La dissolution de l'Assemblée nationale a écourté le mandat des 577 députés qui siègent au Palais-Bourbon. Mais elle a aussi bouleversé la vie des collaborateurs parlementaires, qui travaillent dans l'ombre des élus. Chaque fin de législature est une période d'incertitude pour eux, leur contrat étant inhérent à la réélection de leur député. Mais avec la dissolution, ce risque s'est concrétisé avec trois ans d'avance.
"Apprendre qu’on est de facto viré en direct par le président de la République, ce n’est pas tous les jours !"... Entre ironie et désarroi, cette phrase en dit long sur la situation dans laquelle se retrouvent les assistants et collaborateurs parlementaires de ceux qui, depuis l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale, ne sont plus que députés... sortants. Et souvent candidats déjà en campagne. Pour les collaborateurs comme pour les élus, la vie au Palais-Bourbon s'est arrêtée brutalement, bien avant l'échéance jusque-là prévue en 2027, pour les prochaines élections législatives.
"Licenciés en direct par le président de la République", c'est donc ainsi que Jeanne Bouligny, présidente de l'association des collaborateurs Progressistes (ACP), résume la situation dans laquelle elle se trouve, ainsi que ses quelques 2000 collègues qui officiaient jusqu'à la semaine dernière auprès des députés de la XVIe législature, toutes couleurs politiques confondues. Si une forme de sidération a pu d'abord les gagner dimanche soir, la logistique propre au moment leur a cependant vite imposés d'être sur de nombreux fronts dès lundi matin, afin d'adapter l'agenda de leurs députés, d'annuler des rendez-vous, de clôturer les comptes, de résilier le bail d'une permanence parlementaire... Avant pour nombre d'entre eux, de se lancer dans une campagne éclair derrière leurs élus.
Dès le début de la semaine, la Questure de l'Assemblée nationale a fait savoir que les lettres de licenciement des collaborateurs parlementaires, dont les contrats sont liés au mandat des députés pour lesquels ils travaillent, arriveraient le 17 juin pour une effectivité au 19 juin. A partir de là, les collaborateurs ayant entre six mois et deux ans d'ancienneté seront payés jusqu'au 18 juillet inclus, tandis que ceux qui ont plus de deux ans d'ancienneté le seront jusqu'au 19 août inclus.
Beaucoup de 'collabs' vont aussi faire campagne afin de travailler au retour de leur député à l'Assemblée nationale et sauver leur emploi. Mais pour Jeanne Bouligny, il s'agit avant tout d'"écouter et convaincre, car c'est au coeur de notre engagement", l'intéressée relativisant les aléas de sa situation personnelle, au motif que "cela fait partie des risques du métier". Certains poseront des congés dès cette semaine pour se lancer au plus vite dans une course à la réélection, n'ayant pas la possibilité de militer pendant leurs heures de travail jusqu'à leur licenciement effectif, le 17 juin.
En tant que collaborateur d'un groupe parlementaire (Ecologiste), Selim Ben Amor ne dépend pas exclusivement du mandat d'un député. S'il ne verra donc pas son contrat s'arrêter avant les élections législatives, il évoque malgré tout "une incertitude qui plane". Son sort étant suspendu au fait qu'un nombre suffisant de députés écologistes soient élus pour pouvoir à nouveau se constituer en groupe. Ils étaient 21 avant la dissolution, alors qu'un groupe peut être créé à partir de 20 députés.
Chez ses collègues, Selim Ben Amor note un état d'esprit teinté à la fois de "stupeur" face à une situation qui peut bouleverser leur vie professionnelle, mais aussi de "combativité" dans la perspective de la campagne à la fois courte et intense qui aura lieu dans les prochaines semaines. Le coup est particulièrement brutal pour les collaborateurs parlementaires qui n'ont pas de "plan B" en cas de défaite de leurs députés respectifs.
D'autant que leur emploi repose sur un contrat de droit privé, en CDI pour 90 % d'entre eux, mais d'une nature particulière, surtout dans les circonstances actuelles. En effet, ces contrats à durée indéterminée seront reconduits en cas de réélection du député-employeur, mais définitivement rompus dans le cas d'une fin de mandat, quel qu’en soit le motif (fin habituelle de la législature, dissolution de l'Assemblée, démission du député, nomination comme membre du gouvernement). De nombreux collaborateurs parlementaires vivront donc dans l'incertitude jusqu'au soir du second tour des législatives, le 7 juillet à 20 heures.