, gagnent bien leur vie, il faut d'abord une économie florissante", conclut-il. De quoi faire s'étrangler Louis Boyard, qui rappelle plutôt la crise des "gilets jaunes", les files d'étudiants dépendants de l'aide alimentaire pendant la crise sanitaire ou l'inflation qui grève le budget des ménages et complique les fins de mois de nombreux Français.
Et d'assurer de la solidité du programme de la Nupes pour aider les plus précaires : hausse du Smic à 1 500 euros, blocage des prix sur un panier de biens de première nécessité, pensions de retraite à 1 000 euros minimum, retour de l'impôt sur la fortune... Autant de mesures destinées à favoriser la croissance du pays. Argument pour appuyer ce programme : le soutien de près de 300 économistes et universitaires qui ont validé ces mesures. "Des économistes hétérodoxes qui valident n'importe quoi, on en trouve facilement", raille Laurent Saint-Martin en réponse. En matière économique comme sur les autres thèmes, pas de miracle. Ce sont deux "visions très opposées", dixit le député sortant, qui se quittent aux alentours de 21 heures.
Quelques heures avant le débat, Laurent Saint-Martin était présent dans une commune politiquement atypique du plateau briard, Périgny-sur-Yerres, pour une opération de porte-à-porte. "Une commune qui vote à droite, mais une terre d'artistes", glisse le député, qui rappelle la présence dans la ville de la Closerie Falbala, une œuvre du sculpteur Jean Dubuffet. Pour l'heure, les rues désertes sont écrasées par la chaleur de la fin d'après-midi. L'accueil des locaux, lui, peut se révéler frais.
"Moi, je ne vote pas pour Macron", lance un septuagénaire depuis l'entrée de son pavillon. "Vous préférez voter pour Mélenchon ?", rétorque l'élu, qui ne se dépare pas de son sourire. "Non, je vais voter blanc", lui répond du tac au tac le Pérignon. Finalement, on se quitte bons amis, après que Laurent Saint-Martin a rappelé l'importance et le véritable rôle d'un député au niveau local, facilitateur pour les élus locaux, quelle que soit leur étiquette.
"Je ne peux pas être sectaire à cette échelle, il faut savoir parler à tout le monde. J'ai toujours mis un point d'honneur à travailler avec les onzes communes de la circonscription", précise le député, pour qui son mandat doit reposer sur deux jambes : nationale et territoriale. Il faut voir le rapporteur général du Budget évoquer l'aménagement de la RN19 qui se fait attendre, plaider la conservation des terrains agricoles ou murmurer d'un ton de confidence les noms des médecins de famille, dont la raréfaction inquiète les habitants. "J'ai labouré le terrain pendant 5 ans", explique-t-il avec fierté, jugeant qu'il doit sa bonne qualification pour le second tour à son "travail de terrain".
Croit-il à une victoire, dimanche, malgré ses 1 800 voix de retard ? "Ce sera serré", reconnaît-il entre deux pavillons. "Mais la victoire est à portée", veut-il croire. Au vu des résultats du premier tour, il faudra espérer un report des voix de la droite. Dider Gonzales, candidat LR, arrivé en troisième position, a recueilli 4 800 voix au premier tour (15,7%). De quoi refaire son retard. Et en cas de défaite ? Laurent Saint-Martin se montre philosophe : "Si je ne suis pas élu, je ferai d'autres choses intéressantes."
Au niveau national, il juge qu'une majorité relative pour Emmanuel Macron est "envisageable" au vu des forces en présence. Ce qui laisserait la place à un fonctionnement par coalition. Passé par le Parti socialiste entre 2009 et 2012, Laurent Saint-Martin ne se montre pas catastrophé par cette éventualité, mais se dit "scotché" par l'alliage qui compose la Nupes : "cette alliance entre des gens qui ont autant de différences idéologiques". "Franchement, vous imaginez Valérie Rabault pendant 5 ans avec des insoumis ?"
Cette idée d'une désunion de la Nupes une fois les élections législatives passées laisse Louis Boyard de marbre. "Quelques socialistes pourraient en effet reprendre leur liberté, mais ce sera loin d'être la majorité", lâche-t-il en distribuant des tracts au marché de Valenton, ville populaire du Val-de-Marne restée près d'un siècle dans le giron du parti communiste. Ici, même le kebab est nommé O'KGB et il est situé... Rue du Colonel Fabien. "C'est une ville que j'affectionne particulièrement. J'aime le contact humain", explique l'insoumis, qui a grandi à quelques kilomètres de là, à Villeneuve-le-Roi. S'il est élu, il promet de se mettre "à portée de baffe", en organisant des réunions publiques tous les quatre mois avec les habitants de sa circonscription.
Louis Boyard ne croit pas un report massif des voix de la droite sur Laurent Saint-Martin. "Ici, c'est une droite populaire, une droite pavillonnaire, celle des classes moyennes. Pas celle d'Emmanuel Macron", jure-t-il, comptant sur l'effet "repoussoir" du chef de l’État pour l'emporter dimanche. "Je nous trouve plus sereins que le camp d'en face", assure-t-il posément, escomptant toutefois lui aussi un second tour serré. "Mais on est confiant. Il y a des gens qui se sentent trahis par le premier quinquennat."
Pour lui, l'arbitre, ce sera l'abstention, notamment celle des jeunes, un électorat plus à-même de voter pour lui. Au premier tour, 57 % des électeurs inscrits n'ont pas participé au scrutin, cinq points au-dessus de la moyenne nationale. "Il n'y a pas de miracle. Il faut aller chercher les gens, leur parler, leur faire comprendre qu'ils sont tout à fait légitimes à parler de politique, sans leur faire de promesses irréalisables", détaille le candidat de la Nupes. Pas de promesse, mais un discours de "rupture", basé sur un projet.
Alors que Louis Boyard pourrait devenir le plus jeune député élu de l'histoire de la Vème République — pour le moment, c'est Marion Maréchal-Le Pen, élue à 22 ans en 2012, qui détient ce record —, le candidat assure que son âge revêt des avantages et des inconvénients. "Il y a des gens qui me demandent : 'tu n'es pas trop jeune ?', et je leur réponds 'parlons politique'. Et ensuite, ils sont convaincus", assure-t-il en souriant. Ce procès en illégitimité, il est sûr de l'avoir gagné, encore la veille au soir, lors du débat face à Laurent Saint-Martin.
Cela pourrait également lui rapporter de précieuses voix dans la course au Palais-Bourbon. Avec les plus jeunes électeurs val-de-marnais, il partage les codes, les références culturelles. Il a grandi avec eux et a connu les mêmes désillusions : absence de loisirs, d'offre culturelle, détérioration des services publics, relations difficiles avec la police. "Villeneuve-Saint-Georges, Valenton, ce sont des villes qui ont un potentiel énorme. Tout ce qu'on veut, c'est que l'État réinvestisse ces zones, redonne de la dignité à leurs habitants", assure-t-il, prenant l'exemple emblématique de la rue de Paris, à Villeneuve, autrefois prospère et désormais gangrenée par les habitats insalubres et les marchands de sommeil.
Cette volonté d'engagement lui est venu quand il était lycéen, alors qu'il se battait pour faire rénover un bâtiment truffé d'amiante. Une blessure reçue lors d'une manifestation de "gilets jaunes", qui avait été jusqu'à faire réagir le ministre de l'Intérieur de l'époque, Christophe Castaner, lui a par ailleurs valu une certaine et précoce notoriété. Désormais, Louis Boyard vise donc les bancs de l'Assemblée nationale, pour s'inscrire dans le sillage de jeunes insoumis désormais bien installés sur la scène nationale, comme Adrien Quatennens et Ugo Bernalicis.
Louis Boyard arrivera-t-il à faire tomber Laurent Saint-Martin ? Quel que soit le candidat élu dimanche, il contribuera de toute façon à faire baisser la moyenne d'âge de l'Assemblée nationale. En 2017, elle s'établissait à 48 ans et 8 mois. C'est là l'un des rares points communs entre les deux hommes. Pour le reste, ce sont deux visions radicalement opposées qui s'affrontent, deux représentants issus de populations qui cohabitent sur le territoire sans vivre vraiment ensemble, et qui ne se comprennent pas toujours, deux générations différentes aussi. Dans Les Temps changent, sorti en 1997, MC Solaar, rappeur originaire de Villeneuve-Saint-Georges, prophétisait : "Avant pour les gosses les grands étaient des mythes, Regarde, maintenant c'est les parents qui flippent."